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Almira de Haendel par le Boston Early Music Festival Orchestra

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Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Almira, Königin von Castilien HWV 1, opéra en trois actes sur un livret de Giulio Pancieri traduit en allemand par Friedrich Christian Feustking. Emőke Baráth, soprano (Almira) ; Amanda Forsythe, soprano (Edilia) ; Colin Balzer, ténor (Fernando) ; Christian Immler, baryton (Consalvo) ; Zachary Wilder, ténor (Osman) ; Jesse Blumberg, baryton (Raymondo) ; Teresa Wakim, soprano (Bellante) ; Jan Kobow, ténor (Tabarco) ; Nina Böhlke, mezzo-soprano (chœur) ; Kerstin Stöcker, alto (chœur) ; Boston Early Music Festival Orchestra ; direction : Paul O’Dette et Stephen Stubbs. 4 CD CPO. Enregistrés du 21 janvier au 1er février 2018 à la Sendesaal à Brême. Textes de présentation en anglais et allemand. Durée totale : 4:01:55

 
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Voici que le label CPO publie le tout premier opéra de  : Almira. Celui-ci est leur deuxième réalisation discographie dévolue à cette partition rarement exécutée, suivant celle gravée sous la baguette d'Andrew Lawrence-King en 1994. Cette nouvelle entreprise valait-elle la peine ? Décidément oui.

Haendel_Almira_O'Dette_Stubbs_CPOCette histoire commence avec l'arrivée de Haendel à Hambourg, à l'été 1703. Il n'a que dix-huit ans et il vient travailler comme violoniste de l'orchestre de l'Oper am Gänsemarkt qui constitue à l'époque la maison de production lyrique municipale la plus significative de tous les pays germaniques, inaugurée un quart de siècle plus tôt. Sur place, un certain est le directeur et un compositeur de grande importance (plus tard, il enseignera à ), attirant le public et garantissant ainsi des bénéfices. Le sort veut qu'au printemps 1704, Keiser, fuyant les créanciers (pour des raisons très probablement liées aux affaires gouvernementales), se retire de ses engagements dans le théâtre sans avoir terminé l'œuvre dont l'élaboration est déjà amorcée – Almira –, et ce, afin d'aller s'installer à la principauté de Brunswick-Wolfenbütte puis à Weissenfels où il accepte une commande de la cour pour un autre opéra. Cette nouvelle bouleverse l'institution hambourgeoise car Keiser abandonne un projet phare, censé être le premier pilier de la programmation de la saison suivante, et surtout pour lequel les préparatifs sont déjà en cours. Afin de récupérer l'argent qui a été dépensé pour les décors et les costumes, déjà en fabrication, il faut au plus vite trouver un compositeur capable de fournir une nouvelle partition basée sur le même livret. Haendel, qui n'a pas encore composé d'opéra, est disponible.

Ce départ de Keiser ouvre donc des opportunités pour le jeune Haendel mais provoque également des tensions entre celui-ci et , un autre compositeur, notamment parce que tous les deux revendiquent dorénavant le droit de diriger l'orchestre de l'Oper am Gänsemarkt depuis le poste du premier clavecin. Cependant, dans ce cas précis, c'est à Haendel – dont le talent a été reconnu – que Keiser confie le livret qu'il lui demande de mettre en musique. Il s'agit d'une adaptation faite par Christian Feustking d'un scénario que Giulio Pancieri rédigea en italien pour Giuseppe Boniventi en 1691. La plupart des récitatifs et des airs y sont en allemand, mais une partie d'entre eux n'a pas été traduite de l'italien, comme c'était d'ailleurs la coutume à l'opéra de Hambourg. Sans surprise, quand Haendel travaille sur cet opéra, la musique de Keiser demeure un modèle pour lui.

Almira est une composition soi-disant « cosmopolite » et, en quelque sorte, de mauvais goût universel, combinant des styles différents, particulièrement :
– vénitien, se faisant remarquer par l'utilisation des airs « da capo », de même que par leur virtuosité et leur sensualité ;
– allemand, se traduisant par une instrumentation riche (trompettes, flûtes à bec, hautbois, bassons, cordes et clavecin dans une variété éblouissante d'extraits pour un instrument obbligato solo et de combinaisons) et par la mise en œuvre des récitatifs écrits en vers allemands à rimes quasiment omniprésentes mais irrégulières ;
– français, se distinguant par l'addition – pour la traduction allemande du livret – de scènes créant des possibilités de spectacle et de danse dans la tradition française, comme la cérémonie de couronnement.

N'oublions pas, toutefois, que c'était exactement cela, le style hambourgeois à l'époque ! Almira est un intelligent mélange de spectacle, masque, danse, comédie et drame. Haendel est loin d'être parfait dans l'écriture instrumentale et vocale, et il ne sait pas encore composer un personnage en chair et en os, mais il est déjà humain dans l'expression des sentiments, en remplissant sa musique de passages d'intensité rare. Paul O'Dette, co-directeur artistique du Boston Early Music Festival Orchestra, déclare : « Dès la première page de l'ouverture, elle déborde de génie et d'invention. Vous ne pouvez croire qu'une ouverture de cet éclat aurait pu être écrite comme la première tentative de Haendel, car la plupart des compositeurs n'atteignent jamais ce niveau après une carrière entière ». En effet, cet esprit d'invention est ici palpitant. Le « Geloso tormento » d'Almira (du premier acte), par exemple, propose un hautbois obbligato mis en face de cordes pulsantes, créant un accompagnement évocateur sur lequel Haendel se sera appuyé pendant des années dans des scènes expressives de tourments et de peur. Un autre morceau, « Ach wiltu die Herzen » d'Osman, est un prototype, pour ainsi dire, de l'accompagnement instrumental du trio de l'air célèbre « Un pensiero nemico di pace », inséré dans Il trionfo del Tempo e del Disinganno.

Curieusement, Almira fut annoncé comme un Singspiel, bien qu'il n'y ait pas de dialogues parlés sans musique. Sa création eut lieu le 8 janvier 1705, alors que Haendel n'avait même pas vingt ans. Le succès fut au rendez-vous, de sorte qu'on lui proposa l'élaboration d'un second opéra, Nero, dont la partition n'est hélas pas conservée. Sinon, Almira fut joué une vingtaine de fois au total jusqu'à ce qu'il soit remplacé par Nero le 25 février 1705. Plus tard, en 1732, Telemann aura ressuscité Almira dans son propre arrangement. On notera encore que, sauf omission de notre part, ceci est le seul exemple – parmi les nombreuses œuvres scéniques de Haendel – d'un opéra sans rôle pour un castrat.

Pour la présente édition, nous avons affaire à une gravure studio soignée de 2018. Mais plus de cinq ans avant, en juin 2013, le même Boston Early Music Festival Orchestra donnait Almira en public, sept fois, dans le cadre de leur festival. Si la distribution n'est pas identique, la formation instrumentale et certains des solistes ont eu le temps de se familiariser avec l'œuvre et, en conséquence, en montrent une compréhension plus approfondie, dans l'ensemble autant que dans les détails. Et bien que les sessions d'enregistrement se soient déroulées pendant une douzaine de jours, l'interprétation qui nous est donnée se distingue par la cohérence du fil narratif, et un engagement dont la flamme ne faiblit pas.

Comme évoqué ci-dessus, il existe deux exécutions d'Almira parues chez CPO : celle-ci et celle donnée sous la baguette d'Andrew Lawrence-King en 1994 (aussi en studio). Si Lawrence-King parvient à restituer l'intégrité de la partition en trois heures quarante-trois minutes, Paul O'Dette et Stephen Stubbs dépassent, pour leur prestation, les quatre heures. Leur direction semble plus raffinée et plus riche en couleurs que celle de Lawrence-King, en même temps qu'elle révèle plus d'intensité, de théâtralité (se refusant, toutefois, l'exagération) et – malgré le minutage plus court dans sa totalité – de brio. Quelle verve dans la « salve » des trompettes et des tympans qui ouvrent la scène de couronnement d'Almira ! Pour Paul O'Dette et Stephen Stubbs, le tempo ne traîne pas, même là où le mouvement n'est pas rapide. Ceci résulte de la musicalité des phrasés dans les morceaux successifs, et plus précisément, d'une juste répartition de leurs accentuations. Ce constat concerne les passages purement orchestraux comme les airs accompagnés.

Pour la distribution, saluons principalement le baryton , mais également les ténors , et (assez divertissant dans un rôle comique), pour leur expression vocale s'harmonisant avec le message émotionnel de la partition. Pour le rôle-titre, si la soprano ne manque pas d'attirer l'attention par la profondeur du timbre, nous aurions aimé percevoir dans sa prestation, par moments, cette délicatesse et cette lumière vive qui marquent la lecture donnée par Ann Monoyios dans la version d'Andrew Lawrence-King. Cependant, en dépit de cette menue réserve, nous recommandons cet album, surtout parce qu'il nous fait (re)découvrir un bel opéra dans une interprétation brillante et reflétant l'esprit haendélien qui jaillit de ces pages.

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