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À la Monnaie : Is this the end ? dans votre salon, derrière le miroir des limbes

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Bruxelles. La Monnaie. 12-IX-2020. Jean-Luc Fafchamps (né en 1960) : « Is this the end ? », pop-rock requiem en trois parties, pemière partie : Dead little girl, opéra filmé-live sur un livret en anglais d’Éric Brucher. Mise en scène : Ingrid van Wantoch Rekowsk. Réalisation vidéo : Jean-Claude Wouters. Costumes : Régine Becker. Avec Sarah Defrise, the teenager ; lbane Carrère, the woman ; Amaury Massion « Lylac », the man. Académie des chœurs de la Monnaie, Chœur de la Monnaie, direction : Alberto Moro. Orchestre symphonique de la Monnaie, direction : Ouri Bronchti
Concert sans public, diffusé en direct

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Après six mois de silence lié à la crise sanitaire, la Monnaie de Bruxelles, invitée à se réinventer à l'ère de la Covid-19, reprend du service avec le premier volet du projet opératique « Is this the end ? », façon pop requiem en trois parties, dont la création sera étalée sur trois saisons. Ce week-end était donné la première œuvre : Dead Little girl.

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Cette première est issue de la collaboration étroite et rondement menée entre le compositeur , le librettiste Éric Brucher, et la metteuse en scène Ingrid van Wantoch Rekowski. L'œuvre traite des états de conscience altérés, entre ultimes instants de vie et mort se profilant. La fantasmagorie de cette réalisation mêlant performance musicale en direct et mise en scène par vidéo interposée entièrement conçue pour une diffusion en ligne (une première pour une grande maison d'opéra) a été tragiquement rattrapée par la réalité avec le décès inopiné, ce mercredi, dans la dernière ligne droite des répétitions, de , habitué des lieux et spécialiste in situ des créations contemporaines. En accord avec la famille du défunt et avec l'ensemble des artistes impliqués, la Monnaie a maintenu à la mémoire du grand chef belge les deux représentations prévues ce week-end, menées à bien et d'éloquente façon au pupitre par son assistant répétiteur Ouri Bronchti.

Dans cette trilogie, conçue en anglais, linguistiquement « asexuée » dans le contexte politique belge, trois personnages, une jeune fille en déshérence, un homme à la recherche de son amour perdu et une femme en quête déjà de la Lumière éternelle, tous anonymes, évoluent dans le monde des limbes et des « demi-morts » », sans nécessairement saisir ce qui vraiment leur arrive. Chacun des trois volets du projet est autonome, mais imbriqué au point de reconstituer une certaine réalité au travers du prisme déformant et du regard de chacun des trois protagonistes. Comme l'indique le titre, Dead Little Girl se focalise sur l'adolescente (exceptionnelle Sarah Defrise, tant dans la performance vocale que dans son incarnation quasi cinématographique) fringuée ici dans l'air du temps comme pour une sortie en boîte. Ses sentiments dans ce bad trip passeront de la facétie à l'arrogance, de la moquerie à l'angoisse et à la colère, avec ces rencontres improbables entre onirisme et hallucinations (on pense irrésistiblement au livret d'Erwartung, le monodrame d'Arnold Schoenberg), entre appréhension d'une réalité augmentée et vécu d'un parcours initiatique, non seulement par ces térébrantes scènes de lockdown ou de sinistre bal masqué médical, clins d'œils à notre temps présent, mais encore par le truchement d'objets musicaux trouvés, doublés de « fantômes archétypaux » divers, de Jim Morrison à Dante, d'Orphée à la Sphinge d'Œdipe, ou de la Walkyrie au Minotaure.

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La performance est conçue dans le respect des règles sanitaires de distanciation physique, avec retransmission sur internet, et s'invite ainsi dans le salon de chaque spectateur. L'exécution musicale a lieu en direct sur le plateau même (outre les trois solistes, dix-huit musiciens et autant de choristes), la mise en scène respecte les actuelles consignes par le biais de mises en images préalablement enregistrées, captées au gré du parcours dans tous les espaces déserts de l'institution : couloirs, salle, pigeonnier, escaliers d'accès, coulisses, cintres, régie, coursives techniques et même tunnels ! La trame, très éclatée et suggestive du récit, est unifiée à la manière antique par la présence du chœur, qui, non seulement commente ou participe à l'action, vêtu dans les teintes rouges évoquant tant l'Enfer improbable que le palpable velours des fauteuils, mais ponctue aussi l'action – dans des tenues autrement bigarrées – d'irrésistibles et improbables intermèdes « publicitaires », où sont vantés l'«essai» de la mort, la prière à un Dieu omnipotent, ou encore le sexe comme moyen le plus direct et sûr de gagner… le septième ciel ! (la… petite mort sans doute !)

La partition très habile, post-moderne par ses strates stylistiques multiples de ne renie en rien les acquis de la musique d'aujourd'hui la plus pointue, spectrale ou bruitiste avec ces glissandi aux cordes ou les déviations d'intonation aux vents, mais est irisée d'emprunts multiples de bribes d'opéras, de l'office des Morts latin, du rock « classique » ou alternatif (avec l'appui d'une guitare et d'une basse électriques), en passant par le jazz, ou le gospel, en exact rapport avec l'aspect kaleïdoscopique de la narration à la trame pareillement disparate.

Toutes les forces en présente affichent une ferveur et un engagement exceptionnels dans le contexte tragique qui a nimbé les dernières journées préparatoires. Outre celle de Sarah Defrise, déjà mentionnée, jeune soprano belge déjà remarquée internationalement, très sollicitée et d'une vocalité et présence transcendantes, aussi vénéneuse qu'émouvante, il convient de saluer les prestations tout aussi remarquables d', volontairement plus classique dans le genre « grand opéra » en exact rapport avec son second rôle, et d'Amaury « Lylac » Massion dans un registre pop-folk, ce dernier d'une vocalité rappelant, dans le déchirant adieu de l'ultime scène les inflexions du tardif , celui du testamentaire album Black Star.

En une petite heure de pleine musique et d'action théâtrale très suggestives, le « téléspectateur » est invité à vivre une expérience métamusicale assez unique en guise de rituel de passage entre deux mondes. Malheureusement, la réalité la plus tangible en a, au fil de cette maudite semaine, dépassé la fiction et l'affliction.

Crédits photographiques : © Simon Van Rompuy

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