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Splendide réhabilitation du Thésée de Lully par Christophe Rousset et son équipe

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Bruxelles. Klarafestival. Bozar.12-III-2023. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Thésée, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes sur un livret de Philippe Quinault, d’après la mythologie grecque, version de concert abrégée. Avec : Mathias Vidal ; Thésée ; Karine Deshayes, Médée; Déborah Cachet : Æglé; Philippe Estèphe ; Egée; Marie Lys : Cleone et Cérès; Thaïs Raï, Dorine, Vénus, une bergère; Guilhem Worms, Arcas, Mars, un plaisir; Bénédicte Tauran, Minerve, La Grande Prêtresse de Minerve; Robert Getchell : Bacchus; Fabien Hyon : un plaisir, un vieillard, un combattant. Chœur de Chambre de Namur, préparé par Thibaut Lenaerts ; Les Talens Lyriques. Clavecin et direction : Christophe Rousset

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Le Klarafestival – initié par la chaine-radio culturelle et musicale belge d'expression flamande – en collaboration avec Bozar-musique et avec l'aide logistique de la Monnaie de Bruxelles – propose dans une version de concert légèrement abrégée, Thésée, de , sous la direction de , à la tête de ses Talens Lyriques du , et d'une armada d'irréprochables et souvent inspirés solistes du chant.

Les deux premières tragédies lyriques de Lully, Cadmus et Hermione et Alceste, établissaient les bases de la formule, encore sous l'emprise d'un italianisme ambiant. Mais Thésée (œuvre créée scéniquement devant Louis XIV et sa cour, à Saint-Germain-en-Laye, le 15 janvier 1675), l'un des plus grands succès du compositeur, en établit définitivement les canons : ouverture à la Française « lent–vif-lent » avec ses ponctuations rythmiques caractéristiques, prologue allégorique tout à la gloire du Roi-Soleil, pureté du plan musical en cinq actes (ici métaphore à peine voilée des aléas de la guerre menée alors par la France aux Provinces–Unies). Le livret de – qui servira de base au Teseo haendélien, ou à un siècle de distance à une autre tragédie lyrique signée Mondonville – n'est pas en reste : clarté absolue de l'action dramatique malgré sa complexité, ressorts théâtraux efficaces, langue superbe, rhétorique implacable sont au rendez-vous.

L'œuvre de Lully se maintiendra durant un siècle au répertoire, par-delà les querelles esthétiques, suscitant pas moins de douze productions successives. L'action s'en situe à Athènes alors assiégée : Thésée, fils caché du roi Egée revenu incognito de Trézène, libère la ville du joug de l'oppresseur. Parallèlement se noue une trame intime plus tragique, sous le feu d'un double triangle amoureux.

L'œuvre peut aussi s'avérer une ébouriffante comédie en creux, « doublant » sous un regard plus fantasque, telle une illusion comique, l'action principale : ainsi, le berger Arcas voit son cœur partagé entre sa nouvelle conquête Cléone, confidente d'Aeglé, et la suivante de Médée Dorine, qu'il a évincée.

avait participé, en 1987 année du tricentenaire de la mort de Lully, comme continuiste, à l'historique production-réhabilitation d'Atys, dirigée par et mise en scène par . Il a fondé, dans la foulée, au début des années 1990 son propre ensemble, les bien connus Talens Lyriques, qui après avoir exploré, dans une distribution chambriste, les petits motets du Grand Siècle, ont étoffé leur effectif et se sont – entre autres – consacrés à l'exploration systématique de la tragédie lyrique lullienne, depuis près de vingt ans, au gré de productions souvent de concerts – fixées pour le disque principalement par le label Aparté. Ce sera encore le cas pour ce Thésée d'ores et déjà capté en studio, en marge de cette brève tournée européenne, déjà passée par le Theater an der Wien, proposée cette après-midi à Bruxelles, avant d'atterrir au Théâtre des Champs-Élysées parisien le 22 mars.

Si l'intégralité de la partition sera publiée au disque, quelques coupes-sombres musicales ont été aménagées (principalement au cours du prologue royal, et du divertissement pastoral final) pour cadrer davantage avec le timing d'un concert (deux heures et quart de musique, tout de même !)

, à la direction et au second clavecin, n'a pas son pareil pour galvaniser ses troupes et dynamiser dès l'ouverture le discours musical, même si sa direction peut se montrer à l'occasion beaucoup plus intimiste ; il se montre très attentif à l'articulation rythmique et à l'ornementation, et apporte un soin particulier à la réalisation et à la déclamation des récitatifs, véritables moteurs de l'action théâtrale – le rôle de Médée n'a d'ailleurs rien de ce point de vue à envier à celui d'Armide, de douze ans postérieur, ultime incarnation du génie dramatique du compositeur – soutenus par un continuo aussi inventif que diversifié (deux clavecins et orgue, violoncelle, basse de viole, théorbe). Outre le grand ensemble instrumental idéalement cornaqué et très évocateur par ses teintes variées ou ses inflexions tour à tour martiales (les trompettes et timbales de la marche triomphale de Thésée) et suaves, l'on peut compter sur le , préparé idéalement comme à l'habitude par , décidément l'un des ensembles vocaux les plus rompus – et à un constant niveau d'excellence – au répertoire opératique français baroque.

La distribution vocale est proche de l'idéal, homogène tant par ses qualités intrinsèques que par son implication théâtrale collective. Le rôle-titre n'apparaît qu'à partir de la fin du deuxième acte et est incarné par , au timbre vif argent et jouant avec une aisance confondante de la continuité des registres, loin de tout monolithisme héroïque, laissant largement transparaître l'ambiguïté contrite du personnage face aux aléas du Destin.

Mais c'est incontestablement l'incarnation en Médée de la grande , rompue aussi au répertoire baroque depuis des années, qui marquera les esprits. Par la science du mot, par la vigueur et la variété des accents ou par un incroyable sens déclamatoire, à chaque instant point sous la cantatrice la pure tragédienne : elle nous offre un portrait parfait, intrigant mais aussi par moment délibérément antipathique de la vénéneuse princesse magicienne aussi séductrice que machiavélique, aussi manipulatrice que vengeresse.

C'est un grand plaisir que de retrouver en princesse Aeglé, la soprano belge Déborah Cachet, partenaire privilégiée de Christophe Rousset pour ce cycle de productions : si elle nous était apparue, voici peu, un rien réservée, dans le Céphale et Procris d'Elisabeth Jacquet de la Guerre, quelque peu écrasée par l'ardent Reinoud van Mechelen, elle trouve ici parfaitement sa place tant par son idéale vocalité que par l'incarnation duale de son cornélien personnage, avec une redoutable implication dramatique.

Autre partenaire récurrent de ces projets lullystes, le baryton au timbre royal, donne une leçon de chant et d'efficacité théâtrale en Egée, aussi délicieux en amoureux éploré, qu'inquiétant en père calculateur ou manipulé.

La soprano campe, avec une délicieuse virtuosité, une radieuse et angélique confidente Cléone (et ponctuellement la déesse Céres), là où Thaïs Rai-Westphal incarne (outre Vénus au fil du prologue) avec beaucoup d'à-propos et de conviction, une rageuse et éplorée Dorine, tout aussi vocalement parfaite.

, en basse vibrante et pittoresque livre un truculent Arcas, soulignant avec élégance les ambigüités tragi-comiques d'un personnage pragmatique, tour-à-tour frondeur ou couard, alternant les registres du raffinement consommé ou de l'humour persifleur.

La soprano a le timbre parfait, un rien sombre, et le port idoine, hiératique pour la double incarnation de la salvatrice Minerve comme de sa prêtresse.
Citons enfin Robert Getchel en Bacchus, un rien prosaïque, ou , bien mieux venu, pour quelques courtes apparitions bien senties dans divers rôles secondaires.

Au terme de ce concert reste, pour l'auditeur comblé, à imaginer au-delà des sortilèges de la partition, et de cette remarquable réalisation musicale, la dimension dramaturgique que pourrait prendre un tel chef-d'œuvre, tant par l'apport du décorum opératique baroque et de ses « machines », que par l'implication scénique de chacun des protagonistes, sous la conduite d'un metteur en scène concerné…

Crédits photographiques / Vue générale, et Déborah Cachet, et  © Les talents Lyriques . Christophe Rousset © Eric Larrayadieu
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