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Splendide résurrection de Céphale et Procris d’Élisabeth Jacquet de La Guerre

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Bruxelles. Bozar. 19-I-2023. Élisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729) : Céphale et Procris, tragédie lyrique en cinq actes et un prologue sur un livret de Joseph-François Duché de Vancy, d’après les Métamorphises d’Ovide (livre 7, vers 661-865). Avec : Reinoud van Mechelen : Céphale ; Déborah Cachet : Procris ; Ema Nicolovska : L’Aurore ; Lore Binon : Flore (Prologue) et Dorine ; Gwendoline Blondeel : Iphis, la Prêtresse ; Marc Mauillon : La Jalousie ; Lissandrto Abadie : Pan (prologue) et Borée ; Samuel Namotte : Arcas. Chœur de chambre de Namur, préparé par Thibaut Lenaerts. A nocte temporis, direction générale : Reinoud Van Mechelen

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Le ténor et chef propose à Bozar Bruxelles, à la tête de son ensemble orchestral , du et d'irréprochables solistes, la redécouverte en version de concert de la tragédie lyrique Céphale et Procris d'.

Élisabeth Jacquet fut remarquée par l'entourage de Louis XIV pour son talent précoce, et assignée, à peine adolescente, au service de Madame de Montespan, maîtresse en titre du Roi Soleil. Son mariage avec le claveciniste Marin de La Guerre, s'il la fit rompre avec cet entourage, n'entraîna heureusement pas la fin de sa carrière musicale parisienne de concertiste et de compositrice, fait assez exceptionnel à l'époque pour une femme musicienne. Elle s'avère être, avec le recul, une figure majeure de la musique baroque française, en particulier au sein de cette génération post-lullyste. Si le disque ou le concert nous ont permis de connaitre sa musique de chambre ou de clavecin ainsi que quelques cantates dramatiques ou spirituelles, sa seule tragédie lyrique, Céphale et Procris (Paris, 1694), oubliée pendant plus de trois siècles n'a fait, voici trois lustres, l'objet que d'une seule (sauf erreur) et assez chagrine publication chapeautée par l'ORF (la Radio Télévision autrichienne) mais indisponible depuis belle lurette. Cette soirée s'annonce donc comme une passionnante découverte opératique pour le public.

Les Métamorphoses d'Ovide narraient le funeste destin du couple Céphale et Procris, pris en aversion (sous la vindicte de la Jalousie) par l'Aurore, amoureuse sans retour du malheureux héros. Comme ultime péripétie d'une rocambolesque histoire, Céphale par accident – un jet de lance mal avisé – provoquera le décès de sa promise. Le librettiste Joseph-François Duché de Vancy a modifié et étoffé l'intrigue, dans une langue superbe, en y ajoutant des personnages secondaires : d'une part le Dieu des vents nordiques Borée prétendant de la belle Procris, et de l'autre le couple mi-comique, mi-pastoral des confidents Arcas et Dorine outre quelques rôles plus secondaires.

La compositrice déploie au fil de l'imposante partition (cinq actes précédés de l'habituel prologue métaphorique) toute sa science expressive, dans les veines tragiques ou pittoresques, sous l'égide de la réunion des goûts français et italiens. Si la grande scène nocturne avec, à l'orchestre, son émouvant trio de flûtes se place dans le sillage du sommeil d'Atys de Lully, si les grands accès de furie de l'Aurore, piquée au vif par la Jalousie, par ses couleurs orchestrales et ses effets sonores anticipent de dix ans la fameuse tempête d'Alcyone de Marin Marais, le final pathétique dans son intimité discrète (où mourante Procris implore Céphale désespéré de ne pas la suivre dans la tombe, alors que ce dernier se morfond et refuse la séparation) révèle une sensibilité originale (deux longs silences se jouant de l'attente de l'auditeur) et suave dans l'expression de la déréliction, par un sens à la fois du mot et du son, dans le lointain héritage des premiers grands lamenti baroques péninsulaires.


Pour guider les mélomanes au fil d'une aussi imposante redécouverte (deux heures trente de pleine musique), l'on peut compter sur le goût très sûr et sur l'enthousiasme catalyseur du ténor belge . Actif maintenant depuis une dizaine d'années sur le circuit de la musique ancienne (mais « pas que », comme l' a prouvé son récent et superbe disque consacré à Eduard Lassen), celui-ci s'est forgé une très solide et excellente renommée tout à fait justifiée, en particulier dans le domaine du répertoire vocal, religieux, profane ou opératique baroque français, domaine qu'il a décidé d'explorer plus avant. Pour ce faire, et fort de son travail comme soliste auprès de nombreux chefs (William Christie, Philippe Herreweghe, Hervé Niquet, Christophe Rousset…), il a créé en 2016 l'ensemble (« Depuis la Nuit des Temps ») qu'il dirige ce soir tout en assumant le rôle-titre. Il peut compter sur l'engagement tant individuel que collectif de chacun de ses instrumentistes, admirablement cornaqués par le premier violon Joanna Huszcza. L'adéquation stylistique est totale (accents, ornementation, agogique, sonorité de l'ensemble très étudiée, si typique de l'opulence du Grand Siècle) et rien n'est laissé au hasard : par exemple, Sylvain Fabre manie une percussion tour à tour délicate ou impressionnante par sa variété et son efficace à-propos. L'œuvre donnée ce soir en version de concert bénéficie toutefois d'une très sobre mais efficace mise en espace des principaux solistes.

, au timbre lustral, chaud, et varié, tient donc (aussi) le rôle de Céphale avec une confondante justesse d'intentions et une constante implication dramatique, de la douceur la plus intériorisée à la vindicte ou la colère quasi expressionnistes.

Face à lui, en Procris, la jeune soprano belge , d'un port altier, lauréate du Jardin des Voix 2019, et déjà remarquée, entre autres, par un formidable disque consacré à Alessandro Scarlatti, en compagnie de Nicolas Achten et de ses Scherzi Musicali paru chez Ricercare, offre une réplique plus « blanche » intériorisée, voire parfois un rien timorée (mais en parfaite adéquation avec ce rôle victimaire).

La mezzo soprano canadienne-macédonienne impeccable d'implication, malgré une prononciation du français parfois un soupçon approximative, est une Aurore blessée dans son orgueil, souvent vitupérante et incisive mais aussi crédible dans l'expression de ses remords face au drame qui se noue.

Les rôles de Borée et de Pan (ce dernier durant le seul prologue) sont admirablement défendus par le baryton argentin Lisandro Abadie, formé (et désormais enseignant) à la Schola Cantorum de Bâle, et habituel collaborateur de nombreux ensembles réputés. Avec son timbre mordoré, il offre une belle palette de nuances à son incarnation d'un dieu transi d'amour, prétendant aussi insistant que maladroit. Il assume ce rôle – qui pourrait, assumé plus timidement, vite prendre des allures de potiche – avec à une théâtralité vocale parfaitement assurée. Les rôles secondaires sont tous excellemment distribués. , ténor au timbre si particulier mais en totale adéquation avec le rôle, offre une incarnation mi-maléfique mi-sarcastique de la Jalousie. campe dans le prologue une Flore fruitée et distinguée, avant de se jouer, de manière beaucoup plus ingénue, du rôle tragi-comique de Dorine. Arcas, l'amant de cette dernière, est confié au baryton liégeois , d'une rusticité et d'une bonhomie tout à fait idoines. , impeccable comme toujours, est une Iphis et surtout une Prêtresse impressionnante d'autorité malgré la brièveté de ses interventions. D'autres petits rôles ponctuels sont confiés à des solistes, parfois un zeste protocolaires, issus d'un remarquable – lequel, a réparti ses forces pour assumer deux productions concomitantes, puisque également réquisitionné pour le concert consacré aux Vêpres pour San Marco de Vivaldi sous la férule de Leonardo García Alarcón à Versailles ou à Namur. Ce soir, l'effectif a été adapté, eu égard à certaines spécificités de la musique française du Grand Siècle, tel ce remarquable pupitre de haute-contre. Coaché très professionnellement, comme à l'habitude, par Thibaut Lenaerts, l'ensemble concourt par sa couleur et sa concordance stylistique (la savoureuse prononciation du français de l'époque !) à la totale réussite de ce passionnant et revigorant projet, lequel en marge d'une mini-tournée (Bruxelles, Namur, Versailles) est enregistré pour une publication à venir dans la collection « Château de Versailles Spectacles ».

Une réussite totale, tant par la qualité intrinsèque musicale et dramatique de l'œuvre que par la remarquable adéquation stylistique et l'implication musicale des forces en présence.

Crédits photographiques : Reinoud van Mechelen © Frank Emmers ; © Laurus Design 

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