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Faust ou la chorégraphie du dilemme pour les 60 ans de l’Opéra de Limoges

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Limoges. Opéra. 17-III-2023. Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en 5 actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré basé sur la légende de Goethe. Mise en scène : Claude Brumachon et Benjamin Lamarche. Scénographie : Fabien Teigné. Costumes : Hervé Poeydemenge. Lumières : Ludovic Pannetier. Avec : Julien Dran, Faust ; Gabrielle Philiponet, Marguerite ; Nicolas Cavallier, Méphistophélès ; Anas Seguin, Valentin ; Eléonore Pancrazi, Siébel ; Marie-Ange Todorovich, Dame Marthe ; Thibault de Damas, Wagner. Troupe des danseurs Brumachon. Chœur de l’opéra de Limoges (cheffe de chant : Elisabeth Brusselle) et orchestre de l’opéra de Limoges : Pavel Baleff

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L'Opéra de Limoges fêtait ses 60 ans le week-end dernier et convoquait pour l'occasion, Faust de Gounod, l'un des piliers du grand répertoire français, le temps de montrer que sa scène est devenue au fil des années un laboratoire théâtral et vocal. Bref une maison qui compte.


Le Faust de Gounod est l'un des opéras français les plus populaires. Avec son livret religieux, fantastique et philosophique, il est aussi l'un des plus difficile à mettre en scène. La maison ne manquant pas d'audace, ce sont les chorégraphes et qui s'y collent et offrent à chaque protagoniste un double dansé pour témoigner de leurs états d'âme et de leur schizophrénie. Car parfois, l'action dansée va à l'encontre du dialogue et de l'action chantée ; le corps exprime ce que les mots cachent et c'est là l'idée des chorégraphes pour illustrer le dilemme faustien.

Las, cette idée suffit-elle à faire une mise en scène, à accompagner le spectateur dans son appréhension de l'œuvre ? Pas toujours car si la chorégraphie expressionniste, parfois animée de spasmes apporte une lecture « cachée » des personnages (la troupe de danseurs étant en outre assez exceptionnelle) elle rentre en contradiction avec la musique et surtout expose par la « distraction » qu'elle procure une lisibilité difficile du drame, de ses rebondissements et des questionnements que l'œuvre veut distiller. En sortant de la salle, la question reste en effet la suivante : qui a compris les enjeux du drame faustien et de la quête de l'éternelle jeunesse ? La scénographie est épurée avec des effets de lumière très étudiés. Mais si la force de la chorégraphie et la fluidité et l'élégance du dispositif tiennent la route, la direction d'acteurs reste trop minimaliste sans réelle intention didactique, laissant les chanteurs un peu livrés à eux-mêmes et faisant, dans une certaine mesure, tourner le concept en rond. Il aurait probablement fallu davantage investir sur la dramaturgie et les chanteurs.

D'autant que si le laboratoire de mise en scène qu'est parfois l'Opéra de Limoges prend des risques, l'institution reste en revanche très pointilleuse sur les distributions dont on salue au fil des années la qualité constante. Cette soirée ne déroge pas à la règle et, entre confirmation et révélations, le casting est d'une parfaite homogénéité, témoignant de la bonne santé du chant français.

Malgré quelques aigus parfois légèrement tendus (le rôle étant quand même crucifiant), la prise de rôle du Docteur Faust par est une franche réussite grâce notamment à des sons sculptés comme le marbre, une diction impeccable et une projection insolente. La fluidité de la ligne de chant dans le « Salut demeure chaste et pure » n'est pas sans évoquer la simplicité d'approche d'un Alagna ou d'un Bernheim. Un nouveau Faust est né.

On ne présente plus le métier de dont le Méphistophélès est une leçon d'expressivité contrôlée entre fiel et cruauté pernicieuse et dont l'autorité du chant est incontestable. Dans son « Veau d'or » le bronze de cette voix ronde profonde et ample, se savoure avec gourmandise et fait de lui un Mephisto de grand style.

La jeune est une Marguerite humble, candide mais aussi volontariste. L'égalité de l'émission de cette voix veloutée sur l'ensemble la tessiture, des graves bien maitrisés au aigus les plus puissants, lui permet d'assurer cette quadrature du cercle éloignant la langueur excessive d'un personnage trop facilement caricaturé.

Déjà repéré comme révélation classique de l'ADAMI en 2014, lauréat Voix nouvelles 2018, le baryton est peut-être la plus belle surprise de la soirée avec son Valentin d'une élégance suprême, au chant altier et marmoréen, mordant dans les mots, déployant avec une grande ampleur les couleurs d'une voix aux sublimes teintes qui touchent le cœur et suscitent l'admiration, rappelant çà et là ce que peut faire un Ludovic Tézier sur d'autres scènes.

La délicate Eleonore Pancrazi n'oublie pas de donner à son sublime Siébel la spontanéité et la densité nécessaires grâce à son très beau mezzo riche et magnifiquement projeté.

Enfin on soulignera l'impressionnante et drolatique Dame Marthe de  qui écrase le plateau pas la puissance tellurique de sa voix charnue et sombre comme les cavernes et la jolie prestation du baryton-basse en Wagner.

Qui dit grand opéra français, dit importance des chœurs, sollicités en permanence et qui entre chanson à boire et Christ ressuscité, assument parfaitement leur partition sans faiblesse, portant pour une grande part, la réussite de la soirée.

Le chef a récemment rejoint l'Opéra de Limoges et son entrée en fosse est à saluer tant le sens du théâtre irrigue sa direction nerveuse, ses variations et l'ampleur du son qu'il demande à un Orchestre de l'Opéra de Limoges fiévreux dans l'intensité lyrique et le train d'enfer de cette partition qui exige des changements d'atmosphères ici parfaitement négociés.

Ce spectacle, avec les artistes qui le portent, va poursuivre sa route à Vichy, témoignant ainsi de la vitalité des maisons d'opéra qui se battent dans un contexte budgétaire difficile.

Crédit photographique : © Steve Barek

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Limoges. Opéra. 17-III-2023. Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en 5 actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré basé sur la légende de Goethe. Mise en scène : Claude Brumachon et Benjamin Lamarche. Scénographie : Fabien Teigné. Costumes : Hervé Poeydemenge. Lumières : Ludovic Pannetier. Avec : Julien Dran, Faust ; Gabrielle Philiponet, Marguerite ; Nicolas Cavallier, Méphistophélès ; Anas Seguin, Valentin ; Eléonore Pancrazi, Siébel ; Marie-Ange Todorovich, Dame Marthe ; Thibault de Damas, Wagner. Troupe des danseurs Brumachon. Chœur de l’opéra de Limoges (cheffe de chant : Elisabeth Brusselle) et orchestre de l’opéra de Limoges : Pavel Baleff

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