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Dans le Gers, les 54e Nuits Musicales en Armagnac

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Condom. Cloîtres de la cathédrale. 31-VII-2023. French touch. Œuvres de Gabriel Faure (1845-1924) ; Jules Massenet (1842-1912) ; Jacques Offenbach (1819-1880) ; Georges Bizet (1838-1875) ; Louis Varney (1844-1908) ; Camille Saint-Saëns (1835-1921 ; Claude Debussy (1862-1918) : Reynaldo Hahn (1874-1947) ; Jean-Etienne Rey (1832-1923). Quatuor Opale : Jennifer Coursier, soprano ; Eléonore Pancrazi, mezzo-soprano ; Enguerrand de Hys, ténor ; Philippe Estèphe, baryton ; Martin Surot, piano.
Lavardens. Petites écuries du château. 2 VIII 2023. Des guitares et des voix. Œuvres de Claudio Monteverdi (1567-1643) ; Vincenzo Pellegrini (1562-1630) ; Antonio Sartorio (1630-1680) ; Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651) ; Barbara Strozzi (1619-1977) ; Maël Goldwaser (né en 1992) ; Frederico Garcia Lorca (1898-1936) ; Manuel de Falla (1876-1946) ; Jules Massenet (1842-1912) ; Maurice Ravel (1875-1937). Cristelle Gouffé, mezzo-soprano ; Clémence Garcia, soprano ; Maël Goldwaser, guitare ; Albane Imbs, archiluth et guitare baroque.
Condom. Cloîtres de la cathédrale. 7 VIII 2023. Récital lyrique romantisme français. Œuvres de Georges Bizet (1838-1875) ; Reynaldo Hahn (1874-1947) ; Hector Berlioz (1803-1869) ; Gabriel Faure (1845-1924) ; Henri Duparc (1848-1933) ; Charles Gounod (1818-1893) ; Jules Massenet (1842-1912) ; Giuseppe Verdi (1813-1901). Béatrice-Uria-Monzon, soprano ; Marc-Olivier Poingt, piano.
Lectoure. Jardin des Marronniers. 10 VIII 2023. Chansons d’exil. Caluna : Julie Mathevet, guitare et chant ; Julien Estèves, bouzouki ; Camille Raibaud, mandoline ; Guillaume Vallot, contrebasse.

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La 54e édition des Nuits Musicales en Armagnac a démontré une fois de plus qu'exigence artistique, découverte de répertoires et succès public peuvent faire bon ménage. Focus sur le lyrique et tout récent , Clémence Garcia et du baroque italien au flamenco, l'art de Béatrice Uria-Monzon et l'âme sicilienne du groupe .

S'il s'intéresse à toutes sortes de musiques comme le symphonique avec la traditionnelle tournée régionale d'été de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse, la musique de chambre, le jazz, la comédie musicale, le festival des Nuits Musicales en Armagnac demeure attaché au chant sous toutes ses formes. Fondé en 1968, ce festival n'a jamais oublié qu'il procédait d'un ensemble vocal et il s'est toujours attaché à soutenir de jeunes artistes à côté de talents confirmés. L'équipe des organisateurs et des bénévoles en est à la troisième génération.

Le , une formation vocale à retenir

L'audace s'exprime aux cloîtres de Condom par ce premier concert public du , tout juste formé. Menant chacun une carrière très prometteuse sur les scènes lyriques nationales et internationales, ces quatre trentenaires se sont rencontrés et ont sympathisé au gré de productions lyriques et discographiques. En gardant une identité lyrique, ils s'attachent à mettre en valeur le répertoire d'ensemble, particulièrement le romantisme français.

La forme ancienne du madrigal est toujours en vigueur au XIXe siècle. Les jeunes chanteurs l'illustrent par une pièce de Fauré composée en 1883 pour le mariage d'André Messager, puis par un étonnant cycle de cinq madrigaux de Reynaldo Hahn, sur des textes médiévaux, volontairement archaïsant pour une écriture du XXe siècle.

Les cinq Chansons des bois d'Amaranthe de Massenet, sur des poèmes de Marc Legrand composés en 1900 furent une découverte pour beaucoup. Ce charmant ensemble bucolique pour trio, duo, quatuor chante le printemps, les fleurs, le ruisseau, les oiseaux et leur chant : « Petits oiseaux aux voix légères… Chantez l'amour et le plaisir ». Tout à leur aise dans ces petites miniatures, Jennifer Courcier, Eléonore Pancrazi, et Philippe Estèphe y font merveille en une belle harmonie vocale, accompagnés avec délicatesse et parfois vigueur par au piano. Rythmique, puissance du chant, clarté d'élocution, tant dans les solos que dans les ensembles, sens de la poésie, tout est bonheur dans ce récital de raretés.

Parmi des pièces de Fauré dont Clair de Lune, Tristesse, Au bord de l'eau, ils ont interprété le rare et touchant Ave Maria pour ténor et baryton, œuvre de jeunesse, vraisemblablement composée pour la maîtrise de la Madeleine, où Fauré exprime son sens naturel de l'harmonie.

À côté de pièces poétiques, le quatuor réjouit le public avec quelques scènes comiques plus ou moins connues où ils montrent de réels talents d'acteurs. On découvre Enfin nous avons fait naufrage extrait de l'opérette Miss Robinson de Louis Varney et le désopilant Quatuor de l'omelette du Docteur Miracle de Bizet. Offenbach leur sied à ravir. On connaît le tempérament scénique de l'enfant du festival Philippe Estèphe, hilarant dans de Duo de la Mouche d'Orphée aux enfers avec Jennifer Coursier, tandis que est plus retenu dans le Duo de Barbe bleue et Boulotte avec Éléonore Pancrazi. Ils concluent avec un rare et joyeux pastiche de bel canto, Le Colimaçon, dû à Jean-Etienne Rey. Ils avaient même préparé le rappel où ils invitent les bénévoles et le public conquis à le rejoindre pour le superbe Cantique de Jean Racine de Fauré. On ne peut que souhaiter longue vie à ce jeune ensemble.

Du baroque au flamenco par la soprano Clémence Garcia et la mezzo

Quelques jours plus tard, rendez-vous était donné aux petites écuries du somptueux château Renaissance de Lavardens pour un double récital lyrique retraçant l'itinéraire du duo guitare-voix à travers l'histoire de la musique.

Familières des Nuits Musicales en Armagnac depuis plusieurs années, les deux chanteuses de la soirée, la soprano Clémence Garcia et la mezzo , sont issues du CRR de Toulouse, dans la classe de chant d'Anne de Fontville.

La première partie baroque « Amours italiennes » est confiée à Clémence Garcia, accompagnée avec grande finesse par Albane Imbs à l'archiluth et à la guitare baroque. Cette grande spécialiste des cordes pincées assure le continuo de nombreux ensembles baroques et a créé son propre ensemble en 2015, les Kapsber'girls. On apprécie au plus haut point la clarté vocale de Clémence Garcia, qui montre une belle présence dans ces airs d'une grande intériorité et possède des aigus lumineux, voire cristallins avec une diction compréhensible de l'italien. La superbe déploration amoureuse Si dolce è'l tormento, puis Quel sguardo sdegnosetto et Ohime ch'io cado de Monteverdi illustrent l'évolution du madrigal à voix seule avec basse continue vers l'opéra. Avec Orfeo tu dormi… Se desti pieta extrait de l'Orfeo de Sartorio, Eurydice reproche à Orphée de s'endormir plutôt que de venir la sauver des enfers, qui diffère du séduisant et sensuel Quando voglio extrait de Giulo Cesare in Egitto du même Sartorio. Par son expressivité, l'air vertigineux Mi fa rider la speranza de Barbara Strozzi extrait de da cantate Diporti di Euterpe, illustre parfaitement le cheminement de la musique italienne du XVIIe siècle vers l'opéra. À l'archiluth, Albane Imbs a interprété une passacaille de Kapsberger, pour explorer toutes les possibilités de cet instrument, qui a connu un immense succès au XVIIe siècle, tant soliste qu'au sein de la basse continue. Puis elle prit la guitare baroque pour une suite de danses « à la française » de Vincenzo Pellegrini. Plus petite que sa descendante classique et très prisée à l'époque, cette guitare avait la préférence de Louis XIV, qui en jouait volontiers, ainsi que du théorbe comme élève de Robert de Visée.

Cap à l'ouest et changement de péninsule pour la seconde partie romantique, tout aussi ensoleillée par la mezzo Cristèle Gouffé et le guitariste et compositeur toulousain . Jeune guitariste flamenco, formé auprès des maître du genre, dans ses compositions, propose une musique moderne, qui s'appuie sur la rigueur d'une tradition, au lieu de chercher à reconstituer un flamenco historique. C'est le sens de sa pièce Granaina, qui ouvre cette séquence. On a entendu Cristelle Gouffé à plusieurs reprises au festival, ainsi que dans des cantates de Bach avec l'Ensemble Baroque de Toulouse, mais elle fut une impressionnante Carmen lors de la première académie des NMA en 2019, rôle qu'elle reprend régulièrement depuis. Elle rend justice avec grand naturel aux mélodies populaires anciennes de Frederico Garcia Lorca La morillas de Jaén, El café de Chinitias, ainsi qu'une Sévillane du XVIIIe siècle. Elle entonne par cœur, avec une aisance confondante et une projection vocale d'une belle résonnance les Sept chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla. Il en va de même pour dans son discret mais très efficace accompagnement. La délicate Nuit d'Espagne de sur un poème de Louis Gallet fait écho aux Mélodies populaires grecques de Ravel dont la tonalité et les couleurs font plutôt penser à l'Espagne. Tout naturellement Cristelle Gouffé clôt son récital par le célèbre air de Carmen Près des remparts de Séville, qui lui va à ravir.

Répondant à l'enthousiasme du public Cristelle Gouffé et Clémence Garcia lui offrent deux duos en rappel : le délicat El Desdichado de Saint-Saëns avec la guitare de Maël Goldwaser et le merveilleux duo final du Couronnement de Poppée de Monteverdi Pur ti miro, pur ti godo, finement accompagné par l'archiluth d'Albane Imbs.

Malgré l'isolement du lieu, le concert s'est déroulé à guichets fermés et l'on a dû se résoudre à refuser du monde venu sans réservation.

Béatrice Uria-Monzon, entre sensualité, drame et onirisme

Retour aux cloîtres de Condom archi pleins pour un récital d'airs d'opéra français et de mélodies par la mezzo-soprano Béatrice Uria Monzon, venue d'Agen en voisine. Il faut dire qu'ayant découvert le chant au lycée Saint-Jean à Lectoure avec Roland Fornerod et Pierre Gardeil, qui fut l'un des fondateurs des Nuits Musicales en Armagnac, elle y est un peu chez elle et revient y chanter régulièrement. Avec plus de trente ans de carrière sur toutes les scènes, celle qui refuse le titre de diva aime à soutenir les jeunes artistes. On se souvient de son récital à Lectoure en 2015 avec Philippe Estèphe et elle vient à Condom avec un Marc-Olivier Poingt, un prodigieux jeune pianiste agenais, dont l'univers musical est infini, du classique au jazz en passant par l'improvisation et la composition. Leur entente est parfaite et ils adoptent un jeu théâtral complice tout au long du récital. Il est une révélation pour beaucoup.

Rien de plus naturel que de commencer par Près des remparts de Séville de Carmen qu'elle incarna et magnifia sur de nombreuses scènes mondiales pendant plusieurs décennies, changeant l'image du rôle, solidement ancré comme une fille facile. Pour elle, Carmen est quelqu'un de subtil, de fragile et sa sensualité n'est pas que dans son corps mais dans sa voix.

Béatrice Uria-Monzon démontre qu'elle est une grande mélodiste. Romantisme, sentiment et onirisme en subtilités poétiques avec L'Enamourée et L'Heure exquise de Reynaldo Hahn où elle développe de beaux aigus, puis deux pièces des Nuits d'été de Berlioz, Le spectre de la rose et Absence, qu'elle affectionne particulièrement et deux mélodies de Fauré, Au bord de l'eau et Après un rêve. Avec une belle continuité dans le chant et une diction des plus claires, elle captive le public, qui montre une qualité d'écoute absolue.

Dans une seconde partie plus lyrique, Béatrice Uria Monzon développe l'étendue de sa voix qui s'est élargie dans les aigus depuis 2012 pour devenir soprano dramatique.

Et le drame est présent dans l'air de Sapho de Gounod O ma lyre immortelle, tout comme dans la déploration de Chimène Pleurez mes yeux dans Le Cid de Massenet. Le drame revenant à Carmen, elle termine par la Chanson Bohème et la célébrissime Habanera.

Pour sa part, Marc-Olivier Poingt a accompagné la cantatrice de façon très précise, tantôt discret, tantôt présent, mimant de lui voler la vedette dans une époustouflante improvisation jazzistique sur Carmen. Auparavant, afin de laisser respirer sa partenaire, il s'était amusé dans de brillantes variations sur l'air des Sauvages des Indes galantes de Rameau.

Le public surchauffé ne voulant plus les lâcher, Béatrice Uria Monzon l'a gratifié de deux airs de Verdi où elle excelle, l'air d'Eboli dans Don Carlos et celui de Léonore dans La Force du destin, Pace, pace moi Dio.

L'âme sicilienne de

Enfin, le festival s'achevait à Lectoure au Jardin des Marronniers par une soirée autour de chansons siciliennes et d'exil par le groupe , initié par la soprano . Elle aussi est familière des NMA puisqu'on a pu l'applaudir à plusieurs reprises aux cloîtres de Condom, en 2008 en Sœur Constance dans Blanche, une adaptation du Dialogue des carmélites de Poulenc, puis en 2010 et en 2022 en Reine de la nuit dans la Flûte Enchantée de Mozart.

Pour cette formule, elle a troqué le registre lyrique pour la chanson méditerranéenne de Sicile, de Calabre et des Pouilles que ces grands parents siciliens lui chantaient dans son enfance. Désœuvrée pendant le confinement de 2020, elle s'est penchée sur ce répertoire, s'en est ouverte sur les réseaux sociaux et a pris contact avec Julien Estève, et Guillaume Vallot, qui s'intéressent au répertoire traditionnel et moderne. C'est ainsi que Caluna est né.

S'accompagnant à la guitare folk, la voix grave et chaude de évoque la noirceur du fado. La mandoline de Camille Raibaud puise son inspiration dans son jeu de violoniste traditionnel occitan, le Bozouki de est nourri de blues et de rythmes africains, tandis que la contrebasse de Guillaume Vallot enveloppe le tout dans des sonorités jazz.

Il s'agit de rencontres amoureuses entre des jeunes gens de milieux différents, dont les familles ne sont pas d'accord, de constats d'injustices de drames, de corruption que chantent Rosa Balistreri, le « Brassens » sicilien ou Mathilde Politi. À côté de douces berceuses, il y a des sérénades des Pouilles, des histoires de soldats obligés de partir au front et de brigands calabrais célèbres, mais aussi et peut-être surtout de nombreuses vendettas où le sang appelle le sang. On entend beaucoup de nostalgie dans ces chants tristes ou vigoureux car chassés par la misère, les Siciliens demeurent attachés à leur île pauvre et rugueuse, qui affûte les caractères. Dans cette société violente et pieuse, même les saints appellent à la vengeance comme la Vierge qui rencontre Véronique et veut venger son fils en voyant l'image de son visage sur le linge.

Cet âpre climat méditerranéen favorise la mélancolie et les complaintes s'approchent parfois du fado portugais.

Puisant dans ces chansons traditionnelles, Caluna lui a donné de nouvelles couleurs en retravaillant les arrangements et la rythmique pour offrir une chanson de voyage pour tous les horizons.

Crédits photographiques : © Paul Fave

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Condom. Cloîtres de la cathédrale. 31-VII-2023. French touch. Œuvres de Gabriel Faure (1845-1924) ; Jules Massenet (1842-1912) ; Jacques Offenbach (1819-1880) ; Georges Bizet (1838-1875) ; Louis Varney (1844-1908) ; Camille Saint-Saëns (1835-1921 ; Claude Debussy (1862-1918) : Reynaldo Hahn (1874-1947) ; Jean-Etienne Rey (1832-1923). Quatuor Opale : Jennifer Coursier, soprano ; Eléonore Pancrazi, mezzo-soprano ; Enguerrand de Hys, ténor ; Philippe Estèphe, baryton ; Martin Surot, piano.
Lavardens. Petites écuries du château. 2 VIII 2023. Des guitares et des voix. Œuvres de Claudio Monteverdi (1567-1643) ; Vincenzo Pellegrini (1562-1630) ; Antonio Sartorio (1630-1680) ; Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651) ; Barbara Strozzi (1619-1977) ; Maël Goldwaser (né en 1992) ; Frederico Garcia Lorca (1898-1936) ; Manuel de Falla (1876-1946) ; Jules Massenet (1842-1912) ; Maurice Ravel (1875-1937). Cristelle Gouffé, mezzo-soprano ; Clémence Garcia, soprano ; Maël Goldwaser, guitare ; Albane Imbs, archiluth et guitare baroque.
Condom. Cloîtres de la cathédrale. 7 VIII 2023. Récital lyrique romantisme français. Œuvres de Georges Bizet (1838-1875) ; Reynaldo Hahn (1874-1947) ; Hector Berlioz (1803-1869) ; Gabriel Faure (1845-1924) ; Henri Duparc (1848-1933) ; Charles Gounod (1818-1893) ; Jules Massenet (1842-1912) ; Giuseppe Verdi (1813-1901). Béatrice-Uria-Monzon, soprano ; Marc-Olivier Poingt, piano.
Lectoure. Jardin des Marronniers. 10 VIII 2023. Chansons d’exil. Caluna : Julie Mathevet, guitare et chant ; Julien Estèves, bouzouki ; Camille Raibaud, mandoline ; Guillaume Vallot, contrebasse.

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