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Ivo Pogorelich en concerto solo aux Variations Musicales de Tannay

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Tannay. Château. 21-VIII-2023. William Sterndale Bennett (1816-1875) : Ouverture «The Naiades» op. 15. Frédéric Chopin (1810-1849) : Concerto pour piano et orchestre no. 2 en fa mineur op. 21. Félix Mendelssohn (1809-1847) : Symphonie no. 1 en do mineur op. 11. Ivo Pogorelich (piano). Orchestre de Chambre de Bâle (KOB). Violon et direction musicale : Hugo Ticciati

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Pour sa quatorzième édition, le festival des Variations Musicales de Tannay met une nouvelle fois les petits plats dans les grands pour offrir une affiche alléchante parmi laquelle la présence du fantasque pianiste n'est pas sans attirer le regard.

Avant que ne débute le concert, le spectateur prenant place a la surprise de voir sur la scène, le piano occupé par qui, sans paraître dérangé le moins du monde par le brouhaha ambiant, pianote en fixant le vide de ses yeux. Portant un masque comme au plus fort de la crise du Covid, T-shirt framboise, pantalon sport et basket aux pieds, quelques autres vêtements négligemment posés sur le bord du piano, il continue de plaquer discrètement quelques accords avant qu'un membre du staff vienne le prier de retourner en coulisses pour permettre à l'orchestre de faire son entrée.

En ouverture, on retrouve l'Orchestre de Chambre de Bâle (KOB) qui l'an dernier, sous la direction de Trevor Pinnock s'était fort bien acquitté de sa prestation sous le difficile problème récurrent de l'acoustique «écrasée» de la tente du festival. Malheureusement pour cette soirée, le métier et la musicalité du chef anglais n'habitent pas aussi habilement le jeune violoniste et chef à la tête de l'ensemble bâlois. Après quelques mesures de l'Ouverture «The Naiades» op. 15 du compositeur anglais , alors que la partition requiert plus forte, les violons de l'orchestre s'emballent dans une saturation sonore difficilement supportable. On ne ressent plus rien de la mélodie. Cette inadaptation aux conditions sonores de l'environnement, probablement inhérente à la jeunesse fougueuse du chef et participant violoniste, ne profite pas à l'interprétation d'une œuvre qui, si elle ne révolutionne pas l'histoire de la musique renferme quelques moments d'un beau lyrisme. D'ailleurs son collègue, le compositeur Charles Villiers Stanford (1852-1924) décrivait la musique de comme ressemblant à «la Tamise qui n'a pas de rapides ni de chutes ; il y souffle un doux vent sous ses bois, jamais sec toujours en mouvement…»

S'étant entre temps changé, , masqué, fait son entrée pour donner le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en fa mineur op. 21 de Chopin, une œuvre qu'il avait gravé voici tout juste quarante ans sous la direction de Claudio Abbado, trois ans après le fameux épisode de son élimination du Concours Chopin de Varsovie. Armé d'un petit cahier renfermant la partition de son concerto, il est accompagné par un tourneur de pages, lui aussi masqué. Bientôt détachant son masque en le laissant pendre temporairement à l'une de ses oreilles, le visage impassible, Ivo Pogorelich salue brièvement, s'assied au piano, se ventile le visage en agitant son cahier pendant que l'orchestre attaque les premières mesures de ce sublime concerto. Quelques mesures d'introduction et le piano de Pogorelich surgit. La note éclate, sèche, incroyablement puissante suivie d'un arpège superbement ciselé qui se termine par une série d'accords magistralement plantés dans le registre grave du clavier. Quelle précision, quelle technique, quelle puissance, quelle force ! Un régal immédiat. Scrutant avec une attention extrême le pianiste, le chef suit le soliste à la seconde pour relancer son orchestre. On se dit qu'on s'achemine vers une grande interprétation. Mais, bientôt on constate que Ivo Pogorelich veut régner en maître sur la scène. En démonstration pianistique, il se la joue solo. Ne tenant aucun compte de l'orchestre qui l'entoure, il continue inexorablement à aligner ses traits, certes brillantissimes, mais hors l'esprit d'une interprétation concertante où doit exister l'échange d'un orchestre avec un soliste. C'est faire preuve de musicalité (sinon de pur professionnalisme, voir d'une certaine humilité) de s'adapter à l'orchestre comme au lieu. Ainsi, peu à peu, on perd le fil. Quand arrive le larghetto, on se prend à rêver que le sublime romantisme de l'écriture musicale gagnera l'interprète. Mais, ici encore, on plonge à nouveau dans une démonstration de piano omniprésent peu soucieux de l'accompagnement de l'orchestre. Les rares et courts instants où le piano laisse la parole à l'orchestre, Ivo Pogorelich se précipite sur son cahier pour s'en servir comme d'un éventail. Si la journée caniculaire justifierait quelques aménagements, il nous est apparu que ces «facéties ventilatoires» du soliste nuisent à la concentration et partant à l'unité de l'interprétation. Dans l'allegro vivace final, on ressent Ivo Pogorelich pressé d'en finir, donnant l'impression que les notes sont alignées sans âme.

,Terminant sa prestation, le pianiste se lève rapidement de son siège, salue sans le moindre sourire le public. Poussant son siège sous le piano, il signifie à l'évidence qu'il ne donnera aucun bis, ce malgré la sollicitation du public avec ses bravos et de l'orchestre avec ses applaudissements. En résumé, si Pogorelich possède l'entier de la technique propre à interpréter magistralement ce concerto, son interprétation manquait sensiblement du pathos qu'on lui connait dans son enregistrement de 1983 (DGG). On dit l'artiste à part. Il l'a démontré. Dommage.

En deuxième partie de ce concert, l'Orchestre de Chambre de Bâle proposait la Symphonie no° 1 en do mineur op. 11 de Mendelssohn. Plus flagrante encore qu'en première partie de ce concert, la saturation sonore de l'orchestre, son manque de souplesse nuit à l'écoute. Seul moment de «repos» acoustique, l'interprétation de l'Andante démontre qu'avec l'écoute de son voisin de pupitre et l'abandon de soi à la seule musique, sans la volonté de vouloir la dominer comme on le ferait d'un animal récalcitrant, la mélodie s'en trouve épanouie.

Crédit photographique : ResMusica © Jacques Schmitt ; VMT © Nassisi

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