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Le Festival Ravel de Saint-Jean-de Luz à l’heure hongroise

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Saint-Jean-de Luz ; Festival Ravel 26 VIII-2023. Ciboure ; espace polyvalent
19h : Béla Bartók (1881-1945) : Quatuor à cordes n°4, Sz.91 ; György Ligeti (1923-2006) : Quatuor à cordes n°1 « Métamorphoses nocturnes ». Quatuor Béla : Julien Dieudegard, Frédéric Aurier, violons ; Julian Boutin, alto ; Luc Dedreuil, violoncelle.
21h30 : Les Métanuits ; adaptation malicieuse pour piano et saxophone du premier quatuor à cordes de György Ligeti « Métamorphoses nocturnes ». Roberto Negro, piano ; Émile Parisien, saxophone soprano.

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Sous la houlette de ses deux directeurs, et , le Festival Ravel, célèbre le centenaire de Ligeti durant un week-end où s'affichent trois concerts de haute tenue et une conférence.

Certes, l'espace polyvalent de Ciboure n'est pas le lieu idéal pour recevoir les artistes ; mais le , tout terrain, sait dompter l'acoustique peu flatteuse de la salle et nous offre un magnifique concert où la musique de côtoie celle de son aîné et compatriote dont il a beaucoup appris.

Les Béla ont choisi le quatrième des six quatuors à cordes de Bartók, une œuvre de maturité (1928) d'une absolue modernité tel que nous le révèlent les quatre musiciens. Frédéric Aurier, violon 2 du quatuor, prend la parole pour une courte présentation comme il a coutume de le faire avant chaque concert.

On est d'emblée happé par l'énergie déployée par les musiciens, l'assise rythmique et la puissance qui se dégage de leur jeu dans un premier mouvement robuste et dûment maîtrisé. Ils prennent des risques dans le deuxième mouvement joué à grande vitesse et avec les sourdines pour créer cette sensation de matière quasi insaisissable. L'émotion affleure dans le troisième mouvement, un nocturne, avec ses sonorités spéciales, comme chez Debussy, et les superbes couleurs du violoncelle de Luc Dedreuil. Le quatrième mouvement est célèbre, joué entièrement en pizzicati, dont les Béla, aussi experts avec l'archet qu'avec les doigts, exaltent l'aspect ludique autant que poétique. À l'image du premier mouvement, le cinquième réinstaure un aspect presque guerrier où la dimension rythmique prévaut. La synergie des archets et la définition du son impressionnent, tout comme l'admirable conduite formelle d'une musique à laquelle les interprètes confèrent une vitalité galvanisante.

L'expérience est passionnante, qui consiste à enchaîner l'opus bartokien avec le premier quatuor à cordes de « Métamorphoses nocturnes » (1953-54), tout imprégné encore de l'influence du maître hongrois, même si la manière ligetienne est déjà bien perceptible : dans le fait d'étirer les registres, vers le grave et surtout l'extrême aigu, de brouiller les hauteurs au profit du timbre et de jouer de manière plus virtuose encore que le maître avec les paramètres du son et la complexité des rythmes. Après l'exposition du thème qui va irriguer toutes les variations/métamorphoses des quatre mouvements, les Béla se lancent avec une énergie redoublée dans cette aventure exploratoire nourrie de contrastes, entre fantaisie et mystère, espièglerie et tendresse, subtilité et élégance. Tempo di valse, moderato, con eleganza, un poco capricioso – Allegretto, un poco giovale, écrit Ligeti au mitan de la partition : autant de suggestions guidant les interprètes qui parcourent ce labyrinthe avec une aisance déconcertante et un sens aigu de l'orientation. Ils semblent littéralement possédés par une écriture dont ils connaissent les moindres détours, exploitant toutes les ressources du timbre et de la couleur. La performance est sidérante, qui nous tient en haleine jusqu'au dernier coup d'archet. Redemandés par le public très enthousiaste, les Béla terminent le concert dans l'épure et le presque rien avec les Microludes de György Kurtag, compositeur hongrois lui aussi et toujours à la tâche du haut de ses 97 ans!

De métamorphoses en métamorphose

Aventure, nouvelle aventure ligetienne, quelques minutes plus tard et sur le même plateau, avec le duo de choc, (saxophone soprano) et (piano) qui revisitent ce premier quatuor et le réinventent, au gré de leur imaginaire et de leur propre ressenti de jazzmen improvisateurs : un projet fou qui les tient depuis presque dix ans!

Les Métanuits (contraction du titre ligetien), désormais gravées sous le label ACT, se déclinent en onze séquences et autant de clins d'œil au compositeur hongrois (Allegro grazioso, Vivace, capriccioso, Adagio mesto, Tempo di Valse, Meccanico, etc.). Avec un léger vibrato et une manière sensible et à fleur de souffle de modeler le timbre de son instrument (proche parfois du duduk arménien!), joue le thème générateur qu'il emmène rapidement dans les sphères animées de l'improvisation, soutenu par un piano effusif et toujours à l'écoute. Ainsi procéderont-ils pour chacun des onze numéros dûment enchaînés, gardant toujours, plus ou moins souterraine, la trame ligetienne qui sert de fil rouge à la performance. Meccanico enflamme l'imagination de qui s'attaque aux cordes du piano, bricolant en direct une préparation de l'instrument devenu percussion métallique au service du rythme et des motifs obstinés qui fonctionnent en boucle. Cette séquence particulièrement tendue nous mène au climax de la trajectoire, poings et avant-bras sur le clavier, à bout de souffle et de force jusqu'à saturation de l'espace sonore. Pianissimo, le retour du thème tronqué, avec une sonorité de saxophone délicatement filtrée et sans vibrato, n'en est que plus émotionnel.

Crédit photographique : © Festival Ravel

Mis à jour le 3/9/2023 à 9h56

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19h : Béla Bartók (1881-1945) : Quatuor à cordes n°4, Sz.91 ; György Ligeti (1923-2006) : Quatuor à cordes n°1 « Métamorphoses nocturnes ». Quatuor Béla : Julien Dieudegard, Frédéric Aurier, violons ; Julian Boutin, alto ; Luc Dedreuil, violoncelle.
21h30 : Les Métanuits ; adaptation malicieuse pour piano et saxophone du premier quatuor à cordes de György Ligeti « Métamorphoses nocturnes ». Roberto Negro, piano ; Émile Parisien, saxophone soprano.

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