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Écouter l’inframince avec Éliane Radigue

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Paris. Fondation Cartier pour l’art contemporain. 9-X-2023. Rétrospective OCCAM OCEAN #3. Éliane Radigue (née en 1932) : OCCAM III pour birbinė ; OCCAM RIVER XVI, pour harpe et birbynė. Carol Robinson, birbynė ; Rhodri Davies, harpe

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À la Fondation Cartier, la salle est comble pour la troisième soirée de la rétrospective dédiée aux OCCAM OCEAN d', invitant sur le plateau et .

Débuté en 2005, le cycle des OCCAM OCEAN compte aujourd'hui quelques soixante-dix pièces instrumentales allant du solo à l'orchestre : grand œuvre inachevé et inachevable en raison des combinaisons opérées à l'infini (duo, trio, quatuor, etc.) avec chacun des OCCAM solistes existants. Chaque OCCAM est adressé à un ou une interprète avec qui a « monté » la pièce puisqu'il n'y a pas d'écriture ni de partition (même graphique) attachée à l'œuvre mais une image, souvent liée à l'eau, partagée avec le musicien, qui va agir comme un stimulus et donner une structure générale à la pièce. Cette image doit correspondre à la personnalité de l'instrumentiste autant qu'à la nature de son instrument.

À l'origine du cycle et au fil du processus, s'est constitué, autour de la compositrice (présente ce soir dans les rangs du public), un groupe d'interprètes fidèles, ‟les chevaliers” des OCCAM, avec qui elle mène cette quête sonore autant que spirituelle depuis près de vingt ans. Ils sont, aujourd'hui, à même de transmettre à une nouvelle génération d'instrumentistes cette approche radiguienne du monde sonore en gardant à l'esprit que chaque pièce investie par une sensibilité singulière restera toujours unique.

Clarinettiste de formation, , qui est, avec , à l'initiative de cette rétrospective, joue ce soir de la birbynė, instrument à anche simple en bois d'ébène et d'origine lituanienne qu'elle maîtrise avec un art consommé. C'est pour cet instrument, sa couleur chaleureuse et son aptitude à modeler le son (l'instrument n'a pas de clés comme celles de la clarinette) qu'a été conçu OCCAM III d'une durée de quinze minutes. installe le silence et l'écoute profonde à laquelle nous convie cette méditation tendue. Le son nait avec la respiration de l'interprète, un son qui frissonne, qui se stabilise à mesure et s'enrichit d'harmoniques, se déploie dans l'espace de résonance au gré des répétitions, « ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre», comme aime le dire la compositrice paraphrasant Verlaine ; un son dont l'immobilité n'est qu'apparente. Il grimpe d'ailleurs par microintervalles dans l'aigu sous les doigts de l'interprète qui en différencie les allures, du tremblement à l'itération légère, du flatterzunge éminemment raffiné jusqu'au son fendu qui en occasionne la chute vertigineuse dans le grave et l'extinction progressive.

On voit alors , assis au côté de Carol Robinson depuis le début du concert, se saisir d'un archet (il en a quatre, deux pour chaque main) et faire ce que l'on pourrait nommer un « geste son » dont on ne perçoit pas encore l'effet auditif. Ainsi débute imperceptiblement OCCAM RIVER XVI, pour birbynė et harpe, une pièce de 45 minutes invitant à une écoute immersive dans l'apesanteur d'un temps qui s'abolit.

L'émergence du son est graduelle sous l'archet de , chevalier des OCCAM, lui-aussi, qui va jouer en continu deux sons fondamentaux, toujours identiques et jamais les mêmes… Ils sont entendus successivement ou simultanément lorsque le harpiste utilise les deux archets, l'un de violon et l'autre d'alto, sur les deux cordes d'une harpe partiellement désaccordée, nous dit-il. Au grain subtilement différencié du son frotté vient se joindre le son lisse et rond de la birbynė, qui inscrit sa lente respiration sur le continuum de la harpe, enrichissant l'harmonie de partiels de plus en plus aigus ou se frottant aux résonances des archets pour créer des illusions acoustiques. L'oreille reste toujours en alerte, guettant les infimes évolutions d'une texture qui n'arrête pas de bouger : une expérience de perception dans la lenteur et l'inframince à laquelle nous conviaient ce soir deux interprètes d'exception, ambassadeurs habités d'une musique traversée d'un souffle mystérieux.

Crédit photographique :  © ResMusica

 

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