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Don Carlo sous une pluie d’étoiles pour l’ouverture de saison à la Scala de Milan

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Italie. Milan. Teatro alla Scala. 13-XII-2023. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, opéra en quatre actes (1884) sur un livret de Joseph Méry et Camille Du Locle, d’après Schiller. Mise en scène : Lluis Pasqual. Décors : Daniel Bianco. Costumes : Franca Squarciapino. Lumières : Pascal Mérat. Vidéo : Franck Alleu. Chorégraphies : Nuria Castejon. Avec : Michele Pertusi, Philippe II ; Francesco Meli, Don Carlo ; Luca Salsi, Rodrigo ; Jongmin Park, Le Grand Inquisiteur ; Huanhong Li, un moine ; Anna Netrebko, Elisabeth de Valois ; Elīna Garanča, Princesse Eboli ; Chœur et Orchestre du Teatro alla Scala, direction : Riccardo Chailly.

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Les “Saint-Ambroise” se suivent à la Scala en respectant la même thématique, celle des rapports complexes entre passion et pouvoir. Après Macbeth (2021), Boris Godounov (2022), c'est aujourd'hui Don Carlo de , dans sa version italienne en quatre actes, qui fait l'ouverture de saison avec les stars et sous la direction de .

Pas grand-chose à redire dans cette nouvelle production milanaise éblouissante et homogène si ce n'est la vision de Lluis Pasqual, d'un classicisme un peu passéiste qui en constitue, indiscutablement, le maillon faible, contrastant avec la direction ardente et très colorée de .

On comprend aisément ce qui a pu séduire Verdi dans le drame de Schiller (notablement simplifié dans le livret) : les personnages bien typés, leur passion exacerbée, le cadre historique (celui de la guerre d'indépendance des Flandres face à l'autocratie de Philippe II) permettant l'exaltation des sentiments libertaires et anti-religieux du compositeur face à la plate soumission du pouvoir devant l'Église.

On ne reviendra pas sur l'histoire des amours contrariées de l'infant Don Carlo et de la Reine Elisabeth de Valois, sacrifiées à la raison d'état, pas plus d'ailleurs que sur le choix de la version italienne de 1884 qui gagne en concision ce qu'elle perd en potentiel dramatique par suppression de l'acte de Fontainebleau. Quel que soit le choix effectué, Don Carlo reste toujours un immense opéra de la maturité, fascinant par sa matière littéraire qui mêle l'intime et le politique, par sa sombre profondeur psychologique comme par sa puissance musicale qui en font un jalon incontournable du répertoire lyrique.

La mise en scène de Lluis Pasqual, classique et d'une grande lisibilité, propose une lecture au premier degré qui respecte le contexte historique du XVIe siècle par ses costumes noirs somptueusement brodés (Franca Squarciapino) comme par la richesse de son imposant décorum chargé d'ors (Daniel Bianco), reflet de la puissance matérielle d'un souverain dirigeant le monde et d'une Église brandissant le fer de l'Inquisition. La scénographie se décline en différents tableaux dont le pivot central reste une vaste grille de clôture figurant tour à tour la limite du cloitre, du palais, de la prison et des jardins, mais qui permet surtout grâce à une tournette de visualiser l'envers du décor où Grand Inquisiteur et moines soldats tirent les ficelles d'un pouvoir dont Philippe II n'est finalement que le dépositaire fantoche ; la direction d'acteur est limitée et assez statique, se complaisant volontiers dans des attitudes figées, la main sur le cœur, contrastant  avec les chorégraphies bien réglées de Nuria Castejon.

Dans la fosse, est à son affaire, qui redonne à la dramaturgie tout le lustre que la mise en scène lui refuse, par sa direction fougueuse, juste dans l'esprit comme dans la note, en parfait équilibre avec le plateau, précise et claire, laissant émerger les performances solistiques de l'Orchestre de la Scala (vents, violoncelle) sur un phrasé qui force l'émotion, très en relief, narratif, dont on admire la richesse en nuances rythmiques et dynamiques, la vitalité et la souplesse.

Mais ce qui fait toute la splendeur de cette production tient à son fastueux plateau vocal, dominé par la soprano , dans le rôle d'Elisabeth de Valois, dont la prestation n'est pas sans rappeler une certaine « Divina » (Maria Callas) dont on fête cette année le centenaire de la naissance (1923-1977) qui endossa ce rôle iconique par un soir d'avril 1954 sous la direction d'Antonino Votto sur cette même scène. On ne sait qu'admirer le plus des couleurs de la voix, du legato sublime, de la puissance ou du large ambitus étendu depuis des aigus tour à tour filés ou ardents jusqu'à des graves profonds et bien timbrés. Face à elle la Princesse Eboli d' n'est pas en reste par sa projection impressionnante comme par son léger vibrato bien contenu qui en majore l'aspect vipérin. Superbes également les hommes, qu'il s'agisse de dans le rôle-titre déroulant des aigus solaires avec une facilité confondante ou de (Rodrigo) en baryton de bravoure qu'on aurait sans doute préféré un rien moins statique mais dont on admire la noble prestance dans le célèbre duo de l'amitié. en Philippe II recueille tous les suffrages après son émouvant « Ella giammai m'amò » à vous tirer les larmes. , remplaçant Ain Anger souffrant, campe un Grand Inquisiteur qui manque quelque peu de graves dans sa confrontation avec Philippe qui s'en trouve du fait légèrement affadie. Le Chœur de la Scala, d'une remarquable souplesse et d'une précision exemplaire, fidèle à sa réputation complète cette magnifique production milanaise.

Crédit photographique : © Brescia e Amisano / Teatro alla Scala

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Italie. Milan. Teatro alla Scala. 13-XII-2023. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, opéra en quatre actes (1884) sur un livret de Joseph Méry et Camille Du Locle, d’après Schiller. Mise en scène : Lluis Pasqual. Décors : Daniel Bianco. Costumes : Franca Squarciapino. Lumières : Pascal Mérat. Vidéo : Franck Alleu. Chorégraphies : Nuria Castejon. Avec : Michele Pertusi, Philippe II ; Francesco Meli, Don Carlo ; Luca Salsi, Rodrigo ; Jongmin Park, Le Grand Inquisiteur ; Huanhong Li, un moine ; Anna Netrebko, Elisabeth de Valois ; Elīna Garanča, Princesse Eboli ; Chœur et Orchestre du Teatro alla Scala, direction : Riccardo Chailly.

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