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Otages à Lyon : la fin de la soumission

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Lyon. Théâtre de la Croix-Rousse. 17-III-2024. Sebastian Rivas (né en 1975) : Otages, opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après le texte de théâtre de Nina Bouraoui. Mise en scène : Richard Brunel. Décors : Stephan Zimmerli. Costumes : Mathieu Trappier. Lumières : Laurent Castaingt. Vidéo : Yann Philippe. Avec : Nicola Beller Carbone, soprano (Sylvie Meyer) ; Ivan Ludlow, baryton (L’homme). Ensemble musical, direction musicale : Rut Schereiner

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Pièce de théâtre, roman, Otages de Nina Bouraoui devient aujourd'hui un opéra de . Un texte fort, plus fort que la musique qui l'accompagne.

Sylvie Meyer découvre que, comme beaucoup d'êtres humains, elle est doublement otage. Amoureux : son mari l'a quitté. Économique : son patron la convie à l'apprentissage du pouvoir via l'inhumanité des licenciements. Un jour, c'en est trop : celle qui était devenue responsable de ce que notre temps continue sans honte bue de nommer « Ressources Humaines », s'empare d'un couteau de cuisine et séquestre celui qui a détruit « le mur qui sépare le bien du mal ».

Pièce et roman étaient des monologues. Très signifiante initiative : l'opéra invite trois hommes (le mari, la patron, le fonctionnaire) à partager le plateau avec cette femme seule, tous, comme dans le film de Kaouther Ben Hania, Les Filles d'Olfa, incarnés par le même chanteur/acteur. Autre nouveauté : dirige en fond de plateau neuf instrumentistes toutes femmes (clarinette basse, piano, flûte, accordéon, violoncelle, alto, violon, saxophone, contrebasse et percussions) qui parfois pareront le premier plan de leur présence physique et même vocale pour jouer les « abeilles », les ouvrières de l'usine.

reprend pour l'essentiel le dispositif scénique qui lui avait servi de cadre lorsqu'il avait monté la pièce en 2019 à La Comédie de Valence et au Théâtre du Point du Jour : un enchevêtrement de bureaux dont les stores vénitiens rétrécissent ou agrandissent les volumes , en outre asile providentielle pour une vidéo fureteuse. Les belles lumières de dessinent des obliques de guillotine. Le spectacle est élégant, intense et lisible. L'implication théâtrale et vocale de (ex-mémorable Salomé), scrutée de près par une vidéo qui agrandit son beau visage de femme fatiguée sur les parois du décor, celle de (dont certaines professions de foi évoquent certain actuel président français) sont captivantes et l'on suit avec le plus grand intérêt le thriller du verbe parfois opaque de Nina Bouraoui (à quoi aura servi exactement le couteau qu'un fonctionnaire emporte comme pièce à conviction ?), parfaitement à sa place dans ce Festival 2024 acharné à vouloir « Rebattre les cartes ». Les cartes de la soumission amoureuse. Les cartes de la soumission économique.

On ne s'enthousiasmera pas autant face à la partition de ce bref opéra de 70 minutes en trois actes où le parlé prend beaucoup de place, ne laissant la place au chanté que le temps de quelques brefs duos (dont le répétitif Je m'en vais du mari volage) et de quelques introspections où les mots ne suffisent plus à dire le désarroi. On est très loin, en terme d'inspiration, du Wozzeck dont se réclame . Comme dans Aliados, son « opéra du temps réel », le co-directeur du GRAME (Générateur de Ressources et Activités Musicales Exploratoires) installe d'abord Otages dans un environnement bruitiste destiné, à l'aide d'une sonorisation sophistiquée (le sound design), à planter le décor anxiogène de la narration. On apprend au passage l'existence de la Vaporwave, ce courant musical « critique du capitalisme » apparu en 2010 sur Internet. Le modernisme technologique de ce laboratoire expérimental rappelle davantage le théâtre musical que l'opéra et ne s'affranchit quasiment jamais d'un prudent lento de type spectral parsemé de zébrures dont la brièveté s'apparente à celle des éclairs d'un jour d'été : insuffisamment personnalisé, Otages est un opéra glacial. D'aucuns prétendront que c'est adapté au texte de Nina Bouraoui, mais ce sera leur seul alibi.

Lorsque le spectacle arrive à son terme, on réalise que le seul moment où la partition aura semblé décoller, c'est au grand écart de l'évocation de la noce de Sylvie, dansée sur une chanson d'Alain Barrière ! On pressent dans le même mouvement que le destin lyrique d'Otages ne sera pas celui de la pourtant mal-aimée Fanciulla del West, et encore moins celui de La Dame de Pique, les deux autres titres du Festival Rebattre les cartes. Ayant eu le sentiment de nous être nous aussi senti « otage » de l'opéra réfrigéré de Rivas, l'on aura même eu tout le temps de se projeter dans un avenir où les compositeurs d'opéras encore vivants oseront affronter ce qui fait la spécificité du genre : le lyrisme, et, pourquoi pas, le don mélodique qui va avec. Une dernière, et pas la moins audacieuse, façon de « Rebattre les cartes » de l'actuelle sphère lyrique.

Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez

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Lyon. Théâtre de la Croix-Rousse. 17-III-2024. Sebastian Rivas (né en 1975) : Otages, opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après le texte de théâtre de Nina Bouraoui. Mise en scène : Richard Brunel. Décors : Stephan Zimmerli. Costumes : Mathieu Trappier. Lumières : Laurent Castaingt. Vidéo : Yann Philippe. Avec : Nicola Beller Carbone, soprano (Sylvie Meyer) ; Ivan Ludlow, baryton (L’homme). Ensemble musical, direction musicale : Rut Schereiner

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