Les Contes d’Hoffmann de retour chez eux à l’Opéra-Comique
Dans sa version créée en début d'année à l'Opéra national du Rhin, le dernier opéra inachevé de Jacques Offenbach mis en scène par Lotte de Beer ouvre la saison de l'Opéra-Comique, renouant avec la tradition associant la musique et les dialogues parlés.

Créés le 10 février 1881 à l'Opéra-Comique de Paris, Les Contes d'Hoffmann restés inachevés à la mort d'Offenbach, souvent présentés dans une version avec récitatifs, furent aussi prévus avec dialogues parlés afin de répondre à la tradition de l'institution et à la demande de son directeur de l'époque, Léon Carvalho. Nous ne reviendrons pas sur l'inévitabilité du choix d'une version, élaborée d'après les études des musicologues Michael Kaye et Jean-Christophe Keck par l'Opéra national du Rhin, largement développée dans l'article de notre confrère en janvier dernier.
Avant d'évoquer ce qui fait la nouveauté de cette production, à savoir le plateau de chanteurs, quelques observations complémentaires sur la mise en scène restent nécessaires. Le choix d'un espace faisant office tour à tour de taverne, d'un intérieur domestique, et de lieu (très vaguement) vénitien, dont la perspective a été accentuée un peu comme au Teatro Olimpico de Vicence, questionne d'autant que le rétrécissement du fond du décor pose souvent problème en particulier dans la scène vénitienne où le chœur se trouve vraiment à l'étroit. Comment l'interpréter si ce n'est comme cette volonté de montrer la pression exercée sur le psychisme d'Hoffmann, une sorte d'enfermement comme si cet espace exigu était en quelque sorte sa boîte crânienne où prennent corps ces idéaux féminins imaginaires, mais aussi les personnages diaboliques qui le hantent, dans un « réalisme fantasmagorique » que se plait à railler sa muse ? Devant ce décor, s'abaisse et se relève sans cesse un rideau noir, lors des échanges parlés entre Hoffmann et sa muse – le vrai couple de la soirée ! – causant un effet de discontinuité parfois gênant, et pourtant nécessaire pour remplacer un comptoir de taverne par une poupée géante ou encore par des tables et chaises miniaturisées…L'idée des changements d'échelles en soi est assez intéressante et même plaisante, apportant une dimension fantastique, parfois spectaculaire (la poupée !) mais il faut un certain temps avant de réaliser qu'Olympia, la poupée tantôt géante, tantôt de la taille d'un jouet d'enfant, est « doublée » de son incarnation humaine sur scène, qui elle n'a rien de mécanique si ce n'est dans l'écriture de ses vocalises.

Mais venons-en à la distribution. Saluons d'abord la diction exemplaire de Michael Spyres, dont le très léger accent américain n'est perceptible que dans les dialogues parlés. Il incarne Hoffmann avec intelligence, grand talent et endurance, trouvant toujours l'expression, le geste juste, qu'il soit musical ou théâtral. Sa voix lyrique dotée de l'éclat incomparable de son timbre, se projette avec clarté sans que jamais l'effort ne se fasse sentir. Tout semble facile, évident ! Le ténor est à sa place dans ce rôle. Héloïse Mas réussit une performance dans le double rôle de la Muse et de Nicklausse, jonglant en permanence entre chant et parole, omniprésente d'un bout à l'autre de l'ouvrage au point de partager le premier plan avec Hoffmann, et parfaitement à l'aise sur scène dans ses mouvements agiles. Elle ne lâche pas d'une semelle Hoffmann, dont elle semble être sa conscience, autant que sa muse, sa psy, Son air « Vois sous l'archet frémissant » est un grand moment d'émotion, où la beauté de son timbre et sa sensibilité expressive se révèlent pleinement. Quatre rôles (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto) pour Jean-Sébastien Bou, tous dans leur déclinaison diabolique, mais peut-être aurait-il pu pousser plus loin la maléfique noirceur de ses personnages. Rien à dire en revanche sur la tenue vocale, la projection toujours efficace du baryton. La soprano Amina Edris, comme ce dernier, endosse aussi les quatre rôles féminins (Stella, Olympia, Antonia et Giulietta) conformément aux représentations d'origine. Mission écrasante, qu'elle tient vaillamment d'un bout à l'autre de l'ouvrage, mais pas avec la même aisance suivant les rôles et ce qu'ils exigent vocalement. On assiste à ce niveau à une forme de lissage des personnages fondus en une seule figure féminine, celle fantasmée par Hoffmann. Les vocalises d'Olympia finissent un peu escamotées à leurs sommets, mais la drôlerie et le jeu de scène de la chanteuse l'emportent. Les aigus sont par trop tendus, serrés lorsqu'elle interprète Antonia, cependant quelle sensibilité à fleur de peau dans « Elle a fui la tourterelle » chanté dans un beau médium ! Sa Giulietta ne manque certes pas de ses charmes de courtisane, mais aurait pu être vocalement mieux caractérisée, il lui manque cette sensualité vénéneuse. Raphaël Brémard s'acquitte très bien de ses quatre rôles, en particulier celui de Frantz, la voix projetée et le timbre clair, voire criard, et le ton comique à souhait. Nicolas Cavallier de sa large voix de basse en impose en Crespel, plus effacé en Luther. Matthieu Justine se révèle être un excellent Spalanzani au timbre généreux. Matthieu Walendzik qui tient aussi le rôle d'Hermann, donne une belle présence à Schlémil, et enfin la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Grupposo, qui remplace Marie-Ange Todorovitch souffrante, donne sa voix au timbre velouté à la mère défunte, jouant dans ses intonations de l'immatérialité du rôle.
L'ensemble Aedes apporte une participation efficace, dynamique, théâtrale à bon escient en fonction des situations, d'abord sur scène, puis depuis le couloir entre le foyer et la salle, donnant une sensation de voix lointaines, et enfin dans le dernier acte se divisant et se fondant dans le public de part et d'autre des corbeilles, dans une grande apothéose sonore qui plonge celui-ci dans un bain de résonance. Une belle énergie anime l'Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par Pierre Dumoussaud, qui n'hésite pas à souligner certains détails de la partition, quitte à les pimenter en grossissant le trait chez certains pupitres (le vents en particulier), ou en ouvrant la voie aux solistes, tout en veillant à la tenue générale de l'ouvrage.
Cette production ouvre de belle façon la saison de l'Opéra Comique, chaudement saluée par un public enthousiaste.









