Vie céleste et vie intime au Festival de Besançon
Entre le cinémascope mahlérien et l'intimisme schubertien, le 78e Festival de Besançon, juste avant la Finale du 59e Concours des jeunes chefs d'orchestre, a conclu en beauté sa programmation 2025.
La Quatrième de Mahler par Michael Schønwandt
La Deutsche Radio Philharmonie, formation née en 2007 de la fusion de deux orchestres radiophoniques, celui de la Radio de Sarrebruck et celui de la Radio de Kaiserslautern, a répondu, comme en 2019, à la double invitation faite par le festival, avec l'accompagnement sans faillir de la finale du Concours et une interprétation souveraine de la Symphonie n° 4 de Gustav Mahler.
Quoi de mieux que l'orchestre de solistes du grand compositeur autrichien pour faire connaissance avec ceux de la Deutsche Radio Philharmonie ? Des cordes homogènes et chaleureuses, même dans l'extrême registre aigu, une petite harmonie bouillonnante, des cuivres majestueux (y compris les cors, absolument splendides) idéalement fondus dans la masse, un arsenal percussif aux déflagrations comme venues d'ailleurs. Tous disposés à l'allemande, avec violons 1 à jardin, violons 2 à cour et contrebasses en vedette à l'arrière, devant Michael Schønwandt qui est, depuis cette année, le premier chef invité de la formation.
Avec son allure de conte pour enfant, le Bedachtig. Nicht eilen initial, dont l'équilibre est peut-être le plus délicat à trouver, augure du meilleur : science du rubato, maîtrise des embardées, beauté suffocante du son (l'entrée de la flûte !)… Le second mouvement illustre de visu le parcours imposé par le compositeur au premier violon entre deux instruments : le sien et un second, accordé un ton plus haut (scordatura) attendant sagement son tour, posé sur une chaise à côté de lui. Michael Schønwandt fait bien du grand Ruhevoll ce moment d'immobilisme étale propre à arrêter le temps (le hautbois !). La soprano Christina Landshamer, entrée avant les premières mesures de ce sommet mahlérien, y puise longuement l'esprit à venir du Wir geniessen die himmlischen Freuden conclusif, lumineuse alternance de virtuosité articulatoire et de geysers stratosphériques, conclue dans les tréfonds de l'orchestre par la note grave répétée de la harpe. La soprano allemande, très à l'aise, parfaitement accompagnée par le tempo allant de Schønwandt, donne une séduisante idée de la vie céleste rêvée par la plus immatérielle des symphonies de Mahler.
Avant l'entracte, son intelligence textuelle, immergée dans l'accompagnement plantureux de la Deutsche Radio Philharmonie, avait déjà fait merveille dans cinq Chants d'Auvergne de Joseph Canteloube. Une appétence commune également sensible dans la première œuvre du concert : la Suite de Callirhoé de Cécile Chaminade, avec son Scherzettino mendelsohnnien et son Pas des écharpes qui commence à s'immiscer dans le catalogue des bis idéaux. Chaminade, Canteloube, Mahler : un programme dont la cohérence solaire vaut un large succès à Michael Schønwandt dont l'interprétation est saluée des deux mains par le public du Théâtre Ledoux et des deux pieds par l'ensemble des musiciens de la Deutsche Radio Philharmonie.
Les 20 ans du Trio Cassard Grimal Gastinel
Avant le connu, le méconnu. Avant le Trio op. 100 de Franz Schubert, les trois artistes font connaître le Trio que la compositrice américaine Rebecca Clarke, décédée en 1979, composa en 1921. On ne trouvera aucun signe avant-coureur de Philip Glass ou de Leonard Bernstein dans cette musique attentive à la musique française de son temps, et même au futur Chostakovitch (l'Allegro vigoroso), partagée entre la tentation mélodique et la recherche du son (troublante immatérialité des lignes conjointes du violon et du violoncelle).
On n'a pas tous les jours 20 ans : quoi de mieux pour fêter un tel évènement que le « trio des trios » : le n°2 opus 100 de Franz Schubert, curieusement moins programmé que son jumeau, composé conjointement, le n°1 opus 99. L'irrésistible beauté de ses thèmes (et pas seulement celui de son deuxième mouvement, mis à portée de toutes les oreilles par le Barry Lyndon de Kubrick) fait à nouveau figure de baume dans l'interprétation du jour, qui convoque, dans le Kursaal où ils se produisirent naguère en chair et en os, les fantômes du Beaux Arts Trio, de Nikita Magalov. Comme Menahem Pressler penché à se rompre sur ses partenaires, le piano maternel de Philippe Cassard, la rondeur de son toucher debussyste, la fluidité des cascades de notes reprises à certain Impromptu, est le phare dans la nuit schubertienne d'un « dialogue à trois » où le violon incisif de David Grimal, le violoncelle tranquille d'Anne Gastinel, même héritant des plus belles phrases (les trois retours du fameux thème suédois dans le dernier mouvement pour elle, la vélocité du thème principal pour lui), restent dans un prégnant intimisme.
En écho au long quatrième mouvement, composé par Schubert un an avant sa mort précoce en 1828, le trio propose en bis l'Allegretto ma non troppo de l'Opus 70 n°2 de Beethoven, autre pièce qui, comme le dit Philippe Cassard « n'en finit pas de finir » et où l'on entend déjà, comme un passage de relais entre ces deux compositeurs majeurs, les futures cascades de notes du susnommé Impomptu schubertien. Comme on s'y attendait avec ces trois artistes : un grand moment de musique.











