Montag aus Licht irradie à la Philharmonie de Paris
Après Donnerstag, Samstag, Dienstag, Freitag et Sonntag représentés à raison d'un opéra par an entre 2018 et 2024, Maxime Pascal a pris à nouveau la baguette pour diriger son ensemble Le Balcon dans Montag aus Licht à la Philharmonie de Paris dans le cadre du Festival d'Automne. Le cycle monumental de Stockhausen sera clôturé en 2026 par Mittwoch.

Montag aus Licht (1984-1988) est le troisième opéra du cycle Licht (1977-2003) a avoir été composé par Karlheinz Stockhausen (1928-2007). Licht est une cosmogonie mettant en scène les unions et querelles de trois anges : Eva, Michael et Luzifer. Montag est le jour d'Eva, archétype du féminin après Donnerstag (1978-1980), dévolu à Michael, et Samstag (1981-1983) consacré à la figure de Luzifer. Comme tous les opéras du cycle, Montag débute par un accueil (Gruß) et se termine par un adieu (Abschied) sous forme de musique électro-acoustique diffusée dans le hall et les coursives du théâtre.
Le premier acte (Evas Erstgeburt) est une fête de la natalité. Au clair de lune, des femmes vont prélever l'eau de la mer et commencent à laver et à parfumer la statue d'Eva tout en chantant. Dans la version présentée ce soir, la statue est remplacée par une femme réelle, sculpture vivante qui sera présente tout au long de l'opéra. Toute la scène est baignée d'une lumière verte, couleur de l'opéra. Dans le même temps, une projection vidéo montre un embryon se développant jusqu'à son terme. La généralisation de la vidéo et du numérique simplifient aujourd'hui la tâche des metteurs en scène face aux demandes scénographiques nombreuses et complexes de Stockhausen qui prévoie également l'arrivée d'un train sur scène, la présence d'animaux, d'une roue de loterie, de rhododendrons… La mise en scène de Silvia Costa, qui réalise également la scénographie et les costumes, s'empare ainsi habilement des multiples indications du compositeur en allégeant au maximum le dispositif scénique pour laisser la place aux nombreux protagonistes de l'opéra et favoriser la lisibilité du propos. Durant ce premier acte, Eva, sous la forme de trois femmes (les sopranos Michiko Takahashi, Marie Picaut et Clara Barbier Serrano), donne naissance à sept enfants chimères mi humains-mi animaux, puis à sept nains avec barbe et bonnet rouge. Les femmes s'occupent des enfants, accueillent des matelots (Josué Miranda, Safir Behloul et Ryan Veillet) puis font danser les enfants dans leurs landaus. Mais arrive Luzifer, d'abord sous forme de tromboniste (Mathieu Adam) puis sous la forme de Luzipolyp, personnage drôle et méchant campé par la basse Florent Baffi et le comédien Elio Massignat, qui renvoie tous les enfants dans la matrice car jugés trop imparfaits.

L'acte II, Evas Zweitgeburt, a été donné auparavant en janvier 2025 à Lille, de même que l'acte III. Il met tout d'abord en scène un chœur de jeunes filles (Mädchenprozession) déambulant dans de belles robes lumineuses vertes en forme de fleur. Elles chantent un hymne à Eva évoquant la féminité, l'érotisme et la symbolique de l'opéra Montag. Un pianiste à tête de perruche (Alphonse Cemin) vient alors féconder la statue d'Eva afin qu'elle donne naissance à des humains « plus harmonieux, plus beaux, plus musicaux ». Montag aus Licht contient des éléments autobiographiques, dont une allusion à la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle Stockhausen a perdu ses deux parents, la mère du compositeur – atteinte de troubles mentaux – a été exécutée par les nazis et son père est mort au front. On peut cependant s'interroger sur la naïveté du propos aux accents eugénistes de cette phrase et du sens de cet acte en regard de la conclusion du premier. Les sept enfants – formidables solistes du Trinity Boys Choir (direction : Nicholas Mulroy) – chantent en compagnie de Mushi (Pia Davila-Chacon), avatar d'Eva. L'acte comporte aussi des numéros musicaux avec les personnages de Cœur de basset (Iris Zerdoud) et du duo Busi et Busa (Joséphine Besançon et Alice Caubit), dans lesquels les trois bassetistes doivent interpréter de mémoire une partition où musique et gestuelle sont extrêmement codifiées par Stockhausen.

Le dernier acte, Evas Zauber, est divisé en deux sections principales. Dans la première, Botschaft, Eva – toujours sous la forme de Cœur de Basset – est encore une figure érotique. Vient ensuite Kinderfänger, suivie de Entführung, qui reprend le thème du joueur de flûte de Hamelin, nouvelle allusion à l'univers du conte après les sept nains du premier acte. Dans cette dernière partie, Ave – flûtiste miroir d'Eva, interprétée par la virtuose Claire Luquiens – envoûte les enfants par son jeu. Ces derniers vont se mettre à suivre la flûtiste et à disparaître en répétant les mots « Zeremonie » et « Magie » qui sont les deux qualités spirituelles attribuées au jour de lundi par le Stockhausen. À la fin de l'acte, tous les protagonistes quittent la scène. La statue d'Eva vieillit et se transforme en montagne ; des buissons poussent et l'envahissent progressivement.
L'effectif vocal pléthorique et les solistes instrumentaux sont accompagnés par un « orchestre moderne » composé de synthétiseurs et de percussions. Quatre chœurs d'enfants : la Maîtrise de Radio France (direction : Sofi Jeannin), la Maîtrise de Paris (direction : Pierre-Louis de Laporte), le Jeune Chœur des Hauts-de-France (direction : Pascale Diéval-Wils) et le Trinity Boys Choir (direction : Nicholas Mulroy), le Chœur de l'Orchestre de Paris (direction Richard Wilberforce et Pierre-Louis de Laport) ainsi que les solistes vocaux et instrumentaux, tous placés sous la direction de Maxime Pascal, donnent vie avec engagement, enthousiasme, musicalité et virtuosité à cette partition multidimensionnelle aussi belle qu'exigeante musicalement.
Crédits photographiques : © Denis Allard
















