De Trisha Brown aux van Opstal, une soirée toute en Contrastes
A l'Opéra Garnier, la soirée « Contrastes » réunit deux pièces de Trisha Brown, O zlozony / O composite et le solo If you couldn't see me, qui entre au répertoire, tout comme Anima Animus du chorégraphe britannique David Dawson. Avec Drift Wood, Imre et Marne van Opstal, originaires des Pays-Bas, sont invités pour la première fois à créer pour le Ballet de l'Opéra de Paris.
Quel plaisir de revoir ces deux pièces de Trisha Brown ! La soirée commence avec une lumineuse Dorothée Gilbert dans O Zlozony / O Composite, un trio, sophistiqué et subtil de Trisha Brown, aux côtés des non moins superbes Marc Moreau et Guillaume Diop, comme en lévitation. Déjà présente au répertoire, la pièce avait été créée en 2004 par la chorégraphe emblématique de la post-modern dance américaine pour Aurélie Dupont, Manuel Legris et Nicolas Le Riche, qui s'étaient rendus à New York pour travailler dans le studio de Trisha Brown. Pour cette prise de rôle, Dorothée Gilbert fait preuve de beaucoup de calme et de quiétude dans cette interprétation souple et précise, pour un rôle sans expressivité, mais qui nécessite une redoutable précision, alimentée par les comptes. La musique de Laurie Anderson s'appuie sur les dix premiers vers du poème Renascence d'Edna St. Vincent Millay, que Trisha Brown a transposé dans un alphabet de mouvements. Le décor étoilé signé Vija Celmins nous propulse dans la voie lactée, entre Grande Ourse et galaxies lointaines. Magique !
Entièrement dansé de dos par Hannah O'Neill, If you couldn't see me est plus ancien, créé en 1994 par Trisha Brown. Pour cette entrée au répertoire de l'Opéra de Paris, ce remarquable solo a été transmis à Germain Louvet, Hannah O'Neill et Letizia Galloni, qui le danseront en alternance. Lors de cette soirée de Première, c'est Hannah O'Neill qui est sur scène, sans que l'on puisse apercevoir son visage, sinon très fugacement. C'est Robert Rauschenberg, que la chorégraphe avait rencontré dans les années 60 chez Cunningham, qui avait alors suggéré à la danseuse de 56 ans de se produire sans jamais faire face au public, dans un costume blanc moulant qui exposait son dos. Rauschenberg a également composé la partition électronique de l'œuvre.
Hannah O'Neill parvient à reproduire à la perfection le style pourtant inimitable de la chorégraphe américaine, entre tenue du buste et relâchement autour des hanches qui forment pivot. L'ensemble du solo, extrêmement exigeant, offre un subtil équilibre entre le basculement des hanches et l'inclinaison du buste, le pivotement des jambes faisant écho au lancer des bras, chutant brusquement, entraînés par la gravité.
Contrastes en noir et blanc (d'où le titre du programme) pour cet élégante pièce signée David Dawson, créée en 2018 pour le San Francisco Ballet et qui entre au répertoire du Ballet de l'Opéra national de Paris. Anima Animus joue sur un subtil mélange de contrastes, dont le plus significatif est le concept de Carl Jung d'animus (l'aspect masculin de la psyché féminine) et d'anima (l'aspect féminin de la psyché masculine). Le blanc et le noir se combinent dans les costumes, comme ceux de Beach Birds de Cunningham et dans une scénographie architecturée avec des découpes qui lui confèrent un format cinématographique. Ce ballet néoclassique sur pointes offre une écriture à la fois pleine d'élévation et ancrée vers le sol, pour des portés sophistiqués et compliqués, presque trop, mettant en jeu des trios de deux hommes et une femme.
Valentine Colasante et Bleuenn Battistoni assurent les deux rôles féminins principaux, soutenues par la frise de quatre garçons, Paul Marque, Marc Moreau, Germain Louvet et Andrea Sarri, nommé premier danseur au début de l'année, qui, puissant et félin, est une révélation. Cette distribution de Première offre un très beau mélange des générations entre jeunes étoiles et premiers danseurs et des étoiles plus confirmés, hyper solides et fiables. Une remarquable technique et une confiance absolue des danseurs entre eux sont en effet nécessaires pour assurer ces portés d'une main.
Les six autres danseuses arrivent en nuée d'étourneaux ou participent à l'envolée de ces mouettes ou goélands, mais on exprime une légère déception devant le manque d'inventivité de la chorégraphie. Certes, il y a de très belles lignes, harmonieuses, pures.
Certes, le mouvement est vif, rapide, très précis avec des ports de bras étirés qui se terminent mains relevées et poignets cassés. Mais en dehors de la beauté des lignes, on n'éprouve pas beaucoup d'émotion dans ce ballet de pure abstraction.
La soirée s'achève par la création de Drift Wood (bois flotté) par le duo de chorégraphes contemporain Imre et Marne van Opstal. C'est à un portrait de famille que l'on pense en premier devant ces douze danseurs et danseuses contemporains de l'Opéra de Paris. La famille dont viennent la fratrie d'Imre et Marne van Postal, frères et sœurs, chorégraphes hollandais formés au Nederlands Theater.
Dans une scénographie de murs de béton tavelés, qui s'écartent peu à peu pour laisser apparaître d'immenses toiles de paysages flamands, magnifiquement éclairés par Tom Visser, les danseurs en costumes aux tons passés, tendance western vintage pour les filles, plus amples pour les garçons, sont visiblement très séduits par les mouvements tournoyants et arqués que leur proposent les deux chorégraphes et de très beaux duos avec des portés et des glissés étonnants et étourdissants. Comme à chaque fois que l'on crée pour eux et sur eux, les jeunes danseurs de l'Opéra se donne à fond et ont répondu à 100 % à la proposition des chorégraphes. Soliste omniprésent, Loup Marcault-Derouard sert de partenaire à plusieurs danseuses, Caroline Osmont, Ida Viikinkoski ou Clémence Gross et ils sont tous formidables dans ce style déjà un peu trop vu, qui ne renouvelle pas vraiment le regard sur la danse. Néanmoins, la façon qu'ont les deux chorégraphes néerlandais de mettre en jeu les corps est intéressante, avec une belle plasticité des danseurs et un message sur l'originalité et l'identité de chacun. Autre danseur à remarquer, Eric Pinto Cata, danseur venu d'Angleterre et ayant rejoint récemment la compagnie, extraordinairement mobile et élastique.














