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L’Enlèvement au sérail à la Monnaie, drame psychologique

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Bruxelles. Théâtre Royal de la Monnaie. 15-IX-06. Wolfgang Amadeus Mozart (1858-1791)  : Die Entführung aus dem Serail, singspiel en 3 actes sur un livret de Gottlieb Stephanie. Mise en scène : Christoph Loy, reprise par Bettina Giese ; Décors et costumes : Herbert Murauer ; Lumières : Olaf Winter. Avec : Christoph Quest, Pacha Selim ; Hendrickje Van Kerckhove, Blonde ; Marlis Petersen, Constance ; Pavol Breslik, Belmonte ; Peter Marsh, Pedrillo ; Jaco Huijpen, Osmin. Chœurs de la Monnaie (chef de chœur : Piers Maxim), Orchestre symphonique de la Monnaie, direction : Paul Daniel.

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L'année Mozart se poursuit à la Monnaie avec en ouverture de saison la reprise de la production de l'Enlèvement au sérail créée en 1999. Coproduite par l'opéra de Francfort, cette mise en scène signée Christoph Loy a été récompensée par le magazine allemand Opernwelt.

C'est un Enlèvement inhabituellement long qui est proposé, car en plus de la partie musicale, la soirée est allongée par la reprise de l'intégralité des dialogues parlés. C'est un choix qui peut être intéressant pour un théâtre allemand, mais qu'un public non germanophone pourra trouver lassant : ces dialogues sont loin d'être impérissables, et les longues plages sans musique, souvent étirées par d'interminables silences, cassent le rythme de la représentation. L'impression générale est donc plutôt celle d'un stage linguistico théâtral en allemand que celle d'une véritable représentation lyrique. L'ennui est renforcé par des décors minimalistes (une table, et six chaises disposées sur une petite scène), par un jeu d'acteurs très convenu, où la colère s'exprime par le jeter de chaises ou le retournement de tables, et par les partis pris du metteur en scène, longuement expliqués dans le programme. Cette note d'intention nous apprend que Christoph Loy voit l'Enlèvement comme un précurseur de Cosi fan Tutte, fonctionnant avec deux triangles amoureux, Selim-Constance-Belmonte et Osmin-Blonde-Pedrillo. Bien que déséquilibré, le premier est assez évident, mais Loy met à notre avis trop l'accent sur l'attrait que Constance a envers Selim, et quand il écrit que « Constance se met à comparer ses deux soupirants » ou que « Belmonte et Constance sont manifestement devenus des étrangers l'un à l'autre», on ne peut que protester, car rien dans le texte ni dans la musique ne le laisse supposer. Le second triangle est encore plus boiteux : Loy affirme que Blonde est flattée par l'amour (!!) que lui porte Osmin (elle se laisse peloter par lui pendant la majeure partie de la pièce), et que tout compte fait, Pedrillo l'ennuie peut-être. Tout ceci est très fantaisiste, et transforme le tyran Osmin, personnage le plus antipathique et le moins humain de Mozart en amoureux transi, et l'Enlèvement au sérail, hymne à la jeunesse, à la liberté et à la tolérance, en un pompeux et moralisateur drame psychologique.

Contestable d'un point de vue scénique, la soirée est musicalement d'un niveau acceptable, mais guère transcendant. est une Constance crédible physiquement, mais au chant problématique : justesse très approximative, inégalité des registres, émission douloureuse et forcée, médiocre contrôle du souffle : elle couine ses aigus, et livre un « Ach ich liebte » sans grâce, et un « Traurigkeit » à la ligne cahoteuse. On craint le pire pour le « Marten aller Arten », mais elle s'en tire remarquablement bien, grâce à ses excellentes qualités de vocaliste, et à un investissement dramatique convaincant, bien qu'un peu forcé par une direction d'acteurs qui l'oblige à beaucoup de gesticulations inutiles et périlleuses pour la qualité du chant. Elle retombe dans ses travers dans le quatuor puis dans son duo avec Belmonte, mais en conservant un niveau bien plus honorable qu'au début. Ferrando, très apprécié ici même dans le récent Cosi fan Tutte, est un peu moins marquant en Belmonte. La voix est toujours aussi belle et ensoleillée, et l'intonation toujours aussi sûre, mais on le sent nerveux. La phrase est parfois hachée, et il a du mal à alléger « Ich baue ganz ». Blonde est incarnée par la jeune et jolie chanteuse belge , joyau de cette distribution, au timbre coloré et charnu, qui phrase avec beaucoup soin, et qui est la seule, au-delà des notes, à proposer une véritable interprétation vocale de son personnage. Son fiancé Pedrillo trouve en Peter Marsh un interprète crédible, et sûr, même si le timbre assez pointu manque de séduction. Jaco Huijpen est un Osmin stylé et bien chantant, mais dont le timbre manque un peu de noirceur, et dont les graves n'ont pas assez de métal. Osmin falot et velléitaire, il s'intègre bien dans cette production. Christoph Quest s'intègre bien lui aussi aux vues du metteur en scène, et l'acteur est de talent, même si on peut regretter qu'il en fasse trop dans le genre neurasthénique à tendances violentes (que Constance puisse envisager le préférer à Belmonte est cocasse).

A part une Constance à éclipses, la distribution est donc de qualité, et pourrait faire des étincelles si elle se produisait sous une baguette plus inspirée que celle de . Le chef semble tout à fait perdu dans l'œuvre, et nous livre un brouillon mal torché. Sa direction est arythmique, lourde et imprécise, les tempi sont fluctuants, mettent souvent les chanteurs en péril, et les décalages avec le plateau sont presque la règle. En milieu de série, et venant d'un chef réputé et qui a une longue expérience lyrique, ce naufrage est assez incompréhensible. Mal dirigé, l'Orchestre de la Monnaie est dans un de ses pires soirées, indiscipliné, rugueux, instable, un supplice !

Au final, une soirée « prise de tête » très décevante, qui ne renouvelle pas les précédents succès mozartiens de la Monnaie que furent Il re pastore et Cosi fan Tutte. L'année Mozart bruxelloise se terminera en fin de saison par la troisième reprise en trois ans de la Flûte enchantée.

Crédit photographique : © Johan Jacobs

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