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Le Palais Garnier, 150 ans d’un théâtre mythique

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Palais Garnier, Paris. Du 15 octobre 2025 au 15 février 2026.
Le Palais Garnier, 150 ans d’un théâtre mythique. Exposition de l’Opéra national de Paris et de la Bibliothèque nationale de France. Commissariat : Mathias Auclair, Benoît Cailmail, Boris Courrège et Inès Piovesan.

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Alors que l'on célèbre les 150 ans de la construction du , l'exposition coproduite par l'Opéra national de Paris et la Bibliothèque nationale de France, nourrie de pièces majeures issues des fonds de la BnF et de prêts parisiens, fait le choix d'un parcours thématique et très lisible, qui éclaire trois dimensions inséparables d'un même mythe : un geste politique, un creuset chorégraphique et un imaginaire toujours vivant aujourd'hui.

Le naît d'un concours d'architecture lancé après l'attentat de 1858 contre Napoléon III, alors que le Théâtre national de l'Opéra se produit depuis 40 ans dans la salle Le Peletier, qui ne devait être que provisoire. Charles Garnier l'emporte en 1861 sur ses très nombreux concurrents, dont Viollet le Duc, par l'intelligence d'un plan qui hiérarchise les parcours : l'entrée impériale (la Rotonde de l'Empereur), l'accès réservé aux abonnés (la Rotonde des Abonnés) et la grande façade ouverte sur la place de l'Opéra. Des maquettes, des dessins, et un somptueux carton du Grand Escalier font percevoir cette dramaturgie de l'espace voulue par le jeune architecte. Le public passe du vestibule sombre au vertige lumineux du Grand Escalier, puis découvre l'apothéose du Grand Foyer, citant à la fois la Galerie des Glaces et les palais d'opéras romantiques.

Inauguré le 5 janvier 1875, l'édifice devient aussitôt un enjeu politique et un destin de palais national. Comment une République naissante s'approprie-t-elle un palais marqué du sceau impérial pour en faire un creuset républicain ? L'exposition montre comment après la mise en sommeil budgétaire des années 1870, l'État prend conscience de l'urgence d'achever le chantier après l'incendie de l'Opéra de la rue Le Peletier en 1873. C'est un succès immédiat, et c'est l'affluence pour admirer l'architecture tout autant que pour assister au spectacle, comme en témoignent les gravures montrant la foule place de l'Opéra, le beau tableau d'Henri Gervex représentant le Bal de l'Opéra ou les programmes de gala proposés aux spectateurs.

La salle traverse tant bien que mal les deux guerres mondiales. Alors que les artistes sont envoyés au front en 1914, il faut un an au théâtre pour retrouver une activité scénique. Son directeur, Jacques Rouché, soutient l'effort de guerre et accueille des galas en faveur des blessés et des orphelins de guerre. Pendant l'occupation, le maintient sa programmation et devient une vitrine de la collaboration culturelle franco-allemande. L'exposition présente notamment les photos de l'unique visite d'Adolf Hitler au Palais Garnier. En 1918, puis en 1944, alors que la foule converge spontanément place de l'Opéra pour célébrer Armistice et Libération, le Palais Garnier occupe la place centrale et symbolique que revêt aujourd'hui l'Opéra Bastille lors des manifestations. Au fil de la IVe puis de la Ve République, la dimension protocolaire s'affirme : Carmen, dont un costume est présenté, devient, en 1959, la vitrine des grandes soirées d'État ; et le geste de Malraux commandant à Chagall en 1962 un nouveau plafond pour l'Opéra est aussi le symbole de la reprise en main par le pouvoir de la politique des théâtres nationaux.

Garnier devient le palais de la danse

Garnier n'est pas, originellement, « un théâtre de ballet » : il est conçu pour le grand opéra à la française, un genre déjà en repli lors de l'ouverture. L'architecture elle-même s'inspire de la culture opératique et conçoit comme des décors d'opéras un Foyer transformé en « salle de palais », ou un escalier monumental comme élément de mise en scène. Des maquettes et des dessins rarement montrés permettent de voir l'analogie entre l'univers du décor et le décoratif.

Et pourtant, c'est par la danse que le Palais se régénère au XXe siècle. Dès 1910, les Ballets russes imposent la sensualité et la modernité de Vaslav Nikinsky dans L'Oiseau de feu ou de dans Shéhérazade, de Michel Fokine, que le peintre Jacques-Emile Blanche a immortalisé dans un tableau conservé à la Bibliothèque Musée de l'Opéra de Paris. Après la parenthèse de la Seconde Guerre mondiale, , ancien danseur des devenu maître de ballet en 1929, redonne son prestige et son autonomie au corps de ballet. Chaque semaine, une soirée est consacrée à la danse. Il obtient la fermeture du Foyer de la danse aux abonnés, qui signe la fin d'un privilège mondain et d'un système de protection ambigu, et contribue à la professionnalisation des danseuses et des danseurs.

Les décennies suivantes consolident ce tournant : création d'un poste de « directeur de la danse » dans les années 1970, reconstitutions de ballets romantiques, comme La Sylphide en 1972, par , arrivée de Noureev qui recrée de nombreux ballets classiques, dont La Bayadère qui rejoindra le répertoire en 1983 (une maquette du décor d'Ezio Frigerio est présentée dans l'exposition) et dialogue constant entre patrimoine et création. L'ouverture de l'Opéra Bastille en 1989 modifie un peu l'image du Palais Garnier, qui demeure la maison du Ballet (les danseurs y ont leurs loges et y répètent) mais sans exclusivité : le lyrique y reprend régulièrement ses droits, tandis que la danse investit la Bastille. Documents de travail, affiches, maquettes et costumes tracent ces circulations ; ils montrent surtout comment la danse, qui n'était autrefois qu'un ornement, devient à Garnier un art structurant pour l'identité de l'Opéra de Paris.

Encore aujourd'hui, Garnier est le palais des légendes

Le troisième volet de l'exposition explore ce qui fait d'un théâtre un mythe partagé, y compris par celles et ceux qui n'y ont jamais mis les pieds. Tout part d'un fait divers : le 20 mai 1896, un contrepoids du gigantesque lustre se détache, traverse la salle, tue une spectatrice. C'est une concierge qui avait obtenu sa place grâce à un billet de faveur, signe d'une politique de démocratisation naissante. L'émoi national est immense. Gaston Leroux s'en empare pour écrire en 1910 Le Fantôme de l'Opéra, un drame qui mêle les coulisses et les toits de l'Opéra Garnier, cultive le mystère autour de son lac souterrain et de sa machinerie. Manuscrit original, rares affiches du film de Julian Rupert en 1925 et photos de tournages montrent que la légende construite à partir du roman s'est aussi nourrie de la fascination réelle pour le bâtiment de la part du public.

Le cinéma amplifie cette fascination et la construction du mythe. Le Palais Garnier sert de décor à Funny Face en 1957, avec Audrey Hepburn descendant le Grand Escalier, à La Grande Vadrouille en 1966, ou à Marathon Man en 1976, jusqu'à des apparitions plus récentes dans des séries ou des dessins animés. L'exposition permet de visionner des extraits de nombreux films tournés au Palais Garnier, ou dont le théâtre est un personnage à part entière. Sur scène, la légende se poursuit. Roland Petit adapte Le Fantôme de l'Opéra dans les années 1980 sur la musique de Marcel Landowski, Hofesh Schechter cite le lustre dans son ballet Red Carpet et la mémoire des trois apparitions de Maria Callas, notamment dans Norma en 1964 – dont le costume est exposé, forge le mythe du théâtre autant que celui de ses interprètes.

Une exposition documentaire et symbolique

Les commissaires de l'exposition ont réussi à réunir des maquettes rarement montrées (dont une, spectaculaire, du dessous de l'escalier, avec ses jeux de miroirs), des plans, des affiches, des costumes et des tableaux prêtés par le Musée d'Orsay ou le Musée Carnavalet à Paris. Ces documents prouvent qu'un théâtre n'est pas seulement un lieu de représentation, c'est un manifeste du fonctionnement de la société, mais aussi un instrument politique et un creuset artistique. Le tout contribuant à forger et à alimenter la mémoire collective. L'exposition, très riche, montre comment une architecture scénarise la vie publique, comment la danse y a conquis sa place, et comment son histoire et les fictions construites autour d'elle ont fabriqué l'idée même de « Palais Garnier » alimentant ce sentiment de « déjà-vu » qui accompagne toute première visite.

Crédits photographiques : Louis-Émile Durandelle, Chantier de construction de l'Opéra Garnier. Façade principale, Photographie, © BnF, Bibliothèque-musée de l'Opéra ;  Charles Garnier, Nouvel Opéra. Élévation de la façade principale et des pavillons latéraux, 1861. Dessin ©BnF, Bibliothèque-musée de l'Opéra ;  Henri Gervex, Le bal de l'Opéra, 1885. Huile sur toile © Musée d'Orsay, Dist.GrandPalaisRmn / Patrice Schmidt ; Jacques-Émile Blanche, dans L'Oiseau de feu, ballet d'Igor Stravinski, 1910. Huile sur toile © BnF, Bibliothèque-musée de l'Opéra ; Affiche pour Le Fantôme de l'Opéra. film de Julian Rupert, 1925, d'après Gaston Leroux © BnF, Arts du spectacle

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1 commentaire sur “Le Palais Garnier, 150 ans d’un théâtre mythique”

  • Joseph Zemp dit :

    à noter le roman de notre écrivain suisse Etienne Barilier: « Ma seule étoile est morte » de 2006 aux éd. Zoe de Genève, une histoire dramatique autour dun corps de ballet de Garnier.
    Joseph Zemp

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