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Perelà de Pascal Dusapin à Montpellier

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Montpellier. Opéra-Berlioz / Le Corum. 11.V.2003. Pascal Dusapin : Perelà, l’Homme de fumée. John Graham-Hall ; Nora Gubisch ; Chantal Perraud ; Isabelle Philippe ; Martine Mahé ; Daniel Gundlach ; Scott Wilde ; Niels Van Dœsum ; Gilles Yanetti ; Isabelle Pierre etc Chœurs de l’Opéra National de Montpellier ; Orchestre National de Montpellier. Direction : Alain Altinoglu Mise en scène : Peter Mussbach ; Décors : Erich Wonder ; Costumes : Andrea Schmidt-Futterer ; Lumières : Alexander Koppelmann.

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« Pourquoi ma passion pour l'opéra ? C'est pour moi le meilleur moyen de rendre ma pensée » déclare Luigi Dallapiccola dans ses Notes sur l'Opéra contemporain. pourrait faire sienne cette formule simple.

Son parcours est celui d'un compositeur discret, pudique, en tout cas l'un des plus doués de sa génération (lire à ce sujet l'entretien de Bruno Serrou ainsi que sa relation de la création de Perelà, « Christ de Fumée »). Ce que démontrent ses atypiques concertos pour violoncelle, trombone ou flûte solo récemment publiés. Adepte d'une esthétique originale, ouverte notamment aux micro-intervalles, sa science de l'orchestration est prodigieuse. Langage complexe certes, mais toujours accessible, empreint d'une émotion palpable.

En transposant dix des nombreux chapitres du livre à tiroirs d'Aldo Palazzeschi – dix-sept précisément – Il Codice di Perelà, le musicien nancéien livre une partition ambitieuse. Pour son quatrième ouvrage, il a construit un aérostat sonore, une musique des sphères aux bruissements surréels baignant dans des tonalités ombreuses. Troublante parabole métaphorique à mi-chemin entre l'oratorio et un « opéra spatial baroque », d'une beauté saisissante, auréolé de demi-lueurs spectrales. Dusapin recourt par intermittences à une fanfare animée de Jazz Band (comme Schulhoff dans Flammen) au cours des tableaux du bal et du procès. Perelà est une fable allégorique au message percutant, constellée d'accords immatériels, engendrant des entrelacs de couleurs oniriques, évaporées, à l'instar du personnage lui-même.

L'argument de ce conte ésotérique est simple et … non fumeux : le personnage principal est une entité messianique. Est-il le Sauveur, un énigmatique prophète, un visiteur impromptu ?… Il décline en fait toutes ses « identités » : trente-trois ans, origine stratosphérique, fils d'une obscure triade (une sorte de Sainte Trinité). Ce marcheur du ciel revient dans une insolite société post-apocalyptique (la Terre, anéantie par quelque chaos nucléaire ?). Sa tâche n'est pas facile à déterminer, sauf peut-être un idéal de pureté à transmettre : une ultime et désespérée tentative de rédemption de l'Homme. Au final, la mission salvatrice s'avère un nouvel échec : démuni de tout pouvoir, c'est un wanderer-pèlerin, incompris, qui assiste en témoin désabusé à l'effondrement d'une civilisation caduque. Il sera rapidement suspect, arrêté puis condamné à la réclusion, à l'issue d'un procès kafkaïen, avant de s'abîmer dans les airs par désagrégation. Qui resterait en effet sur une planète dévastée, au sol volcanique de cratère lunaire, une Dead Zone peuplée de mutants difformes et d'humanoïdes visqueux ?

La mise en scène est une fabuleuse réussite. Au plan visuel, les références à la science-fiction sont multiples. Avec un zeste de poésie futuriste, le second tableau s'ouvre sur un jardin paradisiaque (un étrange Éden). Serait-ce une allusion volontaire au domaine enchanté de Klingsor, agrémenté d'ondulantes filles-fleurs géantes ? Cela semble de la peinture sur verre, artifice qu'utilisent les cinéastes spécialisés dans le genre fantastique. Les habitants grotesques de ce monde hideux ressemblent à la faune interlope de l'astroport de Mos Esley sur la planète Tatouïne, jailli de l'imagination fertile de Georges Lucas, auteur de la mythique trilogie Star Wars. Ou évoquent l'armée des redoutés Cylons de la série-culte Galactica, ou encore l'infini ensablé de Dune. se révèle ici digne héritier de David Lynch ou de Ridley Scott (Blade Runner) : on retrouve le perfectionnisme virtuose de leurs effets spéciaux.

Perelà, à la silhouette longiligne, s'apparente presque à un hologramme lumineux, flottant, en apesanteur sur la scène. Et pourtant l'étonnant ténor anglais , grimé tel un Monsieur Hulot mâtiné du savant fou de Retour vers le futur est un être physique, non une image virtuelle. Aux dires de , la difficulté de la partie vocale se situe dans ce « Bel canto » boréal. Je parlerais de tessitures effroyables. En l'occurrence, le rôle-titre, tendu comme un arc, requiert deux voix, une de ténor élégiaque, de grâce et d'agilité ; une deuxième, de tenor altino ductile dans le registre falsetto. Par rapport à sa prestation parisienne, il a même amplifié la force de son incarnation : bouleversant, lors de l'apothéose finale d'ange déchu proche de Peter Grimes.

, en madone sensuelle au « look » branché surgie du Cinquième Elément, est souveraine. Au plan psychologique, on songe à Kundry et Marie Madeleine. La ligne vocale, retorse, pourrait lui être fatale. Elle unit l'arioso âpre, la cantilène languide au cantabile véhément, parfois a capella. Les points forts de l'artiste : une voix homogène, un ample haut médium, pour une typologie convoquant les extrêmes de la tessiture de mezzo-soprano dramatique. Et un timbre miroitant, des graves en acier trempé, des aigus phosphorescents.

Chaque soliste mériterait une remarque laudatrice – depuis la vieille femme de Martine Mahé en passant par le perroquet, la Reine ou l'Archevêque … Dans l'imaginaire stellaire de Dusapin, il n'est pas de protagoniste subalterne. La palme revient à et ses ineffables suraigus hystériques. Sans sombrer dans le dithyrambe, cette moderne Rappresentazione dell' Anima e del Corpo est magnifiée par une direction d'orchestre et des chœurs exemplaires. La lecture météorique, visionnaire d' transfigure la phalange montpelliéraine, en perpétuelle ébullition. Des murailles instrumentales s'abattent sur l'auditoire, avec un sens inné du contraste rythmique, du détail harmonique (l'écriture vaporeuse des cordes ; celle, splendide, des vents) – et de la légèreté, concept esthétique ici fondamental . Le chapitre VIII du procès est du pur métal en fusion, cristallifère, d'une puissance déflagratrice – la percussion est belliqueuse à souhait. Puis survient le crescendo émotionnel de la pénultième séquence : le lyrisme cosmique de la dématérialisation organique de Perelà – son Assomption. Le moment de grâce suspendue du bref chapitre final transforme cette Passion Laïque en authentique fragment d'éternité.

Enregistrement prévu prochainement chez Naïve.

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