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A Genève, un Or du Rhin éclairé

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Genève. Grand Théâtre. 15-III-2013. Richard Wagner (1913-1886) : Das Rheingold, prologue en 4 scènes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Dieter Dorn. Décors et costumes : Jürgen Rose. Lumières : Tobias Löffler. Expression corporelle : Heinz Wanitschek. Vidéo : Jana Schatz. Avec : Tom Fox, Wotan ; Elena Zhidkova, Fricka ; Agneta Eichenholz, Freia ; Thomas Oliemans, Donner ; Christoph Strehl, Froh ; Corby Welch, Loge ; Maria Radner, Erda ; John Lundgren, Alberich ; Andreas Conrad, Mime ; Alfred Reiter, Fasolt ; Steven Humes, Fafner ; Polina Pasztircsák, Woglinde ; Stephanie Lauricella, Wellgunde ; Laura Nykänen, Flosshilde. Orchestre de la Suisse Romande, direction : Ingo Metzmacher

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La majorité des grandes maisons lyriques profite de l'occasion offerte par ce qu'on a appelé « l'année Wagner » pour redorer leur blason en présentant l'œuvre majeure du citoyen de Weimar : L'Anneau des Nibelungen.

La réputation de Genève ne pouvait pas être en reste. Et tant pis si l'originalité de la démarche n'est pas des plus audacieuses. Au risque de recevoir les blâmes, voir les condamnations des « wagnerophiles » inconditionnels, la production genevoise se doit donc de rivaliser avec celle des plus prestigieuses scènes du monde. Un risque malgré tout bien courageux !

On sait combien ce conte fantastique a souvent permis les interprétations scéniques les plus osées, les plus fantaisistes, voir les plus controversées. Qu'allait-on montrer à Genève était la question que les journalistes de l'arc lémanique se posaient alors que l'œuvre se montait depuis près de deux mois dans des locaux aménagés spécialement dans les environs de la cité de Calvin. C'est dire si l'attente était grande au soir de la première. Dans les couloirs du Grand Théâtre, l'affluence germanique inhabituelle est palpable. La langue de Goethe résonne dans tous les recoins du théâtre.

Alors que les spectateurs prennent peu à peu place, dans la fosse, on entend, comme à l'accoutumée des spectacles d'opéra, des musiciens qui répètent encore quelques traits de la partition. Rideau levé, des images vidéo de guerres, d'avions de chasse, de chars d'assaut en noir et blanc sont projetées sur le fond de scène totalement noir. Donnant l'étrange impression qu'on met encore au point les derniers détails du spectacle. Quand, pendant l'ouverture magistrale de cet Or du Rhin, on amène un amas montagneux de caisses de bois, poussé par des personnages entièrement noircis pendant que d'autres figures enveloppées de toiles légères traversent la scène en patins à roulette, ces images parasitent la musique de Wagner. On en vient à craindre le pire sur l'imperméabilité du discours scénique que le metteur en scène allemand va proposer.

Dans un sentiment de légère déconvenue, le spectateur voit bientôt un pan des caisses de bois s'ouvrant pour laisser place au chant des Filles du Rhin. Lorsqu'il se referme, les trois grâces, passent tour à tour devant le « rocher » en patin à roulettes, avant de reprendre leurs mélopées. (Habile subterfuge scénique remplaçant les cantatrices par des sosies montées sur roulettes !) Jusque-là, il s'avère un peu difficile d'entrer dans l'univers de . Mais, dès que Alberich () apparaît, le théâtre reprend ses droits. Magnifiquement dirigé, le baryton est un « nain maléfique » dont la prestance théâtrale parfois excessive reste très crédible, ce d'autant plus qu'il s'ingénie à donner un caractère de méchant en forçant un instrument vocal dans des accents terrifiants proches du parlé-chanté.

Alors, petit à petit, nous emmène dans son théâtre. Il éclaire le propos et y démontre une belle capacité scénique à s'en tenir à ce que l'intrigue wagnérienne raconte. Et ce n'est pas aisé quand on sait que, dans la dizaine de personnages de cet opéra, chacun y tient un rôle bien particulier. Le metteur en scène allemand emploie habilement les chanteurs pour ce qu'ils sont, et non pas pour ce qu'il voudrait qu'ils soient. C'est toute la difficulté du théâtre lyrique par rapport au théâtre parlé où l'acteur est « au service » du metteur en scène. Presque avant le texte.

Ainsi, si tous les chanteurs de cette distribution ne sont pas de grands acteurs, ils apparaissent tous bien campés dans leurs rôles. A l'instar de la soprano (Fricka) qui exprime mieux vocalement que théâtralement son souci de femme sensible à l'inconcevable marché conclu par Wotan avec les géants Fasolt et Fafner. Même si on aurait aimé qu'elle démontre plus d'autorité, de véhémence, avec sa diction claire, la voix de la soprano russe reste magnifiquement bien conduite sur tout le registre, conférant à son personnage une grande noblesse.

(Wotan) ne convainc pas totalement dans l'autorité du « dieu-en-chef » de L'Or du Rhin. Avec une voix cassant légèrement dans ses aigus, il est déjà le Wanderer de Siegfried.

Mais la voix n'est pas tout. A preuve le ténor (Loge) dont la diversité du jeu scénique, la présence, l'entregent, l'humour font oublier qu'il n'a rien d'exceptionnel dans la voix. Ou peut-être, au contraire, est-ce son formidable talent d'acteur qui fait oublier la beauté de la voix. Reste que son entrée sur scène est un pur moment de bonheur, et que son personnage débridé, totalement décontracté nous plonge dans la comédie loufoque. Autre confirmation du talent de l'utilisation des chanteurs par Dieter Dorn.

Admirable encore, la manière de diriger théâtralement et musicalement les deux frères géants Fasolt () et Fafner (), le premier, avec une voix empreinte de douceur, les aigus quelque peu serrés, reste amoureux de Freia, la fille de Wotan, et la préférant à l'Or du Rhin, alors que Fafner, la voix plus dure, plus franche, s'empare de l'or en tuant son frère. Deux caractères tant musicaux que théâtraux superbement dessinés.

Si jusque-là le théâtre reste toujours présent grâce à la parfaite direction d'acteurs de Dieter Dorn, la véritable émotion musicale tarde. Dans la fosse, l' apparaît souvent bien timide. La faute à la direction d'orchestre d' qui favorise la place des chanteurs. Il semble que Wagner méritait plus d'orchestre, plus de volume sonore que cette approche presque chambriste choisie par le chef allemand.

Cette apparente retenue s'avère bienvenue quand Maria Radner (Erda) sortant du sol chante son injonction Weiche, Wotan, weiche ! à Wotan. Avec sa voix d'une douceur extrême, son legato apaisant, la contralto allemande offre, soutenue par un tapis musical d'exception d'un retrouvé, l'un des moments musicaux les plus émouvants de cette soirée.

Malgré les indéniables qualités de ce spectacle, il laisse cependant une légère impression de d'inaccomplissement, de creux dans la réalisation. Certains moments sont enthousiasmants, alors que d'autres restent quelconques. Peut-être faut-il rechercher cette inégalité, dans le choix des décors () parfois impressionnants (comme ceux qui montrent le royaume de Nibelheim, et ses formidables structures métalliques), parfois esthétiquement beaux (comme cette tente blanche abritant Wotan, Fricka, Doner et Froh avançant du fond de scène vers l'avant), mais plus souvent malheureusement kitch (comme cette envol au Walhalla, dans une nacelle qu'emporte un ballon –à l'interminable gonflage- devant une toile arc-en-ciel)-

Même si la lecture wagnérienne de Dieter Dorn mériterait une simplification, un dépouillement scénique, son spectacle a reçu une ovation prolongée d'un public acquis à la cause du metteur en scène allemand. Tout comme les interprètes, au premier rang desquels le baryton (Alberich) s'est offert la part du lion.

Crédit photographique : (Alberich), (Flosshilde), (Wellgunde), (Woglinde) ; (Loge), Elena Zhidkova (Fricka), (Wotan) © GTG/Carole Parodi

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