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Festival Messiaen : une 18e édition à haute tension

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Festival Messiaen au Pays de la Meije. 11 au 19-VII-2015

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©Colin SamuelsCe 19 juillet, Gaëtan Puaud et toute l'équipe du festival ont bouclé une 18e édition à haute tension, qui, sans les aléas climatiques, aurait pu culminer à 2 400 mètres d'altitude !

La montée sportive du col du Galibier, passage obligé cette année pour accéder par le nord au village de La Grave, en raison de la fermeture du tunnel de Chambon, n'avait en rien découragé les aficionados du Festival Messiaen au Pays de la Meije. L'édition 2015 explorait la filiation Messiaen, Boulez, Mâche à travers la thématique Occident-Orient/Orient-Occident – la formule « non-rétrogradable » aurait plu au Maître de la Grave ! – clé de voûte du cheminement créateur des trois musiciens. C'est Olivier Messiaen, fasciné par l'Extrême-Orient, qui attise la curiosité de ses deux élèves, Pierre Boulez et François-Bernard Mâche, tous deux opérant, chacun à leur manière, « la rupture du cercle d'Occident ». Témoin de l'enrichissement sonore offert par l'écoute des musiques indonésiennes, le Marteau sans maître était donné par l'Ensemble Les Temps modernes et la mezzo-soprano Isabel Soccoja au tout début du festival.

François-Bernard Mâche, entre nature et culture

Si Pierre Boulez, dont on fête les 90 ans, ne pouvait être présent à La Grave, François-Bernard Mâche, tout juste 80 ans, était en résidence cette année, invité à présenter un large pan de sa création, aussi originale que fascinante. Normalien et agrégé de Lettres classiques, docteur en musicologie et professeur honoraire de l'EHESS depuis 1993, Mâche mène de front une carrière d'universitaire et de compositeur. Rebuté par l'aspect trop intellectuel du post-sérialisme boulézien des années 50, qui, dit-il, « fait double emploi avec sa formation de normalien », il préfère rejoindre Pierre Schaeffer au sein du Groupe de Recherches Musicales, s'appropriant sa démarche expérimentale autour de l'objet sonore. Familier de l'enregistrement et du travail de studio, il s'engage alors dans une voie personnelle et aventurière visant à intégrer les sons-bruits – oiseaux, grenouilles, baleines et autres sources naturelles captées sur le vif – à l'écriture instrumentale traditionnelle : une manière, dit-il en philosophe, de penser l'harmonisation de l'homme et de la nature et de « manifester l'unité du monde ».

©Colin SamuelsAinsi assiste-t-on pour la première fois dans l'église de La Grave à un concert électroacoustique, cinq haut-parleurs se substituant ce soir aux interprètes. Étayées des commentaires du compositeur, sept pièces se succèdent, de la miniature (la Porte, en hommage à ) à la grande fresque sonore Tempora pour échantillonneurs et séquenceur. Cette promenade dépaysante dans le jardin de sons du compositeur est, à l'origine, une pièce instrumentale créée en 1989 par Michael Levinas, Tristan Murail et , trois membres de l'ensemble Itinéraire, virtuoses des claviers électroniques. (15/07)

Dès 1953 (Toccata), Mâche se passionne pour le clavecin, l'instrument moderne remis à l'honneur par Wanda Landowska, dont il entend développer les qualités percussives et métalliques, souvent empreintes d'une certaine violence. En témoignent les cinq pièces, acoustiques et mixtes – Mâche en écrit douze au total – qui sont jouées par Matthieu Dupouy dans la Salle du Dôme de Monêtier-Les Bains. Témoin des influences multiples et lointaines qui irriguent toutes ses compositions, Korwar (1972) pour clavecin et bande concentre un matériau d'une extrême richesse, de la langue à clic xhosa aux grenouilles rieuses, en passant par le chant des baleines de Californie et le shama de l'Inde : autant de sources sonores fixées sur support, qu'il tresse avec l'écriture de clavecin dans un grand mélange exotique autant que coloré. (17/07 à 17h)

C'est cette même bande électroacoustique qui sert de support à Temes Nevinbür pour 2 pianos, 2 percussions et sons enregistrés (1973), évocation bruyante et acidulée d'un milieu tropical imaginaire, restitué avec une rare ferveur par l'excellente phalange réunissant Dimitri Vassilakis, , et Samuel Favre. (17/07 à 21h)

Danaé pour douze voix mixtes – excellent ensemble – autant que Styx pour deux pianos et huit mains font écho à la passion de Mâche (également diplômé d'études supérieures d'archéologie) pour la Grèce antique et la mythologie. Débutant un superbe concert qui affiche également les transcriptions pour deux pianos du Sacre du Printemps et d'Amériques d'Edgard Varèse – épatants , Cédric Tiberghien, et Styx (1984) relève de la pensée électroacoustique du compositeur (attaques et résonances, filtrage, nappes sonores). L'oeuvre puissante et sombre charrie un matériau sonore impressionnant et restitue de savantes polyrythmies comme seule la rumeur du monde peut en offrir le modèle. (12/07)

©Colin Samuels

L'oeuvre vocale d'Olivier Messiaen: une intégrale

Bien avant son unique opéra Saint-François d'Assise, Messiaen écrit – texte et musique s'entend – plusieurs recueils de mélodies pour voix et piano (tous créés par la fidèle Marcelle Bunlet et le compositeur au piano), ainsi que les Cinq Rechants pour 12 voix solistes (1948) dédiés à Marcel Couraud et son ensemble : autant d'œuvres à l'affiche de l'édition 2015 du Festival Messiaen.

Dans l'église de la Grave, la jeune et délicieuse Raquel Camarinha, accompagnée de main de maître par Yoan Hereau, donne d'abord Chants de terre et de ciel (1938), formant un diptyque avec Poèmes pour mi, écrits l'année précédente. Olivier Messiaen y célèbre d'un égal élan jubilatoire son mariage avec Claire Delbos et la naissance de son fils Pascal. La voix fraîche et délicate, merveilleusement expressive, de la soprano – qui assumait par ailleurs un programme des plus ambitieux – sert la ligne mélodique exigeante et souvent fantasque nourrie par les accords-couleurs du piano.

©Colin SamuelsEn soirée, Karen Vourc'h souffrante est remplacée au pied levé par la soprano qui chante Poèmes pour Mi accompagnée par . La voix au médium somptueux offre une sensualité et une profondeur dramatique tout autres aux treize mélodies du cycle scindées en deux Livres. Interprète des Estampes de Debussy fleurant l'Extrême-Orient (« Pagodes »), débute la soirée avec deux Études (n°1 et 3) de Pascal Dusapin, une musique libérée de toute contingence virtuose, qui, sous le toucher raffiné de la pianiste, confine à l'envoûtement. (13/07)

Chef-d'œuvre de la maturité, Harawi, chants d'Amour et de Mort (1945), est écrit un an après les Vingt regards sur l'Enfant Jésus, dont donnait une intégrale fulgurante lors de la précédente édition du festival. C'est le même « style oiseau », racé et gorgé d'énergie, qui nous émerveille cette année sous les doigts de la pianiste, alors que la soprano Elodie Hache enchaîne sans faillir les douze mélodies du cycle. Vaillance et tempérament de feu s'expriment chez nos deux artistes à travers une interprétation très habitée, instaurant autant de climats que de temporalités différentes.

Associés à Harawi, les Cinq Rechants pour douze voix mixtes (1948) constituent le deuxième volet d'une trilogie (complétée par Turangalîlâ Symphonie) dite « Tristan et Yseult ». Le thème de « l'amour à mort » fait écho aux premiers symptômes de la maladie mentale de Claire Delbos, qui allait séparer les époux. L'écriture des Cinq Rechants, redoutable pour les voix souvent conviées en soliste, véhicule une langue sonore et vigoureuse, soumise à des jeux de volumes, de registres et de dynamiques sans cesse contrariés. Inscrite au répertoire de et impeccablement conduite par Roland Hayrabedian, l'œuvre résonne ce soir avec un relief et une intensité soutenus dans l'église bondée du Chazelet. (14/07)

Les oeuvres en création

Comme chaque année depuis 2012, les étudiants en DAI (Diplôme d'Artistes Interprètes, répertoire contemporain et création du CNSMDP) pilotés par la violoniste Hae Sun Kang, sont en concert au pays de la Meije. A leur programme cette année, aux côtés d'œuvres superbement défendues de Boulez, Goubaidulina, Bedrossian et Gaussin, une création mondiale de Laurent Durupt, pensionnaire de la Villa Medicis en 2013-2014. Écrite à l'intention des jeunes interprètes, Vertical speed est une commande du festival pour quatuor à cordes, piano et accordéon. Le titre fait référence au crash du vol Air France Rio-Paris en 2009. Au sein d'une partition empreinte d'une certaine violence, avec des trames sonores quasi saturées et l'obsession de mouvements répétitifs, le moment très étale de la quatrième partie, « Veille », surprend, par sa constellation de figures légères (registre scintillant du piano et de l'accordéon, glissades furtives des cordes…) animant l'espace autour d'une fréquence assénée avec insistance, dont l'origine mystérieuse accentue d'autant le climat d'étrangeté qu'elle suscite. (16/07 à 17h)

20150716_21h_-13C'est l'excellent quatuor à cordes Bela – coup de cœur de l' en 2014 – qui assurait la seconde commande du festival passée à . Partition singulière autant qu'aboutie, son Quatuor à cordes n° 2 est donné entre le fougueux Eridan de François-Bernard Mâche et le rare Quatuor à cordes n° 2 de Benjamin Britten.

Un fidèle compagnonnage lie les Bela au compositeur dijonnais (1969). Sa pièce aux contours très ciselés instaure une sorte de théâtre de sons aussi inventif que subtil, donnant à chaque membre du quatuor un rôle soliste. Les sonorités con sordino évoluent dans des registres inhabituels, engendrant une chorégraphie de gestes et de figures sonores flexibles, qui captivent l'œil autant que l'oreille. Rien ne lasse dans cette « mise en scène » tirée au cordeau, à la faveur d'un engagement et d'une concentration de nos quatre « acteurs » qui forcent l'admiration. (16/07 à 21h)

Tristan Murail était présent dans la salle du Dôme de Monêtier-Les-Bains pour la création européenne de Travel Notes pour 2 pianos et percussions (, Dimitri Vassilakis, et Samuel Favre déjà cités), une formation renvoyant à Béla Bartók, dont on entendait la célèbre Sonate pour 2 pianos et percussions en fin de programme. Étonnamment, c'est vers le piano de Liszt que regarde Murail, avec ces cascades de notes ruisselantes dont il inonde le début de sa partition. Ce voyage à travers des paysages imaginaires auquel il nous convie est aussi un fabuleux travail sur le son, ses hybridations et résonances multiples qui fascinent. Convoquant un pupitre de percussions très diversifié, l'œuvre regorge de trouvailles sonores, telle cette partie de vibraphone à quatre mains (et huit baguettes) sur les accords-couleurs du piano, ou ce jeu d'ambiguïtés des sources sonores où pianos et percussions créent des interférences inouïes : du très grand art! (17/07 à 21h)

20150718_Festival_Messiaen_05Et Exspecto à 2 400 mètres

Tout était prévu pour que Et Exspecto Resurrectionem Mortuorum pour orchestre de bois, cuivres et percussions métalliques (dont on fête les cinquante ans de la création) résonne face à la Meije à 2 400 mètres. L'œuvre a été commandée à Messiaen par André Malraux pour célébrer la mémoire des morts des deux grandes guerres : « Il m'a semblé que la noblesse du sujet nécessitait cette orchestration majestueuse et puissante convenant à une cathédrale et aussi au plein air […] à La Grave, face au glacier de la Meije, dans ces paysages puissants et solennels qui sont ma vraie patrie ». A 15 heures, sous un ciel encore clément, l'Orchestre philharmonique de Strasbourg et son chef, Marko Letonja, donnent en répétition les cinq mouvements de cette œuvre au dépouillement grandiose. A 16 h 30, la scène spécialement aménagée pour l'occasion est balayée par l'orage… Nous reste donc en mémoire cette expérience première, saisissante autant qu'unique, de l'écoute des complexes sonores et de leurs résonances livrés aux espaces infinis !

Crédits photographiques : La Grave; François-Bernard Mâche; Ensemble ; Vanessa Wagner et ; Quatuor Bela; Orchestre philharmonique de Strasbourg (c) Colin Samuels

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