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Deux hommes et une femme : une rareté de Donizetti à l’Opéra de Tours

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Tours. Opéra. 3-III-2022. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Deux hommes et une femme, Opéra-comique en un acte sur un livret de Gustave Vaëz. Mise en scène : Vincent Boussard ; Assistant mise en scène : Jean-Philippe Pons ; Scénographie : Domenico Franchi ; Costumes : Christian Lacroix ; Lumières : Silvia Vacca Gary Vidéos : Nicolas Hurtevent. Avec : Patrizia Ciofi (Rita) ; Léo Vermot-Desroches (Pepe) ; Dietrich Henschel (Gasparo) ; Alicia Bitri (la figurante). Chœur de l’opéra de Tours (chef de chœur : Alice Dieval) et Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours : Vincenzo Milletari

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Donnée à titre posthume à l'Opéra-Comique en 1860, Deux hommes et une femme est une rareté de Donizetti dont le parcours reste nébuleux. L'Opéra de Tours nous propose cette œuvre piquante qui chatouille les oreilles à l'heure de « Me too ». 

On ne sait finalement pas grand-chose de cette œuvre que aurait composée autour de 1841 mais qui aurait été remaniée et retouchée pour la mettre à la mode du Second Empire. Même le titre est fluctuant car on le trouve parfois représenté sous le titre de « Rita ou le mari battu ». On y découvre donc Rita, une aubergiste à poigne qui bat son mari, le benêt Pepe, pour ne pas être battue elle-même. En effet, à la faveur de son premier aria, on découvre qu'elle est veuve d'un homme, Gasparo, qui la battait. Pour ne pas que le schéma se reproduise, elle a pris le pouvoir sur son second mari, érigeant comme maxime d'épouser un niais pour avoir une vie tranquille. Mais voilà, Gasparo, que tout le monde croyait mort, est vivant et découvre que son ancienne épouse s'est remariée. La suite est une succession de joutes pour savoir lequel des deux maris pourra se séparer de Rita.

Empreint de misogynie, le livret expose des dialogues qui passent mal à l'ère « Me too » et nous ramènent indiciblement à notre actualité ; ainsi la méthode « à la russe » de Gasparo pour battre sa femme relève d'un comique d'une autre époque. Donner une telle œuvre aujourd'hui pourrait se révéler téméraire si la musique n'était aussi pétillante et fraîche, originale par certain côté puisqu'elle ne colle jamais vraiment au caractère franchement antipathique des personnages (à l'exception peut-être de Pepe). Trois protagonistes, des solos, des duos et des trios tourbillonnants où le français est parfois malmené par une prosodie rapide et piquante qui donne l'impression d'une improvisation échevelée comme seul le maître de Bergame en avait le secret.

Si l'histoire est simple, le livret ne manque toutefois pas de subtilité car tous les bourreaux deviennent des victimes et vice-versa. La scénographie proposée par n'aide pas à la lisibilité de ce livret où les rebondissements ne sont pas très bien cernés et où la dynamique comique semble être alourdie. Elle se révèle toutefois élégante par ses lumières et ses costumes qui ne sont toutefois par forcément en cohérence avec l'auberge où est censée se dérouler l'action, action que le metteur en scène adapte pour coller à son désir de voir Rita « gagner ». Cette proposition laisse ainsi tout le travail à un trio de chanteurs qui a du métier à revendre. Car c'est dans la distribution que réside le grand plaisir de cette redécouverte.

Commençons par la surprise que représente dans ce répertoire. Le baryton allemand nous a habitué au Lied, à Richard Strauss mais pas au bel canto. Si le français n'est pas son fort et si la voix semble parfois moins ductile que celle de ses partenaires, celle-ci impressionne par sa beauté, sa rondeur et son élégance. Il campe un personnage savoureusement ridicule et tient la rampe d'un legato bien dominé.

Face à lui, est une révélation ! Bénéficiant d'une belle présence et d'un jeu de scène varié, son Pepe veut saisir sa chance et trouver la liberté que sa condition d'homme dominé lui interdit. La voix est magnifiquement projetée, claire, ductile, le legato parfait, les aigus impressionnants et le style impeccable. S'ajoute une attention au texte appréciable, une belle prononciation malgré une prosodie redoutable et on se retrouve face à une prestation remarquable en tout point.

Enfin, on ne présente plus et c'est une réelle émotion de l'entendre dans ce répertoire où elle est maîtresse. On y retrouve cette voix singulière légèrement voilée, qui semble fragile et qui est sa marque de fabrique, ce tempérament scénique inimitable, cette technique superlative qui lui permet d'assumer des sauts de registres impressionnants, de graves abyssaux aux suraigus bien négociés, ce legato parfait qui confère une élégance toute particulière à ce chant qui éloigne la caricature et confère beaucoup de densité à ses interprétations. La soprano délivre une fois de plus une prestation marquante du répertoire donizettien.

Le chef dirige cette partition avec un sens de la dynamique très à propos. Il sculpte le son, donne des coups de fouets, alanguit la phrase quand il le faut jusqu'au silence du final atypique où la musique s'éteint sans forte. Malgré une période économiquement difficile (trois membres de l'orchestre prennent la parole avant la représentation pour demander davantage de soutien aux tutelles) l' délivre une belle prestation, accompagnant le casting avec beaucoup de grâce et de légèreté dans son tourbillon auto-destructeur.

Espérons que l'Opéra de Tours et son orchestre puissent poursuivre avec sérénité leur travail mêlant redécouverte et grand répertoire qui nous séduit depuis de nombreuses années.

 Crédit photographique : © Marie Pétry & © Opéra de Tours – A.Nabo de Sousa

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