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Zaïde inachevée ! Zaïde complétée ! mais Zaïde amputée !

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Besançon. Les 2 Scènes. Théâtre Ledoux. 25-III-2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et Robin Melchior (né en ?) : Zaïde, un singspiel inachevé, sur un livret de Johann Andreas Schachtner ; Mise en scène: Louise Vignaud. Scénographie : Irène Vignaud. Costumes : Cindy Lombardi. Dramaturgie, livret parlé : Alison Cosson, Louise Vignaud. Avec : Kseniia Proshina, soprano (Zaïde) ; Kaëlig Boché, ténor (Gomatz) ; Niall Anderson, baryton-basse (Allazim) ; Mark Van Arsdale, ténor (Soliman). Orchestre Victor Hugo, direction musicale: Nicolas Simon

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Quatre villes de France (Rennes, Angers, Avignon, Quimper) au chevet de Zaïde pour compléter l'opéra inachevé de Mozart : riche idée. Mais pourquoi, dans le même geste, sabrer dans la partition existante ?

Mozart avait déjà composé le chef-d'œuvre Idoménée (1781) lorsqu'il envisageait encore de finaliser Zaïde (1780), singspiel avec lequel il espérait séduire un Joseph II qui avait formulé le souhait d'une troupe d'opéra allemand. Le vœu impérial étant resté à l'état de vœu pieux (Joseph II avait déjà à sa disposition Gluck et Salieri), et le désir mozartien de traiter avec sérieux le livret de Schachtner contredisant l'appétence viennoise de l'époque pour la comédie, conduisirent le compositeur à délaisser définitivement Zaïde, hormis sa thématique qu'il reprit pour bonne part dans son opéra suivant : L'Enlèvement au sérail.

Des naufragés aux mains d'un Sultan éclairé : le sujet était très en vogue en plein universalisme du Siècle des Lumières. À l'instar de Voltaire dans Zaïre (mis en musique par Michael Haydn), Franz Sebastiani avait fait de la confrontation Orient/Occident l'argument de Das Serail (mis en musique par Joseph Friebert). C'est le même livret de Sebastiani qui a inspiré celui de Johann Andreas Schachtner pour Mozart. C'est de Schachtner que s'est à son tour inspirée pour faire de Zaïde un manifeste libertaire qui n'aurait pas déplu à Wolfgang Amadeus.

Après Peter Sellars (secondé par quelques numéros de Thamos) et Claus Guth (tenté par la greffe avec le pénible Adama de Chaja Czernowin), la Zaïde de s'avère musicalement des plus séduisantes. L'Ouverture et le Finale qui lui manquaient existent enfin, sous la plume inspirée de . On est d'emblée embarqué par la marine tempétueuse façon Les Hébrides, qui dévoile au-delà du velum noir d'avant-scène l'île lointaine qui va être le théâtre de l'action. On goûte de même le quatuor conclusif, très habilement écrit pour les voix. Melchior a également composé, à la façon d'une musique de film, quelques mesures au cœur de l'opéra qui voit son heure et quart atteindre les deux heures d'horloge. Saluons sans réserve l'habileté de cet écrin contemporain ne contredisant à aucun moment la grâce mozartienne. On se réjouirait sans réserve de la réussite de ce rajout musical s'il l'on n'avait à déplorer à l'inverse la coupure de quelques numéros de la partition originelle, et même la mise au rencart d'un personnage, Osmin, qui n'a visiblement pas survécu au naufrage…

Les mauvaises langues avanceront que sur l'île noire imaginée par , un énorme bloc de basalte pentu qui occupe la quasi-totalité du plateau forçant trop souvent les chanteurs à évoluer à quelques centimètres des spectateurs, il n'y a pas la place pour tout le monde. Un alibi qui ne tient pas si l'on considère le choix de la nouvelle dramaturgie d'inviter un personnage absent du livret originel : une sorte de dragqueen au visage bleu, mi-Prospero mi-Sarastro, de fait l'âme de cette île mystérieuse, personnage dont les interventions poético-sentencieuses se perdent dans le jeu par trop confidentiel de la comédienne Marief Guittier. Soliman n'est plus sultan mais, comme les autres, le rescapé d'un naufrage que son goût pour le pouvoir a transformé en tyran. Visuellement on nage en pleine robinsonnade, Louise Vignaud ayant décidé d'habiller Zaïde, Soliman et Allazim de peaux de bêtes. Seul Gomatz, en naufragé libérateur habillé comme l'homme de la rue, connaît le bonheur d'échapper à cette redoutable garde-robe.

L'on n'avait guère été séduit par la première incursion lyrique de Louise Vignaud : une Dame blanche animalière, créée en 2021 par La Co[opéra]tive, et qui, en temps de pandémie, sur ces même planches du Théâtre Ledoux, avait été passablement plombée par la présence de masques sur ses choristes comme sur ses solistes. Les quelques moments de grâce de sa Zaïde (le velum noir qui ouvre et referme le spectacle, le jeu d'orgues, l'éclipse finale) sont bien frêles face au code vestimentaire d'un style naviguant entre surjeu grimaçant et reptations permanentes. Si l'on parvient à s'extraire de ce visuel caricatural (surtout du côté masculin), on peut remarquer que les voix ne sont pas sans charme. , récemment remarquée dans Le Couronnement de Poppée, domine la distribution. Joliment fruitée, sa voix fait merveille dans Ruhe sanft comme à chaque fois qu'elle est amenée à reprendre les rênes mozartiennes du spectacle. L'Allazim un peu vert de , le Soliman énergique de et le Gomatz ardent de Kaël Boché donnent en revanche l'impression de devoir lutter en permanence pour que la direction d'acteurs n'engloutisse pas corps et biens leur vaillante vocalité respective.

On s'étonnera en outre que les concepteurs avisés du spectacle n'ont pas été tentés par le choix d'une distribution entièrement française, les nombreux dialogues parlés (Mozart tente dans Zaïde le mélodrame, genre auquel il ne reviendra plus) étant constamment à la peine : un comble pour le projet de la metteuse en scène et de sa dramaturge, Alison Cosson, qui ambitionnaient de « relier les Lumières à l'aune de notre monde contemporain ». Et pourtant, portés par le souffle de la fine direction mozartienne de , et la fluidité de l'Orchestre Victor Hugo, les messages « Vous qui avez fortune et puissance, vous ne reconnaissez plus vos frères » ou « La Liberté fait peur mais le Néant est pire » n'auraient pas été les moindres leçons à retenir de cette Zaïde complétée et incomplète.

Crédits photographiques : © Laurent Guizard

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