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À la Philharmonie, Metropolis rebooted de Martin Matalon

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Paris. Philharmonie, Grande salle Pierre Boulez. 20-V-2023. Martin Matalon (né en 1958) : Metropolis rebooted, musique pour orchestre et électronique sur le film de Fritz Lang, nouvelle version restaurée ; Thomas Goepfer, RIM ; Étienne Démoulin, électronique Ircam ; Luca Bagnoli, diffusion sonore Ircam ; Orchestre de Paris, direction : Kazushi Ōno

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Donné en création française, Metropolis rebooted de est la nouvelle partition pour orchestre et électronique écrite par le compositeur sur les images de , décuplant le frisson de l'auditoire face à l'un des plus grands chefs-d'œuvre du cinéma muet.

Visionnaire autant qu'effroyable, le film de , Metropolis, dévoilé au public en 1927 avec la musique de Gottfried Huppertz, fascine encore aujourd'hui : par l'intensité expressive de ses visages, la monumentalité de ses décors ( était fils d'architecte) et l'impact visuel de ses séquences, telle cette marche compacte des « gens d'en bas », la tête dans les épaules, ou les courses effrénées des personnages en panique pendant la montée des eaux dans la cité.

Le compositeur franco-argentin a scruté les images et le rythme du montage dans ses moindres détails, réalisant, dès 1995, une première partition pour ensemble de seize instruments et électronique, commande de l'Ircam pour la version restaurée de la toile. Il la révise en 2011, lorsque des séquences inédites de Metropolis sont retrouvées à Buenos Aires, augmentant sa durée de vingt minutes. Le film et la musique de Matalon font alors le tour du monde, accueillis plus de soixante-dix fois dans les salles de concert ! Entre temps, le compositeur aura signé bon nombre d'autres ciné-concerts, plongeant dans l'univers de Buñuel, Lubitsch, Keaton et Chaplin.

C'est au faîte de son art que décide en 2020 d'aborder à nouveau ce chef d'œuvre cinématographique avec les ressorts de l'orchestre. Il passe ainsi de 16 à 85 musiciens et donne un souffle nouveau à une partition magistrale augmentée de l'électronique sous le contrôle des RIM et techniciens de l'. La Grande salle Pierre Boulez affiche complet pour les deux soirées de spectacle, accueillant l' sous la direction de dans des conditions idéales de projection.

Sans modifier le rapport du son à l'image (Matalon parle d'un contrepoint musical qui garde ses distances avec le rythme cinématographique) l'enjeu était d'utiliser l'orchestre dans la plénitude de ses timbres en évitant la saturation de l'espace. Comme dans la version de 1995, sont inclus dans les rangs de l'orchestre une guitare électrique, une basse fretless et un set de percussions pléthorique exigeant cinq interprètes. Les vents vont par trois, multipliant les effets de sourdine (la trompette bouchée notamment) et autant d'atmosphères d'étrangeté dans un film basculant souvent dans le fantastique. Le pupitre des cordes, absent jusque là, vient s'ajouter à l'écriture tout comme les deux harpes et un accordéon jouant le rôle d'interface entre les instruments et l'électronique. Matalon n'écrit pas de solo pour lui alors que chacun des timbres de l'orchestre, à tour de rôle, est mis en valeur au cours des 2h30 de musique symphonique : « Une des caractéristiques emblématiques de mon écriture, nous dit le compositeur en dialogue avec Anne Montaron, juste avant le spectacle, c'est toujours de donner une lumière singulière à l'individu dans le groupe ». Aussi considère-t-il le cycle de ses dix-huit Traces pour instruments solistes et électronique jalonnant son catalogue comme son « journal intime », un work in progress qui accompagne pas à pas l'évolution de son cheminement compositionnel jusqu'à aujourd'hui et nourrit de toute évidence l'écriture solistique de Metropolis rebooted. Des correspondances s'établissent entre timbres et personnages : la guitare électrique pour Maria, le trombone pour l'espion, la basse fretless pour Freder, les instances bruitées des cordes pour Rotwang, et le violoncelle pour la montée du mercure… Les solos amplifiés et spatialisés par l'électronique sont des pages fabuleuses portées par une certaine énergie boulézienne (attaque et résonance) qui innerve le discours et exalte le pouvoir du son face à l'expressionnisme des images.

L'électronique (sons fixés et action live) fait partie intégrante de l'écriture, étirant les registres, des fréquences aiguës aux outre-graves somptueux des trombones et tuba souvent très offensifs. Si les contrastes de volumes et les accélérations spectaculaires sont exacerbés par les potentialités de l'orchestre, on est saisi par ces longues tenues qu'entretient l'électronique sous les scènes les plus gesticulantes du film et la valeur des silences ménagés dans l'écriture, celui du premier baiser de Freder et Maria par exemple, préservant l'espace nu de l'émotion. Évitant le plus possible la synchronie geste-son et surtout la surenchère sonore avec une image qui flirte souvent avec le débordement, Matalon retient au maximum son orchestre dans la destruction de la cité, éloignant le solo de trombone et optant pour une musique intermittente mettant d'autant en valeur ce qu'il nomme ses « silences sémantiques ».

On est ébloui par cette maîtrise de l'orchestre, cette habilité du compositeur à manier les temporalités, à préserver la fluidité du discours musical avec un naturel, une sensualité des couleurs, une justesse des équilibres qui mettent en parfaite adéquation le son et l'image. Rarement les musiciens de l', tous excellents, auront été à ce point mis en vedette, dirigés avec une autorité exemplaire par . On doit également au RIM et à la diffusion sonore de l'envergure spatiale et la mixité impeccable des deux sources sonores dans l'acoustique généreuse et parfaitement domptée de la Philharmonie.

Crédit photographique : © Philharmonie de Paris / Nicolas Blotti

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Paris. Philharmonie, Grande salle Pierre Boulez. 20-V-2023. Martin Matalon (né en 1958) : Metropolis rebooted, musique pour orchestre et électronique sur le film de Fritz Lang, nouvelle version restaurée ; Thomas Goepfer, RIM ; Étienne Démoulin, électronique Ircam ; Luca Bagnoli, diffusion sonore Ircam ; Orchestre de Paris, direction : Kazushi Ōno

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