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D’Aujourd’hui à Demain à l’abbaye de Cluny

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Cluny. Festival « D’Aujourd’hui à Demain » 7 et 8-VII-2023
7-VII : Théâtre les Arts ; Georges Aperghis (né en 1945) : Merry go round, pour accordéon ; Sur le fil, pour cymbalum (CM) ; Le corps à corps pour une percussionniste et son zarb ; Tingel Tangel pour soprano, accordéon et cymbalum. Angèle Chemin, voix ; Vincent Lhermet, accordéon ; Françoise Rivalland, cymbalum.
8-VII : Farinier de l’abbaye ; George Crumb (1929-2024) : 4 Nocturnes pour violon et piano ; Franco Donatoni (1927-2000) : Ciglio III, pour violon et piano ; Bernard Cavanna (né en 1951) : Fauve, pour violon ; Trois Études pour piano ; Franz Schubert (1797-1828) : Fantaisie pour violon et piano en do majeur, op.posth.159 D.934. Noëmi Schindler, violon ; Ninon Hannecart-Ségal, piano

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Basé à Cluny et emmené par son directeur et violoncelliste émérite , le festival D'Aujourd'hui à Demain se place sous l'égide d'Arnold Schönberg dont il emprunte un de ses titres d'œuvres (Von Heute bis Morgen).

« L'idée est d'être aux avant-postes de la création et de pouvoir connecter cette création avec la modernité d'hier », commente . Ainsi les musiques de Bach et de Schubert côtoient-elles en toute fluidité celles de et de , un compositeur mis à l'honneur dans cette 22ᵉ édition.

Trois interprètes d'exception et quatre œuvres sont au programme du concert d'ouverture entièrement dédié à la musique de . La musique mais aussi le théâtre et l'humour animent cette soirée survoltée donnée sur le plateau du Théâtre des Arts de Cluny. L'accordéoniste est seul en scène dans Merry go round (manège), une pièce récente (2019) du compositeur qui a été l'un des premiers à écrire pour l'accordéon. Jouant sur les allures cinétiques du mouvement, Aperghis fait dialoguer les registres de l'instrument, entre lissage des sonorités et matière hérissée qui s'entendent sous les doigts experts de , laissant l'imaginaire de chacun voyager à sa guise. À des fins expressives, des petits mouvements de tête de l'interprète accompagnent cette fantaisie sonore aussi sensuelle que poétique.

 

La percussionniste est une fidèle interprète du compositeur. Elle est au cymbalum (autre instrument issu de la musique populaire et fort prisé par Aperghis) dans Sur le fil, un « tour d'équilibriste » aussi fragile que foisonnant qu'il a écrit pour elle en 2022 et qu'elle donne en création mondiale. Elle a son zarb sous le bras dans Le corps à corps (1979), pierre d'angle du répertoire pour percussion digitale, instaurant un dialogue animé entre le son de l'instrument et la voix de l'instrumentiste : de l'humour, de la virtuosité (elle dit son texte « à toute blinde ») et du théâtre. se donne sans compter, doigts et voix, énergie et lutte sans merci !

est la diva

Le ton monte et l'espace s'ouvre dans Tingle Tangel, autre chef d'œuvre réunissant nos trois « acteurs » de la soirée, la soprano rejoignant ses deux partenaires instrumentistes : « Détourner les mots, les idées, les sons constitue l'essentiel de mes désirs artistiques », confie . Tingle Tangle (en allemand « cabaret de bas étage) est « une pièce de concert sur la clownerie métaphysique, grotesque, la mort », écrit le compositeur. Cette « tragédie en musique » déclinant dix numéros mêle le texte, la voix parlée et chantée et les instruments complices, avec ses états de tension, ses douleurs et ses points crise. Diva étourdissante, endosse autant de personnages avec une verve et un déploiement vocal spectaculaire, du prologue explosif aux accents lyriques de Masques (3) en passant par les acrobaties du chant dans Premier amour (5) ; très drôles sont ces intermèdes où les phonèmes sont manipulés et désarticulés avant la mise en ordre de la phrase. Les deux instrumentistes agissent avec ou contre la voix (les mots sont battus dans Speakerine), , qui donne elle aussi de la voix, ayant à portée de main tambour, cymbales, gong et autre crécelle.

Une ode à

C'est dans le grand transept de l'ancienne abbaye de Cluny, un des seuls vestiges de la bâtisse du XIIᵉ siècle, qu'a lieu, en avant-concert, la remise du Prix du Président de la République de l'Académie Charles Cros au compositeur pour l'ensemble de son œuvre : cérémonie festive et sonore, avec deux fanfares locales, auxquelles s'est jointe la soprano Angèle Chemin, qui interprètent deux courtes pages du compositeur, musique de circonstance bien sonnante pour préluder au concert du soir.

 

Il a lieu dans le Farinier de l'abbaye, un espace remarquable, avec sa belle charpente de bois et ses huit colonnes flanquées de différents chapiteaux qui symbolisent les huit modes du répertoire grégorien, selon le témoignage de l'administrateur des lieux. Au programme du duo violon, piano (Noëmi Schindler et Ninon Hannecart-Ségal) figurent deux pièces de Bernard Cavanna dont une création mondiale.

Constamment sollicitée dans les cordes du piano, Ninon Hannecart-Ségal joue pieds nus, au côté de Noëmi Schindler, les quatre Nocturnes (1964) de l'Américain George Crumb décédé l'année dernière : musique de plein air aux éclats furtifs, bruits de la nuit, froissements d'aile, pépiements d'oiseaux et lumières spéciales que Crumb cherche à capter à travers les modes de jeu (piano-harpe, filtrage, cordes bloquées, etc.) des instruments complices. L'écriture est délicate autant que l'interprétation des deux musiciennes pour pénétrer l'étrangeté de cette poésie nocturne.

Dans Ciglio III, une pièce très courte de l'Italien , le piano suit le violon comme son ombre, réagissant aux tours et détours de la trajectoire. L'écriture est virtuose, ludique et fantaisiste, restituée avec panache par nos deux interprètes.

 

Seule en scène, Noëmi Schindler joue ensuite Fauve (1994), la partition de Cavanna qui lui est dédiée et dont elle a reçu en cadeau, des mains du compositeur et juste avant le concert, le manuscrit et le petit crayon qui a servi à l'écriture. Elle joue la pièce par cœur, avec une assurance et une énergie du geste, un sens du détail et un éventail de couleurs qui captivent l'œil autant que l'oreille.

Avec son sens aigu de l'humour et la chaleur de ses mots, Cavanna vient présenter ses Trois Études pour piano, un instrument absent de son catalogue jusqu'à ce jour ! La première Étude est aussi courte que fulgurante, basée (nous dit-il) sur une suite de quatre notes (tétracorde) qui éclairent et tiennent l'édifice. On y entend, comme chez Ligeti, différentes strates sonores superposées qui avancent à des vitesses différentes et dont la pianiste gère la complexité avec une aisance épatante. La seconde Étude emprunte à Bartók un bref motif chromatique qui investit les graves résonnants de l'instrument : jeu de registres et ampleur des contrastes ; la pièce balance entre épure et complexité. La dernière, la plus belle et la plus longue, prend des allures de toccata. Deux voire trois vitesses évoluent ensemble avant que la matière ne se décante pour revenir in fine à la consonance. Le piano est généreux et le geste de Ninon Hannecart-Ségal libre ; la pianiste s'investit sans compter et fait sonner le clavier avec une énergie galvanisante.

Chef d'œuvre de l'héritage

La musique de Schubert est chère à Bernard Cavanna qui a lui-même transcrit des lieder du Viennois pour violon, violoncelle, accordéon, et piano. Les deux interprètes terminent le concert avec la Fantaisie en do majeur pour violon et piano, opus posthume 159 que le compositeur écrit un an avant sa mort, livrant la quintessence de son art. Le thème qu'expose le violon sur la nappe sonore du piano en trémolo est sublime, que Schubert reprendra juste avant le final. Les variations centrales empruntent le thème du Lied Sei mir gegrüsst, déployant aux deux instruments qui échangent leur rôle une invention mélodique et une conduite harmonique des plus raffinées. Les deux musiciennes sont en phase, portant cette écriture de la maturité vers des sommets de virtuosité et d'expression lyrique. Ninon Hannecart-Ségal sait trouver sur son Bösendorfer, dans le registre aigu tout particulièrement, l'intimité du piano Schubertien tandis que Noëmi Schindler fait rayonner son instrument dans tous les registres et le fait chanter de manière très émouvante dans la variation lente.

On réentendra la musique de Schubert sous l'archet de et les doigts de (sonate Arpeggione), faisant face à l'immense pièce mythique de Patterns in a Chromatic Field pour violoncelle et piano, au cours du festival, réaffirmant cette volonté de confronter les chefs d'œuvre de l'héritage et la musique d'aujourd'hui.

Crédits photographiques : © ResMusica

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7-VII : Théâtre les Arts ; Georges Aperghis (né en 1945) : Merry go round, pour accordéon ; Sur le fil, pour cymbalum (CM) ; Le corps à corps pour une percussionniste et son zarb ; Tingel Tangel pour soprano, accordéon et cymbalum. Angèle Chemin, voix ; Vincent Lhermet, accordéon ; Françoise Rivalland, cymbalum.
8-VII : Farinier de l’abbaye ; George Crumb (1929-2024) : 4 Nocturnes pour violon et piano ; Franco Donatoni (1927-2000) : Ciglio III, pour violon et piano ; Bernard Cavanna (né en 1951) : Fauve, pour violon ; Trois Études pour piano ; Franz Schubert (1797-1828) : Fantaisie pour violon et piano en do majeur, op.posth.159 D.934. Noëmi Schindler, violon ; Ninon Hannecart-Ségal, piano

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