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Des fleurs et des couleurs avec l’Ensemble Intercontemporain

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Paris. Cité de la Musique. Salle des concerts. Dans le cadre duFestival d’Automne. Liza Lim (né en 1966) : Spirit Weapons, pour violoncelle, clarinette contrebasse et trois percussions ; The Tailor of Time, pour hautbois, harpe et grand ensemble ; Enno Poppe (né en 1969) : Blumen pour ensemble. Valeria Kafelnikov, harpe ; Philippe Grauvogel, hautbois ; Ensemble Intercontemporain, direction, Enno Poppe

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Invité par l'EIC avec lequel il collabore depuis de nombreuses années, était sur le podium de la Salle des concerts de la Philharmonie pour y diriger sa propre musique et celle de dont les deux pièces au programme cernent l'imaginaire hors norme de la compositrice.

Australienne d'ascendance chinoise, s'est intéressée à la tombe du Marquis Yi de Zeng, une des découvertes archéologiques chinoises les plus célèbres, datant de septembre 1977, dont la chambre nord recèle quelques 4500 armes. Les deux pièces de Spirit Weapons (Armes spirituelles) sont extraites d'une composition plus vaste, Machine for Contacting the Dead (Machine pour entrer en contact avec les morts) répondant à une commande de l'EIC en 1999. mentionne notamment la présence d'une hallebarde à trois lames dont la vue enflamme son imagination. Elle donne naissance à ce solo d'anthologie pour violoncelle joué en début de soirée par Éric-Maria Couturier : le geste de l'interprète est ample et la sonorité projetée avec une énergie qui semble parcourir tout le corps de l'instrumentiste. L'espace sonore déployé est admirablement construit, s'élaborant autour de polarités fortes dont la richesse du spectre et la variété des harmoniques semblent autant de reflets de lumière sur la lame observée. L'exploration sonore se poursuit dans la deuxième pièce où la clarinette contrebasse d'Alain Billard (grain et slaps rugueux) s'unit aux trois percussions de l'Ensemble (, Gilles Durot et Aurélien Gignoux) tel un méta-instrument capable d'envisager le phénomène sonore dans toutes ses combinaisons et métamorphoses. Le set de percussions sélectif nous oriente vers l'Asie, avec gong et cymbales chinoises. Interviennent également à la fin de la pièce ces petits grelots agités par les trois percussionnistes réunis sur le devant de la scène pour actualiser le geste rituel.

Mystérieuse, sauvage, semée d'obstacles et parcourue d'actions étranges, entre théâtre musical et univers de jungle… Si elle nous fait voyager, on ne sait pas vraiment où nous transporte la deuxième œuvre au programme de Liza Lim, dirigée cette fois par et donnée en seconde partie de concert. The Tailor of Time est une commande 2023 de l'EIC, créée au de Strasbourg le mois dernier. Elle met en vedette la harpe (préparée) de et le/les hautbois de alignant le rare hautbois baryton et le hautbois d'amour au côté de son instrument quotidien.

C'est lui qui domine, intense et perçant, dans un début d'œuvre très agité puisque le chef est ‟contraint” d'arrêter par trois fois les musiciens en raison du vacarme produit par qui, en fond de scène, empile sans succès des petites percussions. Le hautbois poursuit sa course, contre bruit et tourmente, exécutant, plus qu'une mélodie, ce que l'on pourrait percevoir comme des cris d'oiseaux ou d'animaux : un lexique de gestes de chagrin, nous confie la compositrice, « des cris de lamentation glissants et répétés […] qui sont une sorte d'adresse rituelle à notre époque ». Un univers plus sombre, teinté de citations, introduit le hautbois baryton, traité exclusivement dans son registre grave et chahuté lui aussi par la percussion. Une séquence en duo ( et Gilles Durot) instaure une sorte de langage morse entre pierres entrechoquées et bois percuté. Le chant du hautbois d'amour (en lice avec le cor anglais du rang) est l'instant le plus magique de la partition, sur fond baroquisant et coloré par la harpe microtonale.

joue son instrument d'une main en passant avec l'autre un bottelneck sur les cordes pour en détempérer les hauteurs. Jamais, nous dit-elle, un tel degré de transformation du son n'avait encore été obtenu sur l'instrument ! Étrange également, ce grand unisson des cuivres irradié par les instruments de l'ensemble suivi par une joute de planches de bois exécutée par les percussionnistes avec une énergie sauvage. Samuel Favre, en maître de cérémonie, accroche des accessoires sur un portique et lance du sable dans les rangs des instrumentistes. Inattendue et très réussie, la fin est cut, interrompant brusquement le motif circulaire de la harpe qui commençait à fonctionner en boucle. La pièce interpelle et ne laisse pas indifférent !

Un nuancier infini de couleurs

« Je veux écrire une musique qui n'existe pas », déclarait, il y a quelques années, le compositeur allemand , personnalité passionnante remarquée tôt par Pierre Boulez, qui défie les modèles et contourne les habitudes.

Commande 2023 de l'EIC, créée en été au festival de Lucerne, Blumen (Fleurs) renouvelle sa propre manière (orientée ces derniers temps vers les pièces longues) en proposant quinze ‟microludes” d'une durée oscillant entre quelques secondes et trois minutes : un bouquet de miniatures d'un raffinement exquis renouvelant d'autant le geste, le registre, la texture, le tempo dans chaque numéro tout en travaillant les profils d'intonation (fragilité microtonale) qui font la singularité du compositeur.

On voit la fleur s'épanouir en un geste métaphorique dans la première pièce, une des plus longues, mettant à l'œuvre la répétition développante projetant toujours plus haut le son issu de l'extrême grave. Par contraste, la musique restera cantonnée dans le médium-aigu dans le numéro suivant, entretenant oscillation et fluctuation des lignes qui tressent l'espace microtonal. Courbures, glissades, ondulations animent plus loin le pupitre des cordes, évoquant certaines pratiques ornementales des musiques de tradition, celles de Corée ou d'Azerbaïdjan qui ont particulièrement attiré le compositeur. La plasticité de la matière est recherchée via les alliages de vents et cordes. Les petits motifs dépressifs à la Sciarrino exécutés par la clarinette ou la trompette (avec sourdine wa-wa) lorsqu'elle dialogue avec le violoncelle, renvoient aux « gestes de chagrin » de Liza Lim évoqués plus haut, soumis à la même instabilité d'intonation. L'intégration de la percussion est particulièrement inventive (claviers détempérés) tressant ses sonorités avec celles de la harpe et du piano. Éminemment poppéienne est cette séquence faisant hurler les bois sous le vacarme de la caisse claire, rappelant l'intensité des anches asiatiques. Le mouvement de chute, dans la séquence suivante qui fait retomber la tension, ne va pas sans humour ! Les mouvements semblent de plus en plus brefs, coupant court parfois le processus en marche. Le dernier numéro est un bijou où le tressage des lignes s'exerce sur la mélodie de timbre de quelques instruments de l'ensemble.

Après Öl (Huile), Salz (Sel), Knochen (Os) ou encore Scherben (Tessons), des titres à la Poppe déclinant les typologies organiques, Blumen, aux horizons plus poétiques, est aussi la pièce la plus raffinée du compositeur, un chef d'œuvre révélé dans sa plénitude et sous son geste habité via une partition taillée sur mesure pour les virtuoses de l'EIC.

Crédit photographique : © Matthias Benguigui

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