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L’impossible amour de Maria Callas et Pier Paolo Pasolini en BD

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La Callas et Pasolini, un amour impossible. Sara Briotti, dessin. Jean Dufaux, scénario. Dupuis, collection Aire Libre. 58 pages. 25 €. Octobre 2023.

 
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Rencontre fructueuse entre troisième, septième et neuvième art : La Callas et Pasolini, un amour impossible redonne vie à la brève rencontre de deux artistes essentiels du XXᵉ siècle.

Il est généralement impossible de brûler ce que l'on a adoré à l'adolescence. Du réalisateur italien (Pier Paolo, comme il l'appelle aujourd'hui dans l'intimité de ses souvenirs), le scénariste Jean Dufaux confie que (comme pour beaucoup), il est carrément sa « jeunesse », et même sa « formation ». Dans une toute autre sphère, , dont on fête en grandes pompes discographiques le centenaire, a, pour beaucoup, rempli un rôle similaire. Apparus l'un et l'autre sur Terre quasiment en même temps, lui en 1922, elle en 1923, c'est quasiment en même temps qu'ils l'ont aussi quittée (elle avait 54 ans, lui 53) dans des conditions où mélancolie pour elle et effroi pour lui s'inscrivirent dans les mémoires pour l'éternité.

Comme l'explique l'écrivain et critique Emmanuele Trevi dans la pénétrante préface qui introduit l'ouvrage, Callas et Pasolini étaient, l'un comme l'autre, deux « anomalies » dans un univers où tout le monde les regardait mais personne ne les connaissait. Au moment de leur rencontre (le film Médée de 1969), l'un et l'autre avaient fait leurs preuves dans leur art respectif, l'un et l'autre venaient d'être quittés par leur amant respectif.

Bien que, comme l'écrit encore Trevi, le septième des onze films de Pasolini donne l'impression que « le metteur en scène crée le personnage » en même temps que « le personnage crée le metteur en scène », Médée ne connut à sa sortie qu'un succès d'estime, générant moult déceptions, dont ce crime de lèse-diva : dans ce film aux trois-quarts muet, la soprano la plus célèbre de la planète, filmée a contrario de ses apparitions médiatiques, et après avoir triomphé dans le rôle à l'opéra, ne chantait pas, pas une note, pas même une berceuse à l'adresse de ses enfants condamnés ! Le film reste néanmoins un geste de cinéma d'une rare splendeur, joyau aussi bien du Septième Art que de la carrière d'une diva que l'on n'avait jamais appréhendée d'aussi près. Bien en avait pris à d'avoir accepté (après s'être dite choquée par Théorème), la proposition du réalisateur le plus transgressif de son temps : quand on la revoit, sublime à chaque plan, immergée dans la sensualité antique du « gynécée masculin » cher au réalisateur (Laurent Terzieff, Giusepppe Gentile au sommet de leur beauté), on ne peut s'empêcher de penser à l'audace des dernières séquences de La Femme de Tchaïkovski où Kirill Serebrennikov avait été très inspiré lui aussi par un autre amour impossible.

À partir de balises bien réelles, dont principalement un voyage en Argentine au Festival Mar del Plata où les deux artistes furent mandés pour accompagner le film, Jean Dufaux scénarise la rencontre de deux univers : celui de la diva amie des grands de ce monde (la première de Médée eut lieu à Garnier en présence des célébrités de l'époque) et celui du cinéaste, ami des déclassés de la Terre. La BD suit les pas de Pier Paolo et Maria le temps d'une escale à Rio de Janeiro. Dans les favelas, au cœur des arcanes d'un match de football (une des passions de Pasolini), Pier Paolo rencontrera une fois encore la beauté du diable, une de ces incarnations du mal qui mettront un terme à sa vie. C'est là que Callas sera conviée, pour couronner la victoire, à entonner une Fille d'Ipanema qui recueillera autant de ferveur que ses Vissi d'arte de naguère.

En suivant les échanges des deux artistes, le lecteur est amené à peser les non-dits d'une relation sur laquelle n'a pas manqué de se pencher la légende. L'imagination de Dufaux (qui s'est déjà consacré en 1993 à la vie du réalisateur de Salò dans une autre BD Pasolini Pig ! Pig ! Pig !) n'hésite pas à se faire l'écho de la rumeur qui fit mention d'un fils mort-né de la Callas et d'Onassis, thème repris au même moment par la littérature : une pure affabulation d'après Alain Duault qui dresse en appendice le portrait des hommes de la vie de Sophia Cecelia Calogeropoulos : le père, le mari, l'amant, l'amour impossible.

Pour son premier album, la dessinatrice romaine Sara Briotti éblouit avec le foisonnement polychrome d'une palette annoncée par une première de couverture très Pierre et Gilles, comme avec un trait aussi fouillé que scrupuleux qui, de surcroît (au contraire de celui d'une autre BD récente, L'Héritage Wagner) ressuscite de façon confondante la physionomie de ses personnages : de chair, de sang, de sentiments, Pier Paolo et Maria vivent à nouveau devant nos yeux d'enfants émus la parenthèse enchantée d'une histoire qui n'appartint qu'à eux seuls.

 

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