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ResMusica propose une série commémorative autour d’Arnold Schoenberg selon un petit et kaléidoscopique dictionnaire pour tracer un portrait par petites touches de cet homme aux mille facettes et à la personnalité complexe, cultivant avec virtuosité le paradoxe, et à plus d’un point de vue attachante, malgré son emprise écrasante. Pour accéder au dossier complet : Petit dictionnaire de Schoenberg
G comme Guerre(s) et Gurre-Lieder (1900-1911)
Guerre(s)
Schoenberg naît en 1874 en l'Empire bicéphale austro-hongrois des Habsbourg, au centre d'une Europe pansant les cicatrices de récents conflits internationaux (guerre austro-prussienne de 1866, guerre franco-prussienne de 1870) et marquée par l'émergence de nouveaux états nations : le Deuxième Reich allemand sous férule prussienne et l'Italie unifiée. En résumant en quelques mots les quarante années suivantes, cruciales encore aujourd'hui pour l'histoire européenne, des tensions internationales de plus en plus palpables, le jeu changeant des alliances et les forces nationalistes centrifuges au sein même de l'Empire austro-hongrois, vont mener à l'inéluctable et, par le truchement de l'attentat de Sarajevo, précipiter l'Europe puis le monde entier dans l'apocalypse de la Grande Guerre.
La déclaration de guerre de l'Allemagne à la Russie et la France à l'été 1914 surprend Schoenberg à Berlin : de facto, il perd tous ses élèves locaux, mobilisés, et la vie culturelle berlinoise est fragilisée, ne lui offrant plus guère d'occasion de se produire en public. Ses droits d'auteur se réduisent comme peau de chagrin. La famille Schoenberg décide de redéménager vers Vienne au printemps 2015 : Arnold, citoyen de l'Empire austro-hongrois, quarante ans à peine, reste mobilisable et passe devant le conseil de révision le 20 mai. Il obtient un sursis. En novembre, il est appelé une seconde fois et est déclaré cette fois apte au service.
Très attaché à la défense de l'Empire des Habsbourg, il est dans un premier temps volontaire et caserné à Vienne. Mais né dans la région de Presbourg, en actuelle Slovaquie, il relève de l'administration de Budapest et doit suivre son instruction d'officier de réserve dans l'école militaire de Bruck, sur les bords de la Leitha. Schoenberg doit alors être envoyé rapidement sur le front, mais différents musiciens « hongrois », dont probablement Béla Bartók, interviennent par divers relais. En août 1916, Schoenberg obtient un congé de durée illimitée puis est rapatrié à Vienne où il doit encore quotidiennement se présenter au Prater pour faire acte de présence ! Le compositeur était au départ très optimiste quant à une issue rapide du conflit et du triomphe de l'Allemagne et de l'Empire austro-hongrois mais il doit alors déchanter. En 1917, en raison du blocus, la situation matérielle des citoyens des puissances centrales est des plus précaires. Schoenberg est une nouvelle fois, en décembre, appelé pour une éventuelle réserve de recrutement, car, avril, la guerre est devenue totale et mondiale avec l'entrée des Etats-Unis dans le conflit. La Grande Guerre est surtout pour lui une période de totale déréliction, avec cette sensation frustrante d'impuissance de la pensée, de l'invention ou de l'énergie personnelle face à l'ampleur du désastre.
C'est, dès 1913, sur le plan compositionnel, une profonde période de crise. Les dernières œuvres alors achevées relèvent de la miniature et de l'aphorisme musical, à commencer par les trois fois sept mélodrames du Pierrot Lunaire. Le maître tente de trouver un système qui puisse lui permettre de mieux canaliser sa pensée musicale atonale, et de concevoir de la sorte de nouvelles « grandes formes » renouvelées quant à leur contenu harmonique ou mélodique. Les projets sont nombreux et parfois se superposent : une symphonie pour solistes vocaux, chœur et orchestre, laissée à l'état d'esquisses, mais dont le scherzo aurait été sous-tendu, déjà, par un thème à douze notes ; des projets scéniques ou d'oratorio musico-littéraire autour de la Séraphita de Balzac ou des Légendes de Strindberg inaboutis, dont transparaissent des stigmates au sein du recueil de « crise » des Quatre lieder opus 22 avec orchestre composés pour l'essentiel entre 1913 et 1916. Ces divers tentatives semi-avortées, et à la réalisation souvent interrompue par les aléas de la guerre, seront refondues ou réunies conjointement et mèneront lentement à la rédaction du livret, puis à la composition d'un vaste fragment de l'Echelle de Jacob (Jakobsleiter), l'oratorio biblique lui aussi inachevé, à forte connotation symbolique, évocation d'une humanité en proie au doute et à la recherche d'un absolu divin.
Mais loin de ces hautes considérations métaphysiques, Schoenberg ne perd pas son sens de l'humour caustique et de la dérision, et probablement durant son instruction à Bruck, compose la courte pochade Die Eiserne Brigade (la brigade de Fer) pour quintette à clavier tout à fait tonale, et agrémentée sur la partition autographe ad libitum de cris et de grognements divers, rarement reproduits à l'exécution de nos jours, portrait délibérément grotesque d'une soldatesque grossière et joyeuse sur le départ pour le casse-pipe, à rapprocher, dans le même esprit du désopilant mais un rien longuet Minimax pour quatuor à cordes de Paul Hindemith, composé postérieurement dans le même esprit.
La situation sera très différente lors du second conflit mondial. Lorsque celui-ci éclate en 1939-40, Schoenberg a fui le nazisme et l'Europe et a trouvé depuis six ans refuge aux Etats-Unis. Il a atterri finalement dans la banlieue assez cossue de Los Angeles. Devant la montée de l'antisémitisme et l'émergence de l'état totalitaire nazi, il a déjà tenté vainement par divers moyens de mettre sur pied une internationale du secours pour les Juifs d'Europe afin de leur éviter une extermination de masse qu'il pressent comme plus que probable. Il reçoit de loin en loin des nouvelles parfois peu rassurantes d'amis européens, et se porte en conséquence moralement garant face à l'administration américaine, pour plusieurs candidats à l'exil politique et à l'obtention d'un visa.
Ces nouvelles années de guerre le voient surtout alimentairement se consacrer à la pédagogie, mais il peut mener à bien plusieurs partitions majeures, parfaits enfants de leur époque troublée. Il en va ainsi de l'Ode à Napoléon, opus 41 (1942) pour récitant (baryton en sprechgesang), piano et quatuor à cordes, (ou orchestre à cordes, dans la version élargie de la création new-yorkaise sous la direction d'Artur Rodzinski avec Mack Harrel comme récitant, Eduard Steuermann au clavier) fruit d'une commande de musique de chambre par la League of composers. Schoenberg déclare « Je sus que le devoir moral de l'intelligentsia était de lutter contre la tyrannie ». Les Etats-Unis, après Pearl Harbour, viennent en effet de déclarer la guerre au Japon, donc aussi à l'Allemagne nazie. Il choisit le virulent texte de Lord Byron, écrit après l'abdication de Napoléon à Fontainebleau en 1814, où l'empereur français, portraituré du point de vue anglais comme sanguinaire dictateur, évoque mutatis mutandis de manière à peine voilée Hitler en personne, véritable cible de ce pamphlet musical qui reprend intégralement les dix-neuf strophes du texte original. Si le concept de l'œuvre demeure dodécaphonique, la partition renvoie à de nombreuses reprises à un référentiel tonal – elle se termine sur un accord de mi bémol majeur – la tonalité de l'Eroica beethovénienne, et combine par exemple rythmiquement le début de la Marseillaise avec le signe « morse » de la lettre V de la victoire – trois brèves une longue à la manière de certaine célèbre cinquième symphonie !
L'œuvre suivante, tout aussi ambiguë par ses relents tonaux épisodiques, le Concerto pour piano et orchestre opus 42, composé de août à décembre 1942, et crée le 6 février 1944 par Eduard Steuermann de nouveau et l'orchestre symphonique de la NBC dirigé par Leopold Stokowski, assez néo-classique de forme au gré de l'enchainement de ces différents mouvements, se lit presque comme un poème symphonique dont le programme nous est parvenu sous forme de notule annexée à la partition autographe : « La vie était simple, et voilà que la haine s'est déchaînée, tout devient d'une gravité extrême mais la vie continue ».
Et dans une certaine mesure, la courte cantate Un survivant de Varsovie opus 46, composée après guerre (1947) par son évocation épique de l'insurrection du ghetto et de son écrasement par les forces barbares nazies est évidemment à mettre en rapport avec un des épisodes les plus noirs du second conflit mondial, même s'il prend aussi des accents intemporels quasi biblique avec sa conclusion chorale chantée en hébreu, Chema Israël – Écoute Israël.
Gurre-Lieder (1900-1911)
En 1899 paraît la traduction allemande de Robert Franz du recueil posthume de contes En cactus springer ud de Jens Peter Jacobsen (1847-1885), botaniste et écrivain-poète, et sans doute l'un des plus éminents littérateurs danois du dix-neuvième siècle avec le philosophe Kierkegaard, ou le conteur Andersen. Au gré de ce récit posthume, cinq jeunes gens, accueillis par un maître de maison et sa belle-fille, narrent nocturnement divers récits épiques en veillant la floraison d'un cactus d'une essence rare. Une de ces contes s'inspire d'une légende médiévale danoise tirée de faits historiques : l'amour, dans le château de Gurre, du roi Waldemar Ier le Grand qui régna de 1157 à 1182, pour la jeune Tovelille (« Petite colombe »), assassinée sous les ordres de l'épouse jalouse, la reine Helwig. Le récit assez tristanesque ne laisse que peu de place au pittoresque ou au narratif ; la démarche est avant tout symbolique, faisant appel au subconscient, avec la présence éternelle de la forêt, l'angoisse du crépuscule, la hantise de la folle poursuite, l'image puis le souvenir de Tove apportant une oasis de lumière dans cet empire de ténèbres.
Schoenberg s'inspire directement de cette traduction versifiée pour envisager d'emblée, probablement début 1900, une œuvre gigantesque clairement articulée en trois parties : les Gurre-Lieder ou le(s) Chant(s) de Gurre.
La première section (une cinquantaine de minutes) fait alterner neuf chants d'amour d'atmosphères toujours changeantes, répartis entre Waldemar (ténor) et Tove (soprano), et séparés par de vastes interludes orchestraux. Elle se termine par le récit de l'assassinat de la bien-aimée, rapporté par la Waldtaube – la colombe des Bois – une très émouvante intervention confiée à la voix de mezzo-soprano. La deuxième partie, aux menaçantes harmoniques magnétiques et très chromatiques est très brève (quatre minutes) : le roi fou de douleur, s'en prend à Dieu qu'il maudit pour sa cruauté et sa tyrannie.
La conclusion très développée (quarante minutes environ) évoque tout d'abord la chasse du roi et de ses vassaux et chevaliers, sortant de tombes oubliées, condamnés par la malédiction divine donnée en retour à mener une chasse éternelle. Un paysan apeuré (baryton) voit passer cette horde sauvage et fantastique. Waldemar prend la parole (« la Voix de Tove bruit dans les bois, ses yeux planent sur le Lac, et son sourire se lit sur les étoiles ») avant que ne surgisse le bouffon Klaus-Narr (ténor de demi-caractère), caricature du roi lui-même, qui en nargue à la fois la destinée et la folle poursuite. Après l'ultime lamento de Waldemar et de ses troupes regagnant leur tombeau, surgit alors la seconde chasse sauvage, celle du vent d'été avec le vaste mélodrame où le narrateur (rôle parlé en sprechgesang, la première utilisation par Schoenberg du procédé) évoque la puissance de la nature, maîtresse absolue du retour au calme des esprits : le monde peut renaitre en son éternel retour. Retentit alors, amené par un sensationnel crescendo général, l'hymne conclusif et rédempteur à l'éternel retour du soleil (Sehet die Sonne !), glorieux vainqueur des ténèbres les plus amères et effrayantes, écrit dans la resplendissante tonalité d'ut majeur.
Schoenberg conçoit la partition rapidement en 1900-01 (à l'exception du chœur final) en particelle, et la destine par la pensée rapidement à un effectif colossal : outre les cinq solistes vocaux, trois chœurs d'hommes à quatre voix, un chœur mixte à huit voix, et un orchestre pléthorique, cent cinquante musiciens dont la nomenclature surprend avec quatre petites et quatre grande flutes, trois hautbois, deux cors anglais, sept clarinettes de toutes les tessitures, trois bassons et deux contrebassons, dix cors (dont quatre prennent les Wagner-tüben), sept trompettes, six trombones et un tuba , une abondante percussion où l'on retrouve un jeu de lourdes chaînes au climax de la troisième partie, quatre harpes, et les cordes en conséquence (vingt premiers et vingt seconds violons, alti et celli par seize, douze contrebasses !). Pour cette réalisation, le compositeur doit commander en 1901 un papier à musque hors norme à quarante-huit portées, soit le double du format habituel, et se met, à sa réception, aussitôt au travail : un labeur fréquemment interrompu, entre 1901 et 1903 par des taches purement alimentaires (instrumentation d'opérettes, déménagement à Berlin pour un emploi au Cabaret Überbrettel…) ou la genèse d'autre projets compositionnels tel le Pelléas et Mélisande. Il interrompt en 1903 la rédaction orchestrale peu avant l'intervention du paysan au début de la troisième partie et ne reprend le travail qu'en 1910, après avoir montré sa réalisation partielle à un Richard Strauss séduit : ce dernier fait obtenir à son cadet une bourse et son premier poste officiel de professeur de composition à Berlin. Schoenberg profite de cette relative aisance matérielle pour retoucher çà et là les deux premières parties, et pour, dans un nouvel esprit résolument plus moderne mener à bien l'orchestration de la totalité de la partition en novembre 1911.
Le descriptif des effectifs, regardé superficiellement, pourrait suggérer une œuvre massive exclusivement portée sur le spectaculaire. Bien entendu, au fil des épisodes les plus violemment dramatiques, tel le début très mahlérien de la troisième partie, ou les chœurs des vassaux de Waldemar, ou encore tout au fil de l'apothéose finale, les forces en présence sont sollicitées au faîte de leur puissance. Mais bien plus souvent ailleurs, l'orchestre colossal est utilisé de manière originale, parfois presque chambriste : par exemple, du fait du nombre de pupitres requis, chaque famille d'instruments (flûtes, clarinettes , cuivres…) peut s'emparer en toute autonomie d'un agrégat harmonique, ou d'une ligne mélodique et de ses figures d'accompagnements avec une homogénéité timbrique jusqu'alors inconnue.
Autre procédé fréquemment utilisé, et dès le vaste prélude orchestral (et plus loin lors du premier monologue de Tove) les pupitres de cordes sont divisés à l'extrême… les violons en vingt, les altos et violoncelles par huit, ce qui donne un effet de miroitement et de scintillance immatérielle quasi impressionniste si on compare par exemple les premières pages de la partition à leur probable modèle, le prélude du Rheingold. Les effets de l'orchestration demeurent en bien des endroits sidérants : citons le reniement coléreux de Waldemar de la brève deuxième partie, ou plus loin le sentiment de « panique » orchestrale qui submerge le malheureux paysan devant la charge déferlante des chevaliers, ou la morgue grimaçante de toute la petite harmonie à l'irruption sardonique du bouffon Klaus-Narr.
Sur le plan de la conception du langage, l'héritage wagnérien est magnifié selon des procédées totalement repensés par Schoenberg : l'extension du chromatisme permet de nouvelles explorations harmoniques particulièrement hardies, aux « alentours » d'une tonalité qui, sans être dissoute est plus suggérée qu'affirmée (par exemple avec les motifs chromatiques arachnéens de l'accompagnement des cordes au long du Lied de la Waltaube) ; comme dans sa remarquable analyse de la partition (une centaine de pages avec près de cent trente exemples musicaux à l'appui) Alban Berg le montre, toute la partition procède de la technique du Leitmotif (une bonne quarantaine au total) mais Schoenberg va plus loin que son modèle Wagner dans leur agencement et la subtilité de leur utilisation au gré de leur « projection » symphonique au fil de la monumentale partition. Au-delà de l'enchevêtrement ou de la métamorphose de ces cellules thématiques, les Gurre-Lieder procèdent en effet d'une logique architecturale extrêmement serrée, héritière de la pensée symphonique beethovénienne. Ces leitmotivs, par la technique de la variation développante, en unifient le flux discursif et le propos musical avec une cohérence accrue : ils deviennent ainsi des figures quasi abstraites et essentielles à la constitution du discours musical, au-delà de la force suggestive mais un rien compartimentée qu'ils acquéraient au gré des opéras wagnériens.
Car, en définitive, l'œuvre se situe à la frontière de plusieurs genres et en assume une troublante synthèse, aux derniers soirs du romantisme musical :
– les lieder, comme le titre l'indique, mais qui par leur dramatisme croissant et leur ressort expressif, sont portés par leur incandescence aux limites du genre opéra (Pierre Audi en a d'ailleurs tenté une mise en scène en 2014 à Amsterdam) ;
– l'oratorio grandiose, notamment au fil des scènes chorales de la troisième partie, non seulement très expressives mais déployant d'incroyables hardiesses contrapuntiques – le triple chœur d'hommes des vassaux, très élaboré, avec canons, renversements et inversions de motifs…
– la fresque symphonique par l'importance de l'orchestre comme constant vecteur du discours, bien au delà du simple commentaire musical de l'action, tel le chœur antique dans la tragédie grecque.
Parmi la littérature musicale « fin-de-siècle », riches en partitions destinées à des effectifs parfois gigantesques, les œuvres unifiant ainsi pensée orchestrale, effusion lyrique et force opératique demeurent rares : seuls peut-être pourrait-on citer le juvénile mais génial Klagende lied de Mahler ou le toujours méconnu mais grandiose Kullervo de Sibelius, deux œuvres que probablement Schoenberg ne connaissait pas lorsqu'il nourrit son projet.
Mais les Gurre-lieder sont plus qu'une simple apothéose du romantisme musical austro-germanique. Ils ouvrent aussi de nouvelles perspectives vers un vingtième siècle alors en devenir, non seulement par le total renouvellement de l'harmonie et de l'orchestration, comme nous l'avons vu, mais encore par les tensions quasi expressionnistes de certaines lignes mélodiques, par l'émancipation fréquente de la dissonance, ou par l'invention de nouvelles techniques d'expression vocale, tel le Sprechgesang, certes encore balbutiant, mais déjà essentiel au gré du mélodrame du récitant.
A bien des égards, les Gurre-Lieder atteignent un point limite dans la luxuriance et la pléthore… typique à la fois du tournant du siècle et de la première manière de leur auteur. La création mondiale, à Vienne, le 23 février 1913, sous la direction de l'ami Franz Schreker, sera l'un des plus grands triomphes publics du compositeur, mais comme l'écrit Marc Vignal, il s'agit d'un triomphe quasi « posthume » au vu de l'évolution rapide et radicale, en quelques années, de Schoenberg opérant une courbe rentrante (par exemple, dès 1906,avec la première symphonie de chambre, d'une tonalité très élargie, d'à peine vingt minutes et destinée à quinze instruments) et rencontrant dans sa ville d'origine face à son langage innovant, des attaques souvent féroces voire haineuses.
De nos jours, les exécutions demeurent toujours évènementielles vu les effectifs demandés, l'œuvre fut programmée plusieurs fois partout dans le monde à l'occasion du cent-cinquantenaire de la naissance du compositeur, en dehors des grandes phalanges internationales, il n'est pas rare de voir deux orchestres s'associer pour atteindre l'effectif requis et ainsi amortir les frais de production par le dédoublement du concert. La plupart des enregistrements discographiques récents sont en fait des captations en direct, et non plus de studio, telle, entre autres réussites, la magnifique version de Christian Thielemann captée à Dresde début 2020, fêtée dans nos colonnes et fiévreusement donnée quelques heures seulement avant l'annonce du confinement généralisé lié à la pandémie de covid.
A noter que pour en faciliter la diffusion et le détacher de l'ensemble de l'œuvre, Schoenberg effectuera en 1922 une version pour voix de mezzo et petit ensemble de dix-sept instrumentistes, du lied der Waldtaube, exaltant en quelque sorte la trame funèbre du récit, par le truchement des proportions plus chambristes de l'effectif. Et, petit clin d'œil pour terminer, l'exorde du dernier chœur des Gurre-Lieder, Sehet die Sonne ! a été choisie comme titre par Magnus Lindberg pour l'un des ses plus fameuses œuvres orchestrales, crée en 2007 par ses prestigieux commanditaires, les Berliner Philharmoniker et leur chef d'alors, Simon Rattle, par ailleurs, grand interprète des Gurre-Lieder.
Crédits photographique : Schoenberg en uniforme et dans son régiment à Bruck Arnold © Schoenberg Center Wien ; Manuscrit original des Gurre lieder fac simile © Pierpont Morgan Library de New York ; Exécution des Gurre Lieder sous la direction de Esa-Pekka Salonen le 14 mars 2014 salle Pleyel, Paris © Arte / Radio France
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