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Les Gurre-Lieder de Schönberg pour célébrer les 75 ans de l’Orchestre de la Radio Bavaroise

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Munich. Isarphilharmonie. 19-IV-2024. Arnold Schönberg (1874-1951) : Gurre-Lieder, pour solistes, chœur et orchestre, sur un texte de Jens Peter Jacobsen traduit par Robert Arnold. Avec Simon O’Neill (Waldemar), Dorothea Röschmann (Tove), Jamie Barton (Waldtaube), Josef Wagner (Bauer), Peter Hoare (Klaus-Narr), Thomas Quasthoff (Narrateur) ; Chor des Bayerischen Rundfunks, MDR-Rundfunkchor ; Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks ; direction : Simon Rattle.

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aime l'œuvre, et ça s'entend, avec un orchestre et des chœurs proprement admirables.

En 2009, l'Orchestre de la Radio bavaroise célébrait ses 60 ans avec les Gurre-Lieder, sous la direction de Mariss Jansons (un DVD en témoigne) ; en 2024, on en arrive donc au 75e anniversaire de l'orchestre, et c'est à nouveau les Gurre-Lieder qu'a choisi .

Rattle est le sixième directeur musical de l'orchestre, sans compter Kirill Kondrashin mort avant d'avoir pu prendre le poste : ses prédécesseurs, en tenant compte des années de vacance, sont donc restés en moyenne plus de dix ans en poste, ce qui n'est pas rien. D'autres anniversaires sont en jeu dans ce concert : Schönberg est né il y a 150 ans et quelques mois, et l'un des participants du concert célèbre ses 50 ans de scène – a fait ses débuts à 14 ans, et s'il a cessé de chanter le répertoire classique en 2012 il reste toujours très actif.

a une longue familiarité avec l'œuvre, marquée notamment par un enregistrement de 2001, et son enthousiasme bien compréhensible se sent à chaque instant de la soirée : tout ce qu'il y a d'enivrant dans cette partition sans pareille, on le retrouve dans ce concert, du moins pour ce qui concerne l'orchestre et le chœur. La distribution vocale, elle, a ses limites. La malchance veut que, comme en 2009 avec Mariss Jansons, le terrible rôle de Waldemar connaît un changement de distribution tardif. Simon O'Neill remplace Stuart Skelton. Force est de constater que, même si la situation lui donne toutes les excuses, les passages lyriques lui réussissent beaucoup mieux que les passages héroïques, et l'auditeur souffre avec lui dans le troisième lied, Ross! Mein Ross! Guère plus satisfaisante est sa Tove, , dont le changement de format, de délicate soprano mozartienne à soprano dramatique, ne nous a à vrai dire jamais convaincu : le volume nécessaire n'est pas plus présent ce soir que les aigus. La première partie s'achève fort heureusement sur un grand moment de lumière et de chant : chante certes la Colombe de Gurre, le rôle le plus gratifiant de l'œuvre, moins cruel pour la voix que les deux précédents, mais tout de même : outre une diction allemande sans faute, outre la chaleur et la lumière de son timbre, elle émeut par des accents discrets, sans se laisser emporter vers l'expressionnisme : rien que la première phrase, vibrante de douloureuse émotion, est une leçon de chant.

Les intervenants de la deuxième partie ne convainquent eux aussi qu'en partie : comme manquent un peu trop de malice pour décrire le pandémonium que déclenche la rébellion de Waldemar. enfin, qu'on n'avait pas entendu depuis longtemps sur une scène classique, a conservé toute la noirceur de son timbre, bienvenue ici ; il lui manque cependant un peu de liberté pour se détacher de la lettre et parvenir à  : on entend bien un chanteur ici, pas l'hybride souhaité par Schönberg.

C'est lui qui donne le coup d'envoi, avec les derniers mots de son texte, à ce grand moment qu'est le chœur final, le seul où interviennent aussi les voix féminines, apothéose solaire à laquelle on ne peut que s'abandonner. Les chanteurs du , accompagnés par leurs collègues de la MDR (radio couvrant le sud de l'ancienne RDA), donnent à cette renaissance de la lumière toute sa puissance extatique. L'acoustique de l'Isarphilharmonie n'est pas loin de la saturation, mais l'essentiel est sauf : l'extase est bien là, l'effet de masse impressionne, mais moins que la lumière et l'ivresse. Les hommes seuls, dans leurs interventions précédentes, avaient montré aussi leur capacité à alléger le son pour trouver des transparences insensées. Désormais à nouveau dirigé par Peter Dijkstra depuis 2022, après un premier mandat entre 2005 et 2016, le reste décidément au même niveau que l'orchestre qui lui est associé : Munich a d'autant plus de chance en la matière que les mélomanes ont aussi à leur disposition celui de l'Opéra de Bavière qui n'a pas non plus à rougir face à la concurrence internationale.

Mais c'est l'orchestre, cependant, qui est bien la vedette ce soir, et pas seulement parce que c'est son anniversaire – et la bonne nouvelle est que l'entente avec Simon Rattle, moins d'un an après son entrée en fonction, semble intense et fluide – rien à voir avec la distance qui s'était créé entre lui et le Philharmonique de Berlin dans les dernières années de son mandat. L'orchestre fait montre de toutes ses qualités individuelles et collectives, ces cordes graves moelleuses ou charbonneuse selon les besoins, ces solistes bois toujours expressifs et musicaux, cette capacité à varier à l'infini la dynamique, et la gourmandise avec laquelle Rattle suscite et goûte toute cette enivrante diversité sonore est visible. Il garde constamment en vue l'ensemble et ne cède jamais au plaisir du détail qui épate ; si grande que soit par moments la masse orchestrale, on ne perd jamais en transparence. On ne l'aurait pas cru possible, mais on sort du concert avec une admiration encore accrue pour l'une des œuvres les plus passionnantes de la modernité musicale.

Crédits photographiques : © Astrid Ackermann

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