Créé en 2022 pour le Bayerisches Staatsballett et capté le 20 décembre de la même année au Théâtre National de Munich, le récent ballet en trois parties du célèbre chorégraphe russe est désormais disponible en DVD et Blu-Ray.

Le 24 février 2022, la Russie envahit l'Ukraine. Trois jours plus tard, en protestation, Laurent Hilaire démissionne de son poste directeur du Théâtre académique musical de Moscou. Il prendra la tête du Bayerisches Staatsballett au mois de mai suivant. Pour la même raison, Alexeï Ratmansky suspendra quant à lui sa création L'Art de la fugue pour le Ballet du Théâtre Bolchoï alors prévue en mars 2022. Il rejoindra l'ancien danseur étoile du Ballet de l'Opéra de Paris en Allemagne dans le but de créer Tchaikovsky Overtures pour la compagnie du Théâtre national de Munich.

Pour Alexeï Ratmansky, « la politique et les arts sont interconnectés. » Ayant passé plusieurs années en Ukraine au cours de sa vie, sa sensibilité a raisonné avec la musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski et ses ouvertures-fantaisies inspirées de trois œuvres tragiques de William Shakespeare. De par sa composition chorégraphique, l'artiste exprime ses questionnements et ses émotions sur la conflictualité, le renouveau et l'amour, par le biais de références théâtrales séculaires et universelles.

Ce ballet en trois parties n'a pas été pensé comme une adaptation narrative classique. Bien que l'on puisse reconnaître clairement certains personnages comme Hamlet, Caliban ou Roméo et Juliette, Alexeï Ratmansky propose une plongée émotionnelle abstraite au cœur de l'essence même des trois œuvres shakespeariennes. Il a fait le choix de ne mettre en scène de manière évidente que quelques moments clés de la narration, tels que la scène finale d'Hamlet, le naufrage de La Tempête ou la mort de Roméo et Juliette. Ainsi, il se laisse la possibilité de donner libre cours à des séquences dansées approfondies sur les émotions qui traversent les personnages et les tensions entre les différents groupes.

Les costumes et les décors sont l'œuvre du scénographe français Jean-Marc Puissant et constituent un véritable fil rouge entre les trois parties de ce triptyque. Aimant jouer avec les volumes, il s'est attelé à concevoir une structure aux éléments modulables et géométriques, rappelant la pierre ou l'encre de Chine traditionnelle. Il a également choisi d'associer à cette ambiance très minérale des costumes dans les tons blancs, noirs ou bleu de Prusse avec quelques touches de couleurs subtiles (tutus plateau bicolores, tuniques en voilage transparent par-dessus une tunique bleu turquoise, combinaisons moulantes aux bretelles jaune fluo, etc).

Sous une lumière blanche froide et tamisée, parfois ponctuée de barres de néons vifs et colorés, la compagnie évolue dans un langage néoclassique maîtrisé, mais s'éloignant toutefois peu de l'académisme. Hormis, par exemple, quelques passages au sol dans Hamlet et Roméo et Juliette ou des roulements d'épaules dans La Tempête, le langage classique reste parfaitement reconnaissable et varie peu d'une partie à l'autre. Il convient néanmoins de noter et d'apprécier une utilisation originale des attitudes, en particulier dans certains grands sauts chez les hommes.

Austères mais raffinées, les Tchaikovsky Overtures ont été filmées en toute simplicité en alternant plans larges et rapprochés depuis l'extérieur de la scène, un dispositif qui sied très bien aux ballets frontaux tels que celui-ci. Bien que le style chorégraphique mis en jeu ne prenne que peu de risque, l'ensemble reste bien construit et intéressant, notamment grâce à une alchimie évidente entre chorégraphe et scénographe.