Création d’Antigone de Pascal Dusapin à la Philharmonie de Paris
La Grande Salle Pierre-Boulez accueillait en création mondiale l'« opératorio » Antigone de Pascal Dusapin. Résultat : une tragédie tragiquement réduite à ce que souhaite bien faire comprendre le musicien à un public, il est vrai si distrait parfois, que « parler d'Antigone, c'est parler de notre monde, à chaque moment de son histoire. » Dont acte !

Écrire un opéra aujourd'hui, c'est d'abord et avant tout « parler de notre monde »… musical ! Quoi de neuf à faire ? Veut-on surprendre, indigner ou émerveiller ? La supposée urgence d'un quelconque message justifie-t-elle le sacrifice de la beauté ? Interrogations que l'on pourrait résumer par la question : qu'est-ce qui fait une actualité artistique ? Le défi n'est pas mince pour le créateur, ni, finalement, sa responsabilité. Pour Pascal Dusapin – le « compositeur français d'opéras le plus joué au monde » (Le Figaro) –, les choses paraissent simples, puisqu'il en donne ce soir le douzième. Celui pour qui « le vrai fil rouge [dans ses opéras], c'est l'amour face à la loi » (interview au Figaro pour Antigone), est un musicien engagé… dans un cycle s'inspirant de l'Antiquité : Medeamaterial (1992), Passion (2008), Penthesilea (2015) et souvent d'auteurs allemands (Müller, Nietzsche, Kleist et aujourd'hui Hölderlin). Au public de comprendre l'articulation entre musique, bons sentiments et haute intellectualité revendiquée dans une filiation avec les grands auteurs (également Dante, Marlowe, Shakespeare, Gertrude Stein…). Sans bien sûr oublier la mise en scène.

Celle-ci séduit d'emblée par son épure et sa symbolique assez simple. Sur la gauche, un imposant théâtre grec stylisé montrant de massives colonnes blanches de section carrée. Pour renforcer cette image du pouvoir est disposé, sur la droite, un ensemble semi-circulaire de micros sur pied, comme pour une conférence de presse. Au-dessus d'eux, deux écrans rectangulaires. Sur le péristyle sont projetées des images grises, tour à tour : hachures, nuages, vagues océaniques, herbes… Les protagonistes sont tous de noir vêtus, excepté l'enfant accompagnant Tirésias, qui arbore une sorte de robe à capuche blanche. Comme le précise dans le programme Netia Jones, la metteuse en scène : « Il y a donc un élément visuel et construit très fort, mais ce sont la musique et les chanteurs qui portent le drame. »

Très concentré, Klaus Mäkelä donne le départ aux percussionnistes de l'Orchestre de Paris. L'opératorio s'ouvre ainsi sur un avertissement tant martial que viril. Ce fracas inaugural est vite tempéré par une très belle mélodie, fluide et rêveuse, à la flûte (ainsi, dès le début, le compositeur montre que pour lui ce dernier instrument est celui de l'émotion). Le symbole semble clair, mais sans doute d'un dualisme simpliste : ce sont le patriarcat et la résistance féministe qui s'affrontent ici. Dès les premières mesures, on comprend aussi que la musique est conçue comme un ensemble organique assez indépendant. Le chœur antique ? Peut-être… S'écoute-t-elle pour elle-même ou bien sert-elle à caractériser l'atmosphère, à amplifier les propos, à souligner l'universalité de la tragédie ?
En réalité, on se demande ce qui prime chez le compositeur, qui affirme dans le programme : « Le désir d'une musique sur un texte naît de la musique elle-même. Je ne cherche jamais un texte à mettre en musique, je le trouve. Le texte rencontre – à un endroit précis – mon désir de musique, puis c'est le texte qui produit la musique. » Alors, l'œuf ou la poule ? À chacun de répondre. Une chose est sûre : le créateur est omnipotent.
L'œuvre est conçue comme la succession d'une quinzaine de scènes : Antigone avoue à Ismène qu'elle a enfreint les lois de la Cité en offrant une sépulture à leur frère Polynice ; puis apparition de Créon, combinaison noire et guirlande de décorations pectorales, flanqué d'une Eurydice habillée en parfaite secrétaire de direction, et qui annonce à la télé la déchéance de Polynice, ennemi de la cité dont la dépouille sera offerte aux oiseaux et aux chiens ; ensuite, un messager annonce au roi la découverte du corps enseveli, etc. Ce qui étonne le plus ce soir c'est la linéarité de l'ensemble. Bizarrement, le drame est parfaitement plat : les faits et la sentence sont annoncés très rapidement. Il n'y a que le basculement psychologique de Créon à la toute fin qui apporte un peu d'éclat. Même si l'écriture est soyeuse et très agréable par moments – en particulier, la respiration instrumentale qui précède le duo Créon-Hémon, où s'entendent, en alternance ou ensemble, la flûte, le carillon, les cloches tubulaires et la harpe, peut-être dans une évocation de la Grèce antique –, elle n'est presque tout le temps que répétition d'une même recette appliquée entre deux échanges de paroles : la frappe des percussions relayée par les glissandi descendants des trombones et le tapis des cordes sur des notes tenues. Le procédé lasse très vite, de même que les parties vocales, sans couleur ni chaleur, comme émanant d'une seule et même voix déprimante. Le pire est atteint avec la déclamation cafardeuse d'un Tirésias revêtu d'une pelisse et porteur de grosses lunettes de réalité augmentée. La qualité des sept solistes – Christel Loetzsch (Antigone), Anna Prohaska (Ismène), Tómas Tómasson (Créon), Jarrett Ott (le messager), Thomas Atkins (Hémon), Edwin Crossley-Mercer (Tirésias) et Serge Kakudji (Coryphée) – n'est certes pas à mettre en doute, mais leurs envolées sont ennuyeuses et peu convaincantes. Même le monologue d'Antigone n'émeut pas. Pourtant le personnage de Sophocle est si touchant, si proche de nous individuellement !
La bonne nouvelle : le créateur « ne considérant que l'essentiel, condensant à l'extrême la substance narrative » (programme), son opératorio ne dure qu'une heure et demie.










Comment comprendre l’accueil enthousiaste au moment du salut, si l’ensemble de l’œuvre était si monotone, ennuyeux et emprunté?
Ouf… je me demandais si j’étais une mauvais coucheur…
Mais déjà au bout de 5min, je me suis dit… « ça va être long ».
Poncifs de mise en scène, visuels et musicaux… mais de nature à impressionner les impressionnables…
Bref… totalement dispensable.