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Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre… Ou comment avoir vingt ans ouvre la porte à l’éternité …

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Paris. Théâtre du Châtelet. Mercredi 18 décembre 2002. 20ème anniversaire des Musiciens du Louvre. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Extraits de Castor et Pollux, Les Boréades Les Fêtes d’Hébé, Les Indes Galantes, Platée, Dardanus, Hyppolyte et Aricie, Les Paladins, Zaïs, Le Temple de la Gloire, Anacréon, la Naissance d’Osiris, Zoroastre, Naïs. Chœur et Orchestre des Musiciens du Louvre-Grenoble. Mark Minkowski, direction. Avec la participation de : Mireille Delunsch, Marion Harousseau, Aurélia Legay, Magali Léger, Sopranos. Sylvie Brunet, Joyce DiDonato, Magdalena Kozenà, Anne-Sofie von Otter, mezzo-sopranos. Nathalie Stuztmann, alto. John Mark Ainsley, Cyril Auvity, ténors. Jean-Sébastien Bou, François Le Roux, Laurent Naouri, barytons. Mirella Giardelli, assistante et chef de Chant. Christophe Grapperon, chef de chœur. Yvon Répérant, chef de chant.

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« Rameau est la récompense de notre fatigue et l'un de nos plus chers étonnements ».
Jacques Rivière – « Etudes » (1909)

Le 20 mars 1982, en l'Eglise Saint-Merry à Paris, un nouvel ensemble, , donnait un premier concert, sous la direction de , avec des concertos de Bach, Haendel et Vivaldi.

Depuis, que de chemin parcouru, concerts et enregistrements à la clé, jusqu'à l'installation à Grenoble en 1996 qui avait déja marqué un tournant décisif, avec une identité et une reconnaissance clairement affichées.

Il est clair cependant que ce mémorable Ariodante donné le 11 janvier 1997 en version de concert au Théâtre de Poissy, dont Archiv Produktion réalisa un an plus tard l'enregistrement « historique » que l'on sait, accrut de manière formidable la notoriété de et de son ensemble, pourtant d'ores et déja bien positionnés sur la scène internationale, avec, à leur côté, leur « muse » incontestée, la divine Anne-Sofie von Otter, qui, en quelque sorte, comme plusieurs autres artistes, bien sûr, allait désormais faire partie de leur « monde ».

Déja, l'an dernier, nous avait offert une soirée très festive, le 21 décembre 2001, avec un concert Offenbach réalisé autour de la délicieuse Anne-Sofie… qu'un CD et un DVD viennent de fixer pour la postérité.

Cette fois, quasiment une année plus tard, le public du Châtelet retrouvait avec bonheur les mêmes, ou presque, pour une célébration un peu plus solennelle, placée sous le signe du grand Rameau, et en présence cette fois des plus hautes autorités culturelles et artistiques. On remarquait en effet, entre autres Jean-Jacques Aillagon, Ministre de la Culture et Gérard Mortier, futur directeur de l'Opéra National de Paris…

Ce concert prestigieux, annoncé à guichets fermés, dont le long programme – plus de trois heures – fut consacré exclusivement à Rameau, ne déçut point l'attente du public venu en très grand nombre.

Certes, quelques artistes invités manquaient au rendez-vous : Dame , qui s'était exprimée sur les ondes à ce sujet ; , et Jennifer Smith, qui avaient présenté leurs excuses au public par l'intermédiaire d'une mention dans le programme….(, dans l'incapacité de chanter, était quand même dans la salle…)

Cependant, malgré la très grande qualité de tous ceux qui avaient répondu présent, on peut dire que le grand triomphateur de cette soirée fut l'orchestre – et après tout, finalement, cela allait de soi, puisqu'il était en première ligne.. Il fut, comme de coutume, mais peut-être encore plus ce soir-là, brillantissime, aussi bien dans l'élégie que dans l'allégresse ou la déploration, une large place étant faite aux musiques de ballet et intermèdes.

Comme pour la soirée Offenbach, Mark Minkowski et ses musiciens donnèrent à entendre à la fois des extraits d' œuvres célèbres, comme Platée, les Fêtes Galantes, Hippolyte et Aricie, Zoroastre et d'autres plus rares : La Princesse de Navarre, le Temple de la Gloire, Naïs, étonnants joyaux recélant des splendeurs inattendues…

On ne dira jamais assez le rôle fondamental joué par Rameau dans l'histoire de la musique. En effet, son Traité de l'harmonie, publié en 1722, restera pendant deux siècles la référence des musiciens, et son Nouveau Système de Musique du Livre Théorique, paru en 1724, en définissant les principes sur lesquels allait reposer toute l'harmonie moderne, influencera de manière décisive des compositeurs bien plus tardifs, comme Debussy.

Il semble décidément que, comme pour Haendel et… Offenbach, il y ait entre la musique de Rameau et Marc Minkowski une espèce d'affinité sensuelle et jubilatoire. Témoins, le Prologue de Dardanus et l'Air tendre pour les Muses du Temple de la Gloire, donnés en première partie, la Chaconne de Dardanus et l'entrée de Polymnie des Boréades dans la seconde, où l'orchestre donna à entendre des sonorités inouies, d'une sublime suavité.

Côté chanteurs, on retiendra les prestations somptueuses de dans l'air de Thésée d'Hyppolite et Aricie, de Joyce di Donato dans La princesse de Navarre (cette magnifique artiste triomphait parallèlement à Garnier dans le rôle d'Angelina de La Cenerentola), de , admirable dans l'air d'Antenor de Dardanus et bien entendu de la superbe von Otter dans l'air fort attendu de Phèdre d'Hippolyte et Aricie, où sa noblesse naturelle et son sens inné de la déclamation constituèrent un sommet absolu du chant.

Citons encore , très touchante dans un autre air de Phèdre « Cruelle mère des amours », Sylvie Brunet dont la grande voix chatoyante, embrasant la scène finale de Castor et Pollux, « Brisons tous nos fers », ne fut pas sans rappeler l'immense , et pour finir l'époustouflante dans l'Air de la Folie de Platée qui avait déjà déchaîné l'enthousiasme du public lors des représentations de Garnier.

On ne saurait oublier les belles prestations de Dardanus – et de la jeune – Clarine de Platée – dont la fraîcheur et le charme avaient déjà fait merveille dans le rôle de l'Amour d'Orphée et Eurydice de Gluck à Poissy en mai dernier. Par contre, celle de Magdalena Kozena s'avéra décevante, la jolie voix très musicale de cette artiste ne pouvant masquer une certaine inexpressivité. en particulier dans son premier air, celui de Télaïre dans Castor et Pollux.

Tout aussi formidable que l'orchestre, le chœur brilla de mille feux, en particulier dans Les Indes Galantes.

Chaque partie de ce concert mémorable eut son bis : la première, une transcription pour chœur d'une célèbre pièce pour clavecin « La Poule » qui nous valut quelques amusants caquetages sortis de ces fort jolis gosiers. Le seconde vit son aboutissement avec un premier bis inattendu « Pizzicato Polka » de Johann Strauss – donné déja à Poissy le 4 avril 2002 pour le dixième anniversaire de ce Théâtre – puis une pièce pour chœur sur laquelle beaucoup s'interrogèrent. Il s'agissait en fait de la grande passacaille de King Arthur de Purcell, sur des « paroles de circonstance » d'. Citons une phrase, entre autres : « On a tout le temps quand on a vingt ans »….

Pour la fin, on peut cette fois encore donner la parole à Jacques Rivière :

« Mais le véritable prodige, c'est l'orchestre qui, ne procédant que par rigaudons, menuets et chaconnes, tient l'auditeur dans un trouble perpétuel d'attente et de délice. Partout traînent les désirs, coulent les plaintes, glissent au long du cœur les plus voluptueux désespoirs. Qu'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit pas seulement des « tendres amours » et des « doux soupirs » dont le texte est prodigue ; nous ne respirons pas là simplement la fadeur galante du XVIIIè siècle. Mais les sentiments que porte cette musique ont l'élan pur et direct des larmes qu'on ne peut empêcher. Je vois la Muse debout, et d'une main elle tient son grand cœur anxieux qui bouge sous sa robe ; son attitude est pleine de décence ; mais je n'en sais pas moins qu'elle souffre des mêmes amours que moi. Si vous en doutez, il ne faut qu'écouter l'admirable chaconne finale et surtout l'ascension sombre, haletante, épuisée, bien que toujours passionnément réservée, qui remplit le prélude du troisième acte et que Les Tablettes de la Schola ont pu, sans trop d'arbitraire, rapprocher de la « Solitude » de Tristan. » (In « Etudes » (1909 – 1924)- A propos de Dardanus – Editions Gallimard).

Alors, longue vie, donc, au Musiciens du Louvre et espérons qu'ils « auront toujours le temps »… éternellement.

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