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Fin ronronnante de la Tetralogie parisienne

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Paris, Opéra-Bastille. 8-VI-2011. Richard Wagner (1813-1883) : Le Crépuscule des Dieux (Götterdämmerung), troisième journée en trois actes du Festival scénique L’Anneau du Nibelung sur un livret du compositeur. Mise en scène : Günter Krämer ; Décors : Jürgen Bäckmann ; Costumes : Falk Bauer ; Lumières : Diego Leetz ; Mouvements chorégraphiques : Otto Pichler. Avec : Torsten Kerl, Siegfried ; Iain Paterson, Gunther ; Peter Sidhom, Alberich ; Hans-Peter König, Hagen ; Katarina Dalayman, Brünnhilde ; Christiane Libor, Gutrune et Troisième Norne ; Sophie Koch, Waltraute ; Nicole Piccolomini, Première Norne et Flosshilde ; Caroline Stein, Woglinde ; Daniela Sindram, Deuxième Norne et Wellgunde. Chœur et Orchestre de l’Opéra National de Paris (chef de chœur : Patrick-Marie Aubert), direction : Philippe Jordan

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Voilà donc achevé le nouveau Ring dont l'Opéra de Paris a confié la scénographie à et la direction musicale à . Force est de reconnaître que leurs mérites respectifs ont été jusqu'ici diversement salués par les commentateurs, le plus souvent assez réservés sinon plus vis à vis de la mise en scène, alors que le chef recevait plutôt des éloges. L'épisode final allait-il changer la donne ? Disons le tout de suite, pas vraiment.

Commençons donc par la mise en scène de ce Crépuscule des Dieux qui, il faut le reconnaître ne contient cette fois rien de vraiment choquant (sauf l'extrême fin peut-être), malheureusement pour la simple raison qu'elle ne contient presque plus rien du tout. Car, si certaines scènes « bénéficient » d'un minimum de mise en place et d'animation, d'autres sont réduites à leur plus simple expression, littéralement dénuées de mise en scène, quasi version de concert. Ainsi se retrouve t'on avec des personnages immobiles chantant leur air devant un rideau noir, ou ,par exemple, la scène 3 de l'acte II, habituellement très animée car Hagen appelle ses vassaux qui accourent de partout, proposée ici avec un chœur d'hommes préinstallé sur des gradins (donc venant de nulle part), uniformément vêtus par ce qui ressemble à un pyjama ou une tenue de groom, totalement figés, mains vides et physiquement inexpressifs. « Nous arrivons en armes, brandissant nos épées tranchantes » clament-ils alors … s'ils le disent il faut bien les croire ! Il en sera de même dans le très statique duo Brünnhilde Waltraute, où doit rester figée jusqu'à la toute fin où elle bascule le vaisselier de sa sœur, seule action de toute la scène. Voulant peut-être s'éviter toute tentation d'animation, la mise en scène est allée jusqu'à faire de Hagen un hémiplégique scotché à sa chaise roulante, le malheureux étant en général « déposé » à sa place en début de scène pour n'en plus bouger ensuite, ce qui va forcément considérablement limiter ses capacités d'expression corporelle. Pourquoi cette volonté de ne pas « jouer le jeu » théâtralement, de ne pas se faire – et nous faire – plaisir, mystère, mais cela nous semble bien dommage et pas du tout à sa place dans une œuvre comme celle-ci. La direction d'acteur, qui nous avait semblé plutôt tenue dans Siegfried, nous parut elle aussi marquer un pas en arrière, faisant cette fois-ci du héros un vrai nigaud, et tournant certaines scènes à la limite de la désinvolture ou de la comédie involontaire. Ainsi la rencontre Siegfried (en costume trois pièces disant « où puis-je laisser mon cheval ? », mais ça on a l'habitude) Gunther, lorsque le premier dit au second « battons nous ou soyons amis » les mains dans les poches comme s'il avait dit une banalité, là c'est carrément paresseux. Et leur serment du sang quelques instants plus tard tourne au comique, ce qui ne colle pas du tout avec la musique de Wagner, d'autant le chef la joue très (trop) posément. On pourra bien trouver un soupçon d'originalité dans la relation Hagen Alberich, le père, qui tuera lui-même Siegfried, n'étant probablement présent que dans l'esprit du fils, et de fait invisible des autres, sinon le « Hagen qu'as tu fait ? » qui suit le meurtre n'a plus de sens. Mais c'est bien peu d'idée directrice dans un morne lac qui le resta jusqu'à l'Immolation finale et son imagerie saugrenue de jeu vidéo et cette main tenant un pistolet déglinguant un à un les Dieux et leur Walhalla. Cette image, qui frise quand même le grotesque en regard de la sobriété de tout ce Crépuscule, interroge sur sa propre signification et à rebours sur tout ce qui a précédé, sans qu'une réponse nous paraisse évidente.

L'inégal plateau vocal observé jusqu'ici l'est resté jusqu'au bout. Incontestablement le Hagen de s'y est montré le plus à l'aise, avec une voix pleine, sonnante, expressive et heureusement car, comme on l'a dit plus haut, il n'avait que ça pour s'exprimer. Le public lui fit un juste triomphe. Presque à l'opposé, le Siegfried de Torsten Kerd, bien court de voix (il lui faudrait une salle deux fois plus petite, et encore !) se fait littéralement écrabouiller par la Brünnhilde de dès qu'il faut pousser les décibels. Cette dernière reçu un mérité succès auprès du public par son engagement et l'intensité désespérée qu'elle mit dans son rôle, emplissant Bastille lors des poussées d'adrénalines, au détriment des nuances et d'une continuité vocale légèrement en délicatesse ce soir. Belle réussite des Filles du Rhin dont les interventions constituaient également les meilleurs moments scéniques de la soirée. Si nous sembla en retrait à l'acte I, son Gunther monta d'un cran en intensité par la suite, la voix se fit plus pleine et plus humaine alors que nous sembla rester tout du long quelque peu effacée vocalement, il est vrai que son personnage était un des plus sous employés de cette scénographie, comme qui, en d'autres circonstances peut surement mieux incarner sa Waltraute.

Si la prestation orchestrale resta la meilleure satisfaction de la soirée, avec un orchestre globalement en grande forme, on nous permettra d'émettre quelques réserves sur la façon dont aborda le premier acte, qui, comme la mise en scène, ronronna comme un (très) long fleuve tranquille, ce qu'il n'est pas vraiment. Le récit des Nornes était déjà limite, mais le trop paisible Voyage de Siegfried sur le Rhin, loin de l'enthousiasmant morceau de bravoure habituel, plomba un peu l'ambiance qui ne décolla jamais tout au long de cet acte. Ainsi le chef ne compensait pas par l'intensité musicale le manque d'animation qui régnait sur scène, ce qui, probablement, pénalisa également son plateau vocal qui lui aussi resta en retrait tout l'acte I. Heureusement les deux actes suivant furent nettement plus vivants, pas autant qu'on aurait rêvé, mais cette fois-ci on pouvait profiter de la performance de l'orchestre sans être trop frustré par le tempo ou le tonus des phrasés. Chef et orchestre furent d'ailleurs justement ovationnés à la fin.

Ainsi donc s'achevait ce nouveau Ring parisien, où, on l'aura compris, les forces réunies n'étaient pas toutes aussi satisfaisantes. La scénographie est à oublier sinon à refaire, elle a d'ailleurs d'elle-même oublié d'exister en grande partie dans ce morne Götterdämmerung. Le plateau vocal reste inégal et en partie sous dimensionné compte-tenu du volume de la salle, et souffre de flagrants déséquilibres (Brünnhilde écrase trop Siegfried). Par contre on ne peut que respecter le travail de fond fait par le chef et son orchestre, qu'on sentit concernés et concentrés d'un bout à l'autre. Ainsi ont-ils atteint dès leur première Tétralogie un remarquable niveau de base sur lequel il leur faut maintenant insuffler plus de vie et de feu pour bâtir une mémorable interprétation. Rendez-vous en 2013 ?

Crédit photographique : (Siegfried) ; (Brünnhilde) & (Waltraute) © Charles Duprat / Opéra national de Paris

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