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À Genève, Così fan tutte sans Mozart

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Genève. Théâtre des Nations. 30-IV-2017. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Così fan Tutte, opéra bouffe en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène : David Bösch. Décors : Falko Herold. Costumes : Bettina Walter. Lumières : Michel Bauer. Veronika Dzhioeva, Fiordiligi ; Alexandra Kadurina, Dorabella ; Monica Bacelli, Despina ; Vittorio Prato, Guglielmo ; Steve Davislim, Ferrando ; Laurent Naouri, Don Alfonso. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef de chœur : Alan Woodbridge). Orchestre de la Suisse Romande, direction musicale : Hartmut Haenchen.

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Formidable metteur en scène, offre un théâtre d'une grande vivacité dans ce Così fan tutte de dont malheureusement le compositeur semble absent, vu la pâleur de la direction d'un d'une discrétion sonore déconcertante.

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En 1989, après Don Giovanni de Mozart mis en scène par Peter Sellars à la Maison de la Culture de Bobigny, Philippe Meyer, alors chroniqueur matinal à France Inter, disait qu'on craignait que la musique de Mozart dérange la mise en scène. C'est un peu ce que ce Così fan tutte genevois laisse à penser.

En transposant l'intrigue dans un bar à l'italienne des années cinquante, s'accroche à un théâtre de situation dont le discours scénique fait front aux invraisemblances du livret de . La plus grande de ces invraisemblances étant que, malgré le déguisement de leurs amants en Albanais (ici en loubards de banlieues), ni Fiordiligi ni Dorabella ne les reconnaissent. Mais nous sommes au théâtre et au théâtre on ne s'arrête pas à ces petites considérations. Se libérant des contradictions du livret, dirige les six protagonistes de cette intrigue en les emmenant dans un tourbillon scénique époustouflant. On court, on danse tout en jouant au babyfoot, on sort en claquant les portes, on se dénude pour montrer son poitrail couvert de tatouages, on remet sa petite culotte abandonnée sur le parquet, on se gicle des zestes de citron dans les yeux pour paraître en larmes, on boit des coups (souvent), on fume des clopes, on remet en marche le juke-box d'un coup de pied. Une formidable énergie se dégage des acteurs qui donnent la joyeuse impression d'y croire. C'est sain, c'est pétillant, c'est rafraîchissant.

Toutefois le propos théâtral du metteur en scène allemand délaisse l'aspect initiatique de l'intrigue. David Bösch, en homme de théâtre peut-être plus que d'opéra, privilège l'action théâtrale sans s'arrêter à une quelconque réflexion sinon sur le féminisme du moins sur la féminité de ses actrices. Pourtant, en exergue du programme, on peut lire une citation du philosophe Hippolyte Taine qui dit : « La pièce est satyrique et bouffonne ; je veux, avec Mozart, la voir sentimentale et tendre. » Rien de tel avec David Bösch qui dépeint les deux amantes, Fiordiligi et Dorabella, comme des cruches tandis que Guglielmo et Ferrando apparaissent comme des mâles conquérants sans reproches. Mozart s'absente, poussé hors du jeu par Da Ponte !

Cosi_fan_tutte.02Tenant toute la largeur du plateau, le décor (Falko Herold) d'un bar à l'impressionnant alignement de bouteilles, de quelques tables, d'un juke-box et d'un babyfoot, offre une arène idéale au tenancier (Don Alfonso) pour administrer la manœuvre d'une voix usée bien cachée derrière un jeu d'acteur envahissant. Le baryton (Guglielmo) et le ténor (Ferrando), forment une paire de magnifiques compères, tous deux investissant leurs personnages avec une belle présence et un humour contenu du plus bel effet. Si la voix du premier charme par son autorité sans dureté, le second, annoncé et malheureusement visiblement souffrant, est le seul du plateau à véritablement posséder le style du chant mozartien. Quant à leur deux « fiancées », la soprano (Fiordiligi) possède un instrument vocal sans faille, avec des aigus et des graves lancés avec une facilité déconcertante, alors que la mezzo soprano ukrainienne (Dorabella) lui donne la réplique avec une égale aisance. Toutes deux dotées d'une technique vocale exceptionnelle, elles sont capables de traits d'agilité époustouflants sans pour autant abandonner un formidable entregent de comédiennes. Dommage qu'elles ne dominent pas la diction de la langue de Dante.

Tout autre est la vivacité chaleureuse de la mezzo soprano italienne (Despina). Confirmant un superbe état de forme vocale et théâtrale, en véritable meneuse de troupe, elle dynamise le plateau avec un rôle, certes des plus gratifiant car alliant la comédie avec la brillance du chant, un rôle qu'elle fait sien en ne ménageant ni son énergie ni son charisme. Quelle fraicheur, quelle joie !

Cosi_fan_tutte.03Si toute la première partie de la soirée est enlevée comme dans une comédie brillante tant par le dynamisme théâtral que par les belles pages musicales de cette partition (on se souviendra du très beau « Come scoglio » de ), le deuxième acte révèle les limites de la plupart des interprètes dans ce qui est le style du chant mozartien. Quand cette même se retrouve seule à chanter son grand air « Per pietà, ben mio, perdona… » on mesure combien sa (trop) grande voix ne domine pas le legato, le style du chant mozartien, style qui demande de la légèreté dans les aigus. Ainsi, la soprano ukrainienne laisse l'impression de perdre jusqu'au sens du texte parce que la musique de Mozart intègre chaque mot et chaque mot de Da Ponte est musique. La critique peut paraître sévère. Parce qu'on ne chante pas Mozart comme Verdi ou Puccini, la tradition, le style restent seuls garants d'authenticité de la musique du maître de Salzbourg !

Si, même avec ces limites, le plateau brille, la fosse déçoit. Le chef allemand contient l' dans une tiédeur coupable. On se félicite alors de l'exubérance parfois excessive de la mise en scène car sans elle, la pâleur de la direction d'orchestre aurait plombé la farce mozartienne la projetant dans l'ennui le plus total.

Crédit photographique : © Carole Parodi

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