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Sommets Autriche-Angleterre-Russie au Festival de Besançon

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Besançon. Kursaal. 15-IX-2022. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 7. Anima Eterna Brugge, direction : Pablo Heras-Casado
Kursaal. 16-IX-2022. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Israël en Egypte. Avec : Tereza Zimková et Helena Hozová, sopranos ; Henriette Gödde, alto ; Juan Sancho, ténor ; Tomáš Šelc et Tadeáš Hoza, basses. Collegium 1704 et Collegium Vocale 1704, direction : Václav Luks
Théâtre Ledoux. 17-IX-2022 : Serguei Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n° 3. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade. Anna Vinnitskaya, piano. Orchestre de la Radio de Francfort, direction : Alain Altinoglu

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Sous les baguettes respectives de , et , trois concerts ont marqué l'édition 2022 du festival.

relit Bruckner

Bruckner sur instruments d'époque ! Le rêve du chef espagnol se réalise avec Brugge, la phalange belge fondée en 1987 par Jos van Immerseel. Commencer par la Symphonie n° 7 est une bonne introduction dans l'univers symphonique du compositeur. C'est en effet l'une des plus grandes réussites de Bruckner, avec son Allegro moderato à l'immédiate séduction, et, plus encore, la hauteur d'inspiration de son Adagio, une page si réussie, composée avant et après la mort du Maître de Bayreuth, qu'elle fut jouée en 1896 aux funérailles du Maître de Saint-Florian (et, on le sait moins, en 1945, par ce qui restait de la radio allemande après la disparition d'un dictateur qui venait de mettre le monde à feu et à sang). L'ombre portée de Wagner règne sur cette page, jusqu'au réemploi des fameux Wagnertuben (tubas Wagner) spécialement façonnés pour la Tétralogie en 1876 à Bayreuth. À Besançon, ils sont quatre au cœur d'une formation de soixante-douze. Sept contrebasses dominent le plateau du Kursaal dont l'acoustique enveloppante offre beaucoup d'intimité à la vision presque chambriste de . On ne peut s'empêcher de sourire à la chiche utilisation percussive d'une partition de soixante-cinq minutes qui laisse le timbalier généralement désœuvré et n'offre à ses deux acolytes qu'un unique climax à surligner d'un unique coup de cymbales et d'un tremolo de triangle ! Un certain allant caractérise une exécution (forcée au ré-accord, instruments d'époque obligent, avant le Scherzo) qui n'est pas sans faire pencher son Adagio vers le Ruhevoll de la Quatrième de Mahler ou son Finale vers la Marche des pèlerins d'Harold en Italie. En dépit d'une trompette par trois fois récalcitrante, les blocs organiques du discours brucknérien sont admirablement scellés et les crescendos habilement conduits à leur terme.

venge Israël en Egypte

Pour reconquérir le cœur des Londoniens qui avaient fini par bouder ses opéras, Haendel était revenu au genre qui avait fait sa gloire. Trois nouveaux oratorios coup sur coup : Saül, Israël en Egypte, L'Allegro il Pensieroso mondo ed il ModeratoIsraël en Egypte fut initialement conçu en trois parties. Haendel souhaitait y réutiliser le matériel composé en 1737 pour les funérailles de la reine Caroline (l'ode funèbre The Way of Zion Do Mourn) en l'adjoignant à deux parties narrant le destin des Hébreux sous domination égyptienne : un projet effectivement pharaonique (sa durée actuelle d'une heure trois-quarts aurait alors avoisiné les deux heures et demie du futur Messie) dont ne subsiste aujourd'hui que la Sinfonia d'ouverture commune aux deux œuvres. Mal accueillie en 1739, Israël en Egypte est pourtant une œuvre puissamment inspirée, la plus chorale de son auteur, les solistes n'y ayant que portion congrue. Le chef tchèque , de plus en plus présent dans le monde baroque, donne beaucoup de sa personne deux heures durant, que ce soit pour narrer les dix plaies d'Egypte d'Exodus ou pour exprimer les affects de Mose's Song. L'acoustique du Kursaal est à ce point généreuse (les bassons, comme l'ensemble des cordes graves, y révèlent d'emblée une prenante noirceur) que du parterre le son du dispositif, pourtant frontal, paraît provenir de l'arrière de la salle ! Les timbales frisent l'engloutissement avec les Égyptiens dans les flots acoustiques de But the waters overhelmed their enemies. Spectaculaires, les tempi s'adonnent au grand écart entre la déploration et la fresque. Le répond sans faillir à la multiplicité d'intentions envisagées par son chef, notamment lorsqu'il s'agit de frapper l'auditoire (le tranchant au terme de He smote all the first-born of Egypt). Les vingt-et-un chanteurs du Collegium Vocale 1704, disposés en formation double-chœur requise par l'œuvre, composent un outil virtuose (les vocalises sont ébouriffantes) dans lequel le chef peut puiser de solides solistes (trop parfois comme dans un The Lord is a man of war un peu déséquilibré lorsqu'une des deux basses prend par trop les mots au pied de la lettre). Tereza Zimková brille dans l'aérien Thou didst blow with the wind. L'alto tranquille d' s'affirme progressivement jusqu'à un Thou shalt bring them in déchirant. est un ténor percutant, Évangéliste idéal de cet Israël en Egypte qu'une assistance chavirée par tant de belle musique venge de l'injustice de son accueil originel.

magnifie la beauté éternelle de la musique russe

D'un programme dont, au contraire des deux précédents, l'on n'attendait que peu de surprises, l'on sera ressorti la tête bondée de superlatifs.

À l'adresse d'un spectaculaire Orchestre de la Radio de Francfort qui, de bout en bout, invalide la réputation de l'acoustique régulièrement décrétée sèche du Théâtre Ledoux. Des piccolos à la caisse claire, des pupitres sans faille aucune (même chez les cors !) qu'un programme particulièrement choisi à cet effet (dont une leçon d'orchestre intitulée Shéhérazade) révèle un à un.

À l'adresse d'une pianiste dont la jeunesse ne fait qu'une bouchée du Concerto n° 3 de Rachmaninov (le genre d'œuvre à laquelle, passée la séduction de son thème introductif, il faut s'abandonner à défaut d'en saisir le fil), ce concerto « dévoré tout cru », selon les termes du compositeur lui-même, par Horowitz. Pour , tout semble couler de source. Au contraire de Rachmaninov expliquant à son auditoire, en 1928, au terme de la création triomphale de ce concerto à la virtuosité diabolique, que ses propres doigts étaient incapables d'un seul bis, la pianiste russe, après avoir, sans effort apparent, séduit les auditeurs de son toucher fluide et lumineux, en choisit deux : Avril des Saisons de Tchaïkovski et une Étude-Tableau de Rachmaninov.

À l'adresse d'un chef, , souriant et attentif envers sa brillante soliste, qui, dès les premiers accords de La Mer et le bateau de Sinbad, transporte immédiatement l'auditeur dans le « kaléidoscope de couleurs » qu'est l'inusable suite symphonique de Rimski-Korsakov. Altinoglu donne du temps au premier dialogue violon/harpe exposant l'ensorcelant thème de l'immortelle conteuse, à celui du cor et du violoncelle un peu plus loin, au sublime dialogue que le basson entreprend avec les sept contrebasses pianissimo du début du Récit du Prince Kalender. Crime de lèse-musique pour quelques mélomanes, le chef français donne même du temps au rire en prenant la parole après un Andantino exposé avec une science infinie du détail, pour expliquer, après avoir porté la main à ses hanches, que ce n'est que sa ceinture (sic !) qui a chu à ses pieds, avant de reprendre les rênes d'un Allegro molto tout aussi haut en couleurs que ce qui a précédé, comme si de rien n'avait été : du grand art. Un Vol du bourdon (tiré du trop rare Tsar Saltan) sollicite une dernière fois, malgré sa fusante brièveté, tous les pupitres d'un orchestre exceptionnel, dont la première venue dans une ville qui en a invité tant d'autres a été saluée d'un long et légitime enthousiasme.

Crédits photographiques : © Yves Petit

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Besançon. Kursaal. 15-IX-2022. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 7. Anima Eterna Brugge, direction : Pablo Heras-Casado
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Théâtre Ledoux. 17-IX-2022 : Serguei Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n° 3. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade. Anna Vinnitskaya, piano. Orchestre de la Radio de Francfort, direction : Alain Altinoglu

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