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La Flûte enchantée à Strasbourg : Un livre d’images plein de poésie

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 8-XII-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Zauberflöte (La Flûte enchantée), opéra en deux actes sur un livret d’Emmanuel Schikaneder. Mise en scène : Johanny Bert. Décors : Amandine Livet. Costumes : Pétronille Salomé.. Lumières : David Debrinay. Dramaturgie : Louis Geisler. Marionnettistes : Valentin Arnoux, Chine Curchod et Faustine Lancel Avec : Eric Ferring, Tamino ; Lenneke Ruiten, Pamina ; Nicolai Elsberg, Sarastro ; Svetlana Moskalenko, la Reine de la nuit ; Huw Montague Rendall, Papageno ; Elisabeth Boudreault, Papagena ; Peter Kirk, Monostatos ; Julie Goussot, Première Dame ; Eugénie Joneau, Deuxième Dame ; Liying Yang, Troisième Dame ; Manuel Walser, l’Orateur ; Iannis Gaussin, Premier Homme armé ; Oleg Volkov, Deuxième Homme armé ; Louisa Bouzar, Léon Hieber et Benjamin Ogier, les trois Enfants. Chœur de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Hendrik Haas) ; Orchestre symphonique de Mulhouse ; direction musicale : Andreas Spering

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Avec sa Flûte enchantée aux tableaux magiques et poétiques et à la distribution jeune mais néanmoins solidement affirmée, l'Opéra national du Rhin présente un spectacle de Noël idéal pour enfants et (grands-)parents.

Après Nancy l'an dernier, l'Opéra national du Rhin (OnR) a choisi à son tour La Flûte enchantée pour son spectacle des fêtes de fin d'année. Une option assez évidente puisque l'ultime opéra de Mozart connaît toujours un succès intergénérationnel avec son livret à l'apparence de conte manichéen et à l'abord facile, son merveilleux propice au spectaculaire, ses airs célèbres et aisément mémorisables. De quoi ravir petits et grands pour peu que la réalisation scénique reste narrative, respectueuse et n'alourdisse pas le propos par un excès d'intentions ou de volonté démonstrative.

À ce titre, l'entretien qu'accorde le metteur en scène dans le programme ne laisse pas d'inquiéter puisqu'il souhaite montrer « l'identité multiple des personnages », dénoncer « le racisme et la misogynie », certes contenus dans le livret du XVIIIè siècle, et même « questionner les codes et les représentations de genre ». Fort heureusement, rien de tout cela ne transparaît, du moins de manière flagrante, dans sa réalisation scénique. Le décor épuré d'Amandine Livet figure deux niveaux : en haut les initiés, en bas l'isolement de ceux qui aspirent à le devenir. Le superbe travail de Pétronille Salomé sur les costumes les fait évoluer au gré des humeurs et des péripéties. Tamino apparaît en prince de convention bardé d'une armure qu'il perd aussitôt, se fait dépouiller de ses vêtements par les trois Dames puis reconquiert peu à peu un vêtement digne de son statut au fur et à mesure des progrès de son initiation. Pamina arrache peu à peu les ornements de sa robe de princesse pour finir en jeune femme libérée en pantalon et cheveux dénoués. Tout aussi inventifs, les éclairages constamment changeants de David Debrinay soignent les atmosphères et l'imaginaire, révèlent les détails et les éléments clés.

La direction d'acteurs de caractérise avec précision chaque personnage. Selon une option devenue habituelle, Pamina est la fille de Sarastro et de la Reine de la nuit, couple jadis uni et désormais antagoniste. Sarastro est un vieillard certes humaniste mais qui règne de manière plutôt dictatoriale sur un monde de règles et de lois intangibles, le monde du passé. Au tableau final, après sa mort, la jeune génération menée par Pamina et Tamino prend le pouvoir pour une société libérée des carcans et où l'individualité de chacun pourra, on l'espère, mieux s'exprimer. Par-delà son épicurisme et sa joie de vivre, Papageno n'a qu'un but : trouver l'amour et fonder une famille. Quant à Monostatos (sans « blackface »), c'est un véritable obsédé sexuel et il le montre… Mais la plus grande réussite de cette mise en scène est dans l'utilisation bien intégrée des marionnettes, dont est coutumier. Manipulé par trois talentueux marionnettistes, le pantin géant qui figure Sarastro s'anime avec véracité, tandis que le chanteur qui l'accompagne n'est que son porte-parole. Le serpent stylisé du début, les oiseaux lumineux que capture Papageno, la flûte éponyme qui flotte dans l'air, l'extraordinaire moment des épreuves où les deux marionnettes de bois figurant Pamina et Tamino prennent leur envol (ainsi que leur manipulateurs !), tout concourt à des instants scéniques de pure magie, de grâce et de poésie.

Formé au Conservatoire de Boston et à l'Opéra Studio de Chicago, offre un Tamino lumineux, rayonnant, à la parfaite homogénéité des registres et à la projection assurée qui gagnerait encore à plus de nuances dans l'aigu. Avec un timbre un peu acidulé mais des aigus limpides, sait susciter une forte émotion en Pamina par l'intensité scénique et la variété des colorations. en « double » de Sarastro impressionne par sa prestance et la profondeur sonore de son registre grave. Désavantagée par la mise en scène qui fait d'elle un femme détruite vivant misérablement dans un logis décati, manque quelque peu d'autorité en Reine de la nuit et ne convainc pas avec son premier air aux suraigus imprécis et à l'intensité irrégulière. Elle réussit beaucoup mieux « Der Hölle Rache » très applaudi mais reste handicapée par une prononciation trop imprécise de la langue allemande. Déjà remarqué à Londres, Chicago ou Paris, renouvelle son virevoltant Papageno doté d'un exceptionnel talent de comédien et d'une voix pleine, sonore et conduite avec aisance, ce qui n'est pas si fréquent dans ce rôle. en Papagena se hisse à la même hauteur tant scéniquement (roue de gymnaste et grand écart de danseuse inclus) que vocalement.

Bien qu'aux timbres assez contrastés, les trois Dames s'intègrent avec réussite et homogénéité à leur ensemble, qu'il s'agisse du soprano fruité de Julie Goussot, de celui plus droit d' ou du mezzo mordoré de Liying Yang, toutes formées à l'Opéra Studio de l'OnR comme le Monostatos un peu pâle de Peter Kirk et les impeccables Hommes armés de Iannis Gaussin et Oleg Volkov. Outre le très bel Orateur de Manuel Walser, les trois Knaben issus de la Maîtrise de l'OnR sont un peu déséquilibrés par la mue déjà avancée de l'un d'entre eux. On se doit ici de saluer la performance de réunir, pour les onze représentations prévues à Strasbourg puis Mulhouse, deux distributions en alternance avec de jeunes chanteurs aussi probants. Gageons que la seconde sera au même niveau que celle entendue ce soir. Quant au Chœur de l'OnR, il est à nouveau parfait tant dans la ferveur piano de « O Isis und Osiris » que dans la puissance des deux finales.

Le chef est issu de la musique baroque et adepte des instruments anciens. En conséquence, il soigne la vivacité et la transparence. Les tempos sont donc globalement très allants, assurant l'avancée du spectacle et son dramatisme, mais aussi très contrastés avec des respirations bienvenues pour les moments d'intense émotion comme l'air de Pamina « Ach, ich fühl's » ou le duo Pamina-Papageno « Bei Männern, welche Liebe fühlen ». L'effectif relativement réduit (une quarantaine de musiciens) de l'Orchestre symphonique de Mulhouse confirme leurs qualités instrumentales mais manque parfois d'ampleur.

Crédit photographique : (Tamino)et (Pamina) / (Pamina) et (Sarastro) © Klara Beck

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 8-XII-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Zauberflöte (La Flûte enchantée), opéra en deux actes sur un livret d’Emmanuel Schikaneder. Mise en scène : Johanny Bert. Décors : Amandine Livet. Costumes : Pétronille Salomé.. Lumières : David Debrinay. Dramaturgie : Louis Geisler. Marionnettistes : Valentin Arnoux, Chine Curchod et Faustine Lancel Avec : Eric Ferring, Tamino ; Lenneke Ruiten, Pamina ; Nicolai Elsberg, Sarastro ; Svetlana Moskalenko, la Reine de la nuit ; Huw Montague Rendall, Papageno ; Elisabeth Boudreault, Papagena ; Peter Kirk, Monostatos ; Julie Goussot, Première Dame ; Eugénie Joneau, Deuxième Dame ; Liying Yang, Troisième Dame ; Manuel Walser, l’Orateur ; Iannis Gaussin, Premier Homme armé ; Oleg Volkov, Deuxième Homme armé ; Louisa Bouzar, Léon Hieber et Benjamin Ogier, les trois Enfants. Chœur de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Hendrik Haas) ; Orchestre symphonique de Mulhouse ; direction musicale : Andreas Spering

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