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Les effluves du Sacré à la Philharmonie

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Paris. Festival Présences. Philharmonie : Grande salle Pierre Boulez. 10-II-2023. J.S. Bach (1685-1750)/Thomas Lacôte (né en 1982) : Ricercar à 6, extrait de l’Offrande musicale (CM) ; J.S. Bach : Der gerechte kömmt um, pour chœur a capella ; Unsuk Chin (née en 1961) : Concerto pour violon n°2 « Scherben der Stille » ; Yann Robin (né en 1974) : Requiem Æternam – Monumenta II, pour orchestre, chœur de 48 voix, ensemble vocal à 12 voix, deux pianos et orgue. Leonidas Kavakos, violon ; Lucile Dollat, orgue ; Jean-Frédéric Neuburger et Wilhem Latchoumia, piano ; Chœur de Radio France, chef de chœur : Roland Hayrabedian ; Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Kent Nagano

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est à la tête de l'Orchestre Philharmonique et du pour ce concert d'exception du dans la Grande salle Pierre Boulez où, entre requiem et concerto, des effluves sacrées circulent dans le labyrinthe des sons.

Ainsi commence-t-on avec J.S. Bach et son Ricercare à 6 de l'Offrande musicale dont le compositeur et organiste nous propose une nouvelle orchestration, bien différente de celle d'Anton Webern qui reste dans les mémoires. Le travail est tout en finesse et fluidité, le compositeur laissant aux cordes le soin d'exposer la fugue avant de déployer la palette des vents et de jouer sur le relais des timbres, préservant la transparence du contrepoint tout en faisant chanter les couleurs de l'orchestre : un objet, précise-t-il, détaché de son contexte historiographique et ouvert à toutes les interprétations. Celle de , sobre et ciselée, épousant avec souplesse les lignes du Ricercare, nous enchante.

Le violoniste est sur le devant de la scène dans le Concerto pour violon n°2, Scherben der Stile (« Briser le silence ») de la compositrice dont Présences poursuit le portrait. L'œuvre récente (2021), donnée en création française, est écrite à la demande du violoniste et pour lui, dont le physique et le geste ne laissent d'impressionner. « Mon concerto provient de son jeu », souligne la compositrice, pianiste de formation, qui dit mieux connaître aujourd'hui l'univers des cordes.

Assise souveraine, rythmique autant que timbrale, stabilité et puissance de l'archet, force intérieure qui propulse le son, voilà, entre autres qualités, celles que déploie Kavakos sur le plateau de la Philharmonie… Le violoniste mène le discours du début à la fin, exposant seul au départ une figure générique qui cerne un espace et imprime une couleur. Le motif conducteur revient plusieurs fois, dans des registres et variations autres et va servir de fil rouge dans la trajectoire labyrinthique du concerto dont on peut suivre tous les méandres. Vindicatif, lyrique, emphatique et toujours virtuose, le violon souvent en double cordes darde une lumière intense quand l'orchestre le rejoint ou s'oppose à lui, dessinant la dramaturgie en déploiements somptueux rehaussés d'une percussion très active. On est happé par une musique dont l'invention n'a d'égale que la facture qui la met à l'œuvre, articulant tout à la fois brillance, maîtrise formelle et courant énergétique. Le « Philar » n'est pas moins convaincant sous la conduite sobre autant que lumineuse de .

Retour à Bach, en début de seconde partie, avec le motet funèbre à cinq voix pour chœur et orchestre der gerechte kömmt um (« Les justes périssent ») de J. S. Bach, une page d'une belle expressivité pour préluder au requiem de même si la mise en place et l'équilibre entre voix et ensemble instrumental peinent à s'établir.

Face aux Mozart, Berlioz, Verdi et autre Fauré, écrire un requiem au XXIᵉ tient de l'aventure risquée ! relève superbement le défi et déploie les grands moyens, la pièce de cinquante minutes s'inscrivant dans la série de ses Monumenta ! Aux marges de l'excès qu'il jugule de main de maître, il conçoit une œuvre saisissante, aussi rude que flamboyante, dédiée à l'ami Jean Leber, violoniste décédé en juin 2020.
L'effectif pléthorique de Requiem Æternam -Monumenta II renvoie à l'idée du double (maléfique ou pas) qui semble aujourd'hui poursuivre le compositeur comme une obsession : deux pianos « en désaccord » sur le devant de la scène (l'un accordé à 442, l'autre à 338), un ensemble vocal de douze voix dans les rangs de l'orchestre symphonique auquel répond un chœur mixte installé à l'arrière scène, l'orgue, enfin, vu comme le double de l'orchestre. Chacune des composantes de cette grosse machine, « une usine à sons », selon le compositeur, contribue de manière efficace, via les allers-retours, juxtapositions et superpositions des différentes strates sonores, à la vision du compositeur.

Des six parties du requiem, le compositeur en retient quatre, l'Introït, le Kyrie, le Dies Irae (dont il traite les quatre premiers numéros) et le Libera me, ménageant de forts contrastes d'une séquence à l'autre. Le requiem débute et se termine sur la voix nue, presque sauvage, des voix scandant les premiers mots de la messe des morts, Requiem Æternam ; ces sons râpeux et éructés vont traverser toute l'œuvre, pulsions originelles que l'orchestre et le set généreux des percussions (tambour à corde, tam et peaux) vont amplifier, épaissir, projeter dans l'espace.

L'Introitus atteint déjà des sommets d'intensité, nourri par l'effervescence sonore des deux pianistes au premier plan, Jean-Philippe Neuberger (remplaçant au pied levé Bertrand Chamayou) et . Plus apaisé, le Kyrie eleison regarde vers la micro-polyphonie d'un Ligeti. Débutant dans l'aigu, les voix entrent par strates, rehaussées des fréquences scintillantes de la percussion métallique, pour former un nuage de sons d'une très belle facture. Les ongles (piano-guiro) et les avant-bras des pianistes sont à l'œuvre dans l'explosif Dies irae où l'orgue (impériale ) apporte sa surenchère sonore. Robin lui réserve un superbe solo annonçant les trompettes et autres voix de l'au-delà du Tuba mirum. C'est la scansion sèche des mots arrachés au silence, sans la présence des instruments, qui s'entend dans cette deuxième strophe du Dies irae accusant la plus grande économie de moyens. Le Rex tremendae est confié à un baryton-basse (un des membres du chœur), voix qui s'étrangle (son fendu) et glisse dans les profondeurs de son registre laryngé. Cette « esthétique des graves » doublée d'une pensée électronique chez Robin trouve dans le requiem toutes ses déclinaisons, donnant parfois l'impression d'une réverbération artificielle. La clameur finale (Lux Æterna), agglomérant tous les matériaux déjà déployés, relève d'une maîtrise impressionnante de cette « usine à sons » traversée par le verbe latin, métaphore de la quête du sacré dans un monde profane qu'interroge ici le compositeur.

Crédit photographique : © Christophe Abramowitz

 

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