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Vanessa Wagner et La Tempête habitent les pierres de Noirlac

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Bruère-Allichamps. Abbaye de Noirlac. 17-VI-2023.
15H. Dortoir des convers. Sonore Boréale. Avec : Sylvain Lemêtre, percussions et voix

17H30. Jardin. Jadayel. Avec : Quatuor Béla ; Duo Sabîl.

19H. Salle capitulaire. Infuse. Avec : Catherine Contour, Chorégraphe ; Bertrand Gauguet, saxophone

21H. Abbatiale. L’Enfant noir, inspiré du roman de Camara Laye et de la musique de Jean-Louis Florentz (1947-2004). Décor et création lumières : Marianne Pelcerf. Avec : Ellen Giaconne et Annabelle Bayet, sopranos ; Axelle Werner, mezzo-soprano ; Fabrice Foison, Richard Golian et Edouard Montjanel, ténors. Ali Cissoko, kora et chant. Anne-Lise Heimburger, récitante. Compagnie La Tempête, direction artistique : Simon-Pierre Bestion

18-VI-2023
11H. Studio 2. Immersion sonore. Avec : Jean-Christophe Désert

14H. Réfectoire. Les Mondes invisibles. Oeuvres de Hans Otte, John Cage, Emilie Levienaise, Bryce Dessner, Arvo Pärt, Philip Glass, Sylvain Chauveau, Moondog, Caroline Shaw, Harold Budd, Brian Eno, Meredith Monk, Peter Garland, Melaine Dalibert, Howard Skempton, Kate Moore, Ezio Bosso, William Susman, Laurel Halo, Nico Muhly, Ryuichi Sakamoto. Avec : Vanessa Wagner, piano

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A l'Abbaye de Noirlac, la nouvelle directrice, Elisabeth Sanson, apporte à l'ambition de son prédécesseur d'un dialogue très pensé entre lieu, silence et musique, celle d'une attention particulière dédiée à la parole. Preuve en est avec ces Traversées 2023.

Les sons silencieux

Le Dortoir des convers accueille Sonore Boréale, le solo percuté et parlé de , percussionniste de l'Ensemble Cairn qui s'est récemment illustré dans la création de l'opéra de Philippe Leroux L'Annonce faite à Marie. Se définissant lui-même comme « autodidacte du conservatoire », , ludion en totale liberté façon Hélios Azoulay, aujourd'hui seul devant une facétieuse table grouillante de percussions (les mailloches ressemblent à des sucettes, un chardon masqué sert de micro, des insectes à traction jouent à la culbute… ) n'engendre pas la mélancolie : à l'instar du passant qui complète en montagne les cairns, ces amas de pierres-repères, l'instrumentiste joueur (à tous les sens du terme), que l'on croit d'abord bien cloîtré dans sa bulle, sait embarquer son public par l'arme la plus redoutable qui soit : l'humour. De gloussements en réponses faciales, il entraîne l'auditeur à déposer à son tour, et à son insu, sa pierre sur le sentier qu'il a balisé à partir du recueil de compositions musicales imaginaires d'Olivier Mellano : La Funghimiracolette, dont la novlangue ravit le public de Noirlac. On passe de « bronisse » en « cachataouette », on parle de « claquettes électriques », de « choctemps », de « corpspositeur », on invente de nouvelles formes musicales comme la passacaille-batucada, on s'adonne à quelques transes. Ce concert de sons en tous sens est aussi un concert de silence : après la Tafel Music de Gérard Pesson, une interruption calculée du son est l'occasion pour Lemêtre d'engager un hilarant dialogue silencieux avec le public. Un dialogue où l'on aura compris chaque mot.

Orient et Occident

Le très voyageur Quatuor (français) Béla et le Duo (palestinien) Sabîl, qui se sont rencontrés en 2012, se retrouvent au Jardin, sous les tilleuls de Noirlac, pour une rencontre entre l'essence de la musique classique et celle de la musique arabe. Jadayel (Tresse) propose, non une complétude, mais une infusion réciproque en profondeur, qui n'est pas sans évoquer Passages de et Ravi Shankar.  Superstar de moult concerts, comme on l'a vu encore récemment à Vézelay, le oud est aussi celle de Jadayel. Toutes deux d'une évidente séduction, les compositions d'Ahmad al Khatib alternent avec celles de Frédéric Aurier (premier violon des Béla). Aurier est l'auteur d'un superbe Lamento inspiré pour le oud de la façon dont Dowland écrivait pour le luth. Al Khatib séduit avec les vingt minutes de sa Trilogie du Maqam, avec Gnaoua qui permet à Aurier de vanter avec humour les charmes ambigus de la mesure à six temps, laquelle, dit-il, présente, comme la bourrée, l'avantage de pouvoir être jouée à deux fois trois ou trois fois deux ! Mima (Le Hâvre) expose dans un rythme de berceuse les charmes du Home sweet home mais aussi la mélancolie qui s'y rattache lorsqu'on est forcé à la fuite. La musicalité des Béla infuse à merveille cet universalisme musical dynamisé par la darbouka et le bendir de Youssef Hbeisch. Quatre-vingt-dix minutes d'une prégnante nostalgie d'un monde idéal à construire.

Chorégraphie de l'invisible

« Artiste-exploratrice depuis le champ de la danse contemporaine », , soutenue par les tenues jouées ou soufflées du saxophoniste , propose Infuse, une performance de trente minutes qui en durera le double. Infuse déroule en temps réel la cérémonie du thé : sa minutieuse confection, puis sa lente distribution, par une assistante au sourire bienveillant, à chacun des trente convives réunis dans la Salle capitulaire du Cloître, dans des petits bols culbutos confectionnés par une céramiste à partir de son propre coude. Au terme de la chorégraphie invisible de cet éloge de la lenteur, ramasse les bols, dont l'empilement progressif contre sa poitrine édifie une sorte de colonne vertébrale. Las ! Tandis qu'elle repart chercher les bols manquants, la colonne de bols, posée non sans difficulté sur la table cérémonielle, laisse choir deux bols qui se brisent. Comme dans Jeanne Dielman, tout semble se dérégler soudain : la théière est renversée, les bols sont arrosés par l'artiste d'une eau passant outre les frontière de la table-paysage qui, jusque là, semblait conçue en rempart d'éventuelles catastrophes. Enfin une pluie de fleurs rageusement démembrées achève de mettre à sac un dispositif à la zénitude annoncée en préambule (« pas d'armes… pas de hiérarchie », avait prévenu ). Infuse se termine donc, à la stupeur générale, sur un paysage d'apocalypse qui n'est pas sans interroger. L'artiste nous confiera le lendemain, au terme d'une seconde performance plus en phase avec son ambition originelle, avoir été pressée par le temps, mais que le « tsunami infusatoire » figurait bel et bien dans le scénario d'une démarche qui ambitionne de rappeler à l'homme que la catastrophe peut ternir la plus savante des harmonies.

Le Soleil noir de La Tempête

Auréolé de son prix Liliane Bettencourt pour le chant choral, La Tempête reprend pour Noirlac L'Enfant noir, un des opus de son passionnant répertoire. Ceux qui croyait tout connaître de La Tempête seraient bien avisés de se précipiter à la prochaine reprise de L'Enfant noir, très certainement, à ce jour, le geste le plus haut en couleurs d'un catalogue (régulièrement repris) dont pas un titre n'a jusqu'ici laissé indifférent. Simon-Pierre Bestion, saisi dès ses 14 ans par la musique de Jean-Louis Florentz, a repris le témoin du projet interrompu du compositeur français, disparu à l'âge de 57 ans (18 opus seulement) : doter de quatorze pièces d'orgue, avec prélude et postlude, les douze chapitres du roman éponyme de Camara Laye paru en 1953. C'est le directeur artistique de La Tempête qui a orchestré (brillamment) la seule pièce existante, Prélude à l'enfant noir, avant d'en faire autant pour les suivantes (quelle variété d'atmosphères !) à partir de sept pièces des Laudes du compositeur aux 18 opus. En phase avec son sujet, il invite le joueur de kora , ainsi qu'une poignée de chants traditionnels d'Afrique et du Moyen-Orient dont le tube absolu Nanfoulé, à gros potentiel émotionnel. L'Enfant noir raconte, entre scolarisation et circoncision, le quotidien d'un enfant de Haute-Guinée, de la terre d'Afrique jusqu'à son envol final pour celle de France. Le récit, à la première personne, est confié à la merveilleuse Anne-Lise Heimburger, dont le torrent d'empathie sans mièvrerie fait mouche dès le premier mot. Six solistes (trois femmes à jardin, trois hommes à cour) rejoints, le temps de deux pièces, par les dix-sept instrumentistes, font figure de chœur antique  : une fois le décor planté par les Allah akhbar des trois ténors, on voyage entre éthiopien, arabe, grec, français, latin… Quelques passagers clandestins ont infiltré l'orchestre : percussions transfrontalières, accordéon, cornets, duduk, ney, et même un ophicléide ! Invites au recueillement, quelques masques des rituels guinéens éclairés comme des vitraux constellent le dispositif enluminé par Marianne Pelcerf autour de la direction sculptée du griot Bestion. Profondément remué, le public n'est pas près d'oublier le dernier accord : le son, autre pièce maîtresse de la démarche de La Tempête, est, à cet instant conclusif, absolument exceptionnel, pour illustrer, dans les pierres de Noirlac, l'ascension vers l'azur d'un avion emmenant à son bord un enfant qui va finir de se construire ailleurs… Une soirée stupéfiante que l'on espère retrouver très vite au disque.

De la plume à la plume

Dans le studio 2 de la ferme de Noirlac, Jean-Christophe Désert, le coordinateur des ateliers sonores, a minutieusement mis au point une immersion sonore d'une heure qui emmène en chaise-longues une dizaine de privilégiés pour un voyage entre l'animal et l'humain : soit un face-à-face entre des chants d'oiseaux captés dans le bocage de Noirlac et les notes sorties de la plume de compositeurs captés dans l'histoire de la musique. La vraie caille et celle de Beethoven, la vraie poule et celle de Rameau, le vrai rossignol et celui de Vivaldi (37 extraits au total) se font entendre successivement ou simultanément par le truchement de deux ceintures d'une dizaine de haut-parleurs. Jean-Christophe Désert est ce maestro tout de bienveillance paisible qui répond aux nombreuses questions de ses élèves d'un jour.Le nouveau monde de

C'est David Sanson, conseiller artistique des Traversées, qui a eu l'idée de proposer à Les Mondes invisibles, soit, dans la grande salle du Réfectoire, une traversée pianistique de 2h30 non stop autour de (qui, dit-elle,  a révolutionné sa vie de pianiste). Un demi-siècle après le « coup de pied dans la fourmilière sérielle » lancé par l'auteur d'Einstein on the beach, la pianiste propose un programme déroulé à Noirlac dans un ordre décidé sur l'instant (Glass, mais aussi John Cage, , , , , , , …), fait le passeport vers un monde moins intéressé par la performance qu'assoiffé d'intériorité… Dans un rituel qui n'est pas sans évoquer les premiers concerts de dans les lofts new-yorkais de la fin des années soixante, des auditeurs en toute liberté (chaise-longues, coussins, autorisations de déplacement…) écoutent religieusement des pièces dont la tranquille beauté affiche un tempo globalement retenu : on aura attendu en vain la sensationnelle Etude n°6 de Glass, avant de comprendre qu'elle aurait probablement été hors-sujet dans un voyage qui ne se rêvait qu'intérieur. Malgré le cristal arpégé de sa partie centrale, la Métamorphose n°2 fait parfaitement l'affaire, la simplicité de son inusable mélodie étant de celle à faire fondre les cœurs et les sensibilités les plus asséchées. Le Steinway de Wagner apporte à ces pièces la magnificence du son, la science de la dynamique (l'Étude n°2 de Glass n'avait encore jamais révélé autant de puissance), et la passion sincèrement exprimée. Dans les pierres de Noirlac, si la parole se noie dans l'acoustique, la musique selon Wagner s'y déploie en revanche dans toute son imposante évidence. Un lieu idéal pour une immersion mémorable au sortir de laquelle, à l'instar de son public, même son interprète aura paru métamorphosée.

Crédits photographiques : © Marylène Eytier / Agnès Zoppé

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