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Parsifal en réalité augmentée à Bayreuth : technologie spectaculaire pour imaginaire sommaire

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Bayreuth. 30-VII-2023. Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal, festival scénique sacré en trois actes, sur un livret du compositeur. Mise en scène : Jay Scheib. Décor : Mimi Lien. Costumes : Meentje Nielsen. Lumières : Rainer Casper. AR et Vidéo : Joshua Higgason. Avec : Derek Walton, baryton-basse (Amfortas) ; Tobias Kehrer, (basse) Titurel. Georg Zeppenfeld, basse-baryton (Gurnemanz) ; Andreas Schager, ténor (Parsifal) ; Jordan Shanahan, baryton (Klingsor) ; Elīna Garanča, mezzo-soprano (Kundry) ; Siyabonga Maqungo, ténor (Chevalier du Graal); Jens-Erik AasbØ, basse (Chevalier du Graal) ; Betsy Horne, soprano (1er Ecuyer) ; Margaret Plummer, mezzo-soprano (2ème Ecuyer) ; Jorge Rodriguez-Norton, ténor (3ème Ecuyer) ; Garrie Davislim, ténor (4ème Ecuyer) ; Evelin Novak, soprano/Camille Schnoor, soprano/Margaret Plummer, mezzo-soprano/Julia Grüter, soprano/ Betsy Horne, soprano/ Marie Henriette Reinhold, alto (Filles-fleurs) ; Marie Henriette Reinhold, alto (une Voix). Chœur du festival de Bayreuth (chef de chœur : Eberhard Friedrich). Orchestre du festival de Bayreuth, direction : Pablo Heras-Casado

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Bayreuth n'en finit pas de faire du neuf. Après le Tannhäuser révolutionnaire de Kratzer, le hors-piste insensé du Vaisseau-fantôme de Tcherniakov, voici un Parsifal qui fait littéralement exploser les limites du cadre de scène du Festspielhaus.

C'est un des nombreux sujets de discussions sur la Colline verte : mit oder ohne Brille (avec ou sans lunettes) ? Comme, en cette année d'expérimentation, seuls 330 spectateurs (le double est attendu pour 2024), sur les 1974, pouvaient bénéficier de ce qui s'annonçait comme une avancée technologique au service de l'opéra de demain, les rétifs à l'innovation, comme ceux dont le porte-monnaie boudait à l'idée d'un investissement supplémentaire (80€ de plus dans les premières catégories, 30€ en galerie), ont préféré rester dans le cadre d'un Parsifal d'antan. Sur ce plan, ils auront été servis, le Parsifal de , qu'on espérait celui d'une nouvelle ère, est le plus convenu, le plus inoffensif qu'on puisse imaginer. On n'exagérera pas en évaluant l'âge de cette nouvelle production « ohne Brille »: au doigt mouillé, un bon demi-siècle.

On préférera parler d'installation. Ç'aura précisément été jusqu'ici un des champs d'action de , artiste américain dont les créations protéiformes s'articulent autour de la technologie contemporaine. En 2021, il avait été invité par Katharina Wagner à créer Sei Siegfried ! un avant-projet qui, en l'espace de quelques minutes, avant les représentations ou durant les pauses, permettait de combattre Fafner dans l'enceinte du Festspielhaus avec des lunettes VR (Réalité Virtuelle), une sorte de télévision miniature posée sur les yeux du spectateur, totalement coupé du monde. Il en va tout autrement avec les lunettes AR (Réalité Augmentée), qui, en superposant au cadre de scène de Bayreuth un nouvel imaginaire au moyen d'une application téléguidée en direct par un régisseur, en font exploser les contours. Le dispositif, adapté à la vue du festivalier, après de patients essayages consécutifs à l'envoi préalable d'une ordonnance ophtalmologique, attend ce dernier au dos de son siège. Après un dernier test in loco autour d'une adorable Colombe du Graal transformant la mythique salle en volière, et après que les « sans-lunettes » ont complété cet aréopage de privilégiés, le spectacle peut commencer.

La magie du début est indiscutable. L'âme d'enfant se réveille, intacte, devant la myriade de flocons duveteux en apesanteur de concert avec le Prélude. L'on est instantanément prêt pour le grand trip wagnérien prémonitoirement décrit par Gurnemanz : Zum Raum wird hier die Zeit. Mais on brûle simultanément de savoir ce que ressentent les « sans lunettes », ce qu'il est possible de faire à sa guise en renversant légèrement la tête en arrière : comme avec la 3D au cinéma, on constate d'abord la grande différence de luminosité entre les deux types de perception, et, dans la foulée, l'extrême pauvreté de la direction d'acteurs, le sommaire du décor. Bien que paravent providentiel de cette douche visuelle, la réalité augmentée affiche à son tour les limites de son imaginaire, comme de son esthétique. Du bric-à-brac enfantin et répétitif de surgi au-dessus et autour des têtes, et même sous les pieds (on a la sensation de planer dans un coin du cosmos), on fond devant les flocons, les lucioles, les racines d'arbres, les fleurs, les pierres, le désert rocheux posé sous nos pieds, les flèches et la lance projetées vers notre œil, la Kundry quasi-lovée nue sur nos genoux, ou l'adorable petit renard éploré devant notre monde envahi de plastique, de batteries à plat ou de grenades prêtes à être dégoupillées, mais l'on est beaucoup plus réservé par d'autres surgissements : d'une insigne laideur graphique, avec leur démarche robotisée, leur crâne rasé, les silhouettes humaines asexuées s'interpénétrant conviées à la cérémonie de l'Acte I font vraiment peine, les hommes n'étant pas davantage sortis du pinceau de Michel-Ange que les femmes de celui de Botticelli. Le Festspielhaus en Sixtine ou en Galerie des Offices, ça aurait eu une autre allure ! Quant à la grosse mouche longuement posée sur le verre droit des lunettes tandis qu'Amfortas au bain chante Ein wenig Rast, on se demande encore par quel piston elle a pu obtenir son carton d'invitation au cénacle de cette révolution technologique.

Pour l'Acte I, Jay Schieb, a installé sur un plateau ouvert à tous les vents quelques êtres humains habillés à la serpe (le chœur!) sous un phare dominant un plan d'eau ; pour le II, la cuirasse d'une forteresse puis un jardin à la polychromie décomplexée autour d'une piscine où barboter quand le statisme menace ; au III, un paysage calciné avec excavatrice à la Mad Max au bord d'un marigot où il ne ferait plus bon mettre le moindre orteil. N'étaient les lumières de Rainer Casper (le seul réel intérêt du visuel de ce Parsifal du XXIe siècle), ce dispositif sans âme ni raison cache une structure métallique dont la circularité alliée à la capacité de lévitation seront bien commodes pour les scènes de Graal, ici un cristal que le Chaste Fol brisera sans crier gare au final. Un doigt d'écologie : le programme s'étend, plus que la mise en scène, sur le lithium – le Graal très probablement-, dérobé aujourd'hui dans des conditions moyenâgeuses à la Terre, à seule fin d'abreuver des téléphones qu'on dit intelligents. Deux doigts de féminisme : Parsifal et Gurnemanz trouvent tous deux Kundry à leur pied. Telle se déroule la peau de chagrin sémantique de ce Parsifal aux relents apocalyptiques animé d'un espoir difficilement lisible, dont l'on aurait rêvé qu'il fût à la hauteur pointue d'une technologie qu'on imaginait idéalement en phase avec la mystique cosmique du dernier opéra de Wagner.

On plaint les chanteurs dont l'unique satisfaction sera probablement d'avoir été de ce Parsifal inédit. Bien que moins gâtée ici qu'avec Serebrennikov à Vienne, Elīna Garanča met toute la salle à genoux avec sa Kundry, de bout en bout vraiment impériale. On sait gré à Scheib de contre-pointer le chiche vocal des Dienen dienen dont le compositeur a affublé l'unique femme de son chant du cygne, de conséquents gros plans projetés sur la totalité du fond de scène, de la mezzo lettone épiée par une caméra embarquée. contraint la générosité de son héroïsme à tout crin à de déchirantes nuances (grand frisson en gros plan sur les miroirs de l'Acte II, de son Erlöser, rette mich). Déjà du précédent Parsifal, est une fois encore ce Gurnemanz idoine, bientôt capable de narrer en sus de ce qui s'est passé avant le lever de rideau, l'historique récent du Festival. est un Klingsor au mordant attendu. , investi d'une sobre intériorité, fait des débuts remarqués avec son Amfortas à échelle humaine . Le Titurel de n'appelle aucun reproche. Filles-fleurs, Chevaliers du Graal, Ecuyers et Altsolo sont parfaitement distribués. Le chœur reproduit cette année encore le frisson spatialisé d'un espace conçu pour lui.

Aucune réserve musicale non plus quant à la direction de , discursive (4 heures) en même temps qu'entrecoupée de silences dont la longueur fait beaucoup d'effet, la matière comme la fluidité des cordes atteignant, au Prélude du III, une impressionnante densité. Une lecture d'une constante beauté, à l'opposé des huées hors de propos, aussi incompréhensibles que minoritaires, qui ont cueilli à froid le chef espagnol à chacune de ses apparitions.

A la fin de l'Acte II, assurément l'Acte le plus réussi au plan visuel (même sans lunettes), avec son jardin fluorescent façon Jérôme Bosch sous acide, comme suspendu dans le vide par-delà les frontières indiscernables entre réalité et virtualité, les lunettes AR réduisent le Festspielhaus en un tas de gravas: effet garanti! On rêve déjà à ce que ce procédé fascinant et addictif (le lendemain, pour Le Crépuscule des dieux, quelques secondes étaient déjà nécessaires pour réaliser que les lunettes ne seraient plus de la partie…), révélé par le Festival de Bayreuth 2023, pourrait donner avec un metteur en scène de génie.

Crédits photographiques : © Enrico Nawrath

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