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À l’Atelier lyrique de Tourcoing, Aedes pour un fervent dialogue entre Poulenc et Fauré

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Tourcoing. Atelier Lyrique. Théâtre Raymond Devos. 14-I-2024. André Jolivet (1905-1974) : Cinq interludes pour orgue, extraits. Francis Poulenc (1899-1963) : Figure humaine FP 130, cantate pour double chœur a capella sur des poèmes de Paul Eluard. Gabriel Fauré (1845-1924) : Requiem op. 48 pour solistes chœur et ensemble instrumental, version de 1893. Paschal de l’Estocart ; trois extraits des Octonaires de la vanité et inconstance du Monde. Roxane Chalard, soprano ; Mathieu Dubroca, baryton ; Christophe Durant, orgue ; Ensemble vocal Aedes , Jeune chœur des Hauts-de-France, préparés par Pascale Diéval-Wils ; membres de l’Orchestre Les Siècles, direction générale : Mathieu Romano

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L'Atelier Lyrique de Tourcoing retrouvait l'ensemble vocal Aedes et son chef dans un somptueux programme où la cantate Figure Humaine de était mise en parallèle avec le Requiem de Fauré présenté dans sa version chambriste de 1893  et donné avec le concours des membres de l'ensemble Les Siècles.

Le présent concert reprend pour l'essentiel la teneur d'un disque réalisé par les deux ensembles, paru chez Aparté en 2019. Par quelques mots bien sentis, et non sans humour, explicite son choix, au regard de la tradition désormais bien ancrée des anniversaires musicaux : d'une part bien sûr 2024 marquera, le 4 novembre, le centenaire de la disparition de et de l'autre, l'on commémorera aussi le 80e anniversaire du débarquement allié et de la Libération. Dans ce cadre, la cantate profane Figure humaine de , composée en 1943 sur des poèmes-exutoires quasi clandestins de Paul Éluard, prend un relief saisissant en notre époque pour le moins troublée et incertaine.

L'occasion d'entendre en concert le chef d'œuvre de , écrit pour double chœur – chacun à six voix – a capella est somme toute assez rare, notamment au vu des assez terrifiantes exigences techniques de la partition : rythmique implacable et souvent complexe calquée sur la prosodie, nombreux chausse-trappes d'intonation, harmonie parfois très tendue et surprenante, virtuosité tant collective qu'individuelle requise. Et, dans l'acoustique assez sèche du Théâtre Raymond Devos, l' splendidement préparé et mené par son chef-fondateur relève le défi, avec une irréprochable précision des attaques (En chantant les servantes s'élancent), une gourmandise jubilatoire de la prononciation (Riant du ciel et des planètes), une incroyable homogénéité des pupitres (pourtant tous fatalement dédoublés !) ou encore un sens de la couleur vocale allié à la justesse du verbe (De tous les printemps du monde). La qualité d'émission est particulièrement soignée et n'a d'égal que la pureté des timbres – les deux pupitres de soprani aiguës ! Une riche palette expressive nourrit cette interprétation exemplaire, de la tendresse la plus suave ( Toi ma patiente) à l'angoisse la plus tenaillante (La menace sous le ciel rouge) de la déréliction la plus accablée (Le jour m'étonne) à la solaire incantation finale à la Liberté, reconquise de haute lutte. C'est une riche idée d'avoir intercalé  quatre des cinq interludes pour orgue d', à peu près contemporains (1947) et très bien défendus, dans leur austérité incantatoire et leur hiératisme dépouillé, par Christophe Durant, sur un orgue électronique amplifié aux sonorités plausibles.

On sait que – pourtant dans l'immédiate proximité de deuils familiaux – avait composé son Requiem presque pour le plaisir, à partir de morceaux épars conçus quand il était maître de chapelle à La Madeleine. C'est sans doute avec la version initiale pour effectif plus réduit de 1893 que l'œuvre s'avère la plus éloquente, entre ferveur et pudeur, entre tristesse grise et apaisement lumineux. L'approche proposée cette après midi sous l'excellente direction de Matthieu Romero, se veut éclectique : c'est une vision du juste milieu, compromis musical entre le culte et le concert lorgnant à l'occasion vers l'opéra (la courte et dramatique évocation du Dies Irae, ce soir vraiment coléreuse). Il est toutefois étrange que cette exécution soit précédée puis interrompue par trois fragments des Octonaires de la Vanité du Monde de Paschal de l'Estocart – de trois bons siècles antérieurs – donnés pour deux d'entre eux, non sans une certaine épaisseur de trait par tout le chœur, là où le bref L'eau va vite en s'écoulant est idéalement confié à un quatuor de solistes bien plus élégants.

Pour le Requiem, l'ensemble vocal adopte, comme dans son enregistrement sur disque, la prononciation gallicane du latin, sans nasalisation, dans l'héritage du Grand Siècle. Les qualités vocales d'Aedes sont toujours au rendez-vous, notamment un remarquable pupitre de ténors, mais, côté orchestre, les cordes graves des Siècles, aux sonorités un peu délavées semblent par moment fragiles et peu homogènes (fin du Kyrie, Offertoire), et les cuivres à perce assez étroite s'avèrent assez pâles voire prosaïques. Des deux solistes vocaux, issus du chœur, on retiendra surtout le baryton  fervent et chaud de au fil d'un très suave Offertoire et surtout lors d'un très poignant Libera Me, là où la soprano s'avère un rien plus inégale dans le bref Pie Jesu : elle est idoine de timbre par sa candeur retenue mais voit son aigu un soupçon envahi par un  léger vibrato. L'In paradisum final nous réserve la surprise ultime de l'apparition du , préparé par , conférant à cette page ultime une aura distanciée assez irréelle d'un angélisme un peu acide mais de très bon ton.

Pour prendre congé d'un public conquis, l'ensemble des protagonistes offre en bis, et toujours de , le célèbre Cantique de Jean Racine, opus 11, donné avec de délicates nuances, une belle intelligence du texte et un enthousiasme juvénile assez rafraichissant.

Crédits photographiques : © William beaucardet ; © Jean-Pierre Hakimian ; ©
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