Christos Papadopoulos, coup de maître au Festival de Marseille

Invité pour la première fois au Festival de Marseille, le chorégraphe grec Christos Papadopoulos éblouit au Théâtre de La Criée avec la première française de My Fierce Ignorant Step, une pièce pour 10 danseurs créée en mai 2025 à Athènes. L'acmé d'une soirée qui a permis d'autres découvertes…

Le public français a déjà été fasciné par son Mycelium pour le Ballet de l'Opéra de Lyon et par Mellowing, la pièce écrite pour la compagnie allemande Dance On que nous avons pu voir au 104 dans le cadre de Séquence Danse, sans oublier l'époustouflant Ties Unseen pour le Nederlands Dans Theater, toutes des pièces inspirées par la nature. Nouvel essai réussi au Festival de Marseille avec My Fierce Ignorant Step pour les danseurs de sa propre compagnie. Mais ici, Christos Papadopoulos s'est intéressé aux connexions entre les êtres humains et à l'espoir que représente la jeunesse.

Au début de la pièce, quand les danseurs entrent dans l'espace de jeu délimité par des panneaux noirs, on a l'impression de pénétrer dans la fabrique du spectacle, puisque chaque mouvement est calé sur une scansion rythmique. Au fur et à mesure que l'instrumentation se complexifie, les mouvements et les déplacements des danseurs s'intensifient et se sophistiquent, sans que le groupe ne se désolidarise. Ce n'est pas un unisson parfait car chacun marque le mouvement d'une inflexion qui lui est propre. Ce mouvement est intrinsèquement basé sur l'ondulation des épaules, la frontalité du torse et des hanches, l'élan des bras et le rebond des jambes, avec plus d'énergie et de souffle rock dans cette pièce que dans les précédentes.

Ce tour de force physique et haletant demande aux danseurs une énergie et une détermination farouche ainsi qu'un travail de précision sur la maîtrise du souffle et de la respiration. Les interjections et encouragements vocaux des danseurs, équipés de discrets micros, font partie intégrante du dispositif musical, au rythme ascendant comme l'est Le Boléro de Ravel. Christos Papadopoulos semble vouloir insuffler dans cette pièce un esprit de révolte ou de révolution, en tout cas une dimension très combative. Conjuguant flexibilité et intensité, c'est un spectacle de pure danse enivrant, entièrement calé sur les bpm de la musique, dans une forme de vibration. Le chorégraphe grec réussit à maintenir la tension, jusqu'à la musique finale inspiré de celle du Grand Siècle français, intégrée dans la composition originale de Kornilios Selamsis. Flamboyante, étourdissante, éblouissante, My Fierce Ignorant Step est une pièce marquante avec une énergie hallucinante et un groupe charismatique.

Un peu plus tôt dans la soirée, le Festival de Marseille permettait de découvrir Starting with the Limbs, la nouvelle pièce d'Annie Hanauer pour la compagnie marseillaise L'autre Maison. Danseuse de Rachid Ouramdane et de la compagnie anglaise Candoco, Annie Hanauer est également chorégraphe et a accepté la commande de cette compagnie marseillaise qui place la diversité et l'inclusion au cœur de sa démarche artistique. Starting with the Limbs est un quatuor tendre et inventif pour quatre danseurs porteurs ou non de handicap.

Dans les 10 premières minutes, le spectateur fait la connaissance de chaque interprète, dont le handicap est plus ou moins visible. Avec beaucoup de tendresse et d'attention à l'autre, la relation corporelle entre chaque danseur et danseuse se construit, élargissant progressivement les possibilités de représentation. À un moment, l'un des danseurs introduit sur scène des sculptures-objets ajourés conçus par le designer Ghali Bensouda. Ces artefacts servent de masque ou de repose-pied, de support pour la danse ou d'accessoires pour la construction de tableaux vivants sans cesse recomposés.

Avec Starting with the Limbs (commencer avec les membres), Annie Hanauer a voulu proposer aux danseurs une réflexion sur la notion de membre prothétique, celui qui est absent ou remplacé par une prothèse, à l'image de son propre corps. Le résultat est séduisant mais pénalisé par une musique un peu trop répétitive d'Azizi Cole.

Pour finir la soirée, sous la dentelle de béton signée Rudi Rucciotti de la terrasse du Mucem, neuf danseurs et danseuses en costumes aux couleurs du sable égyptien, se coiffent de lustres en laiton doré à pampilles de verroterie. Hiératiques, comme des statues, ils tournent lentement sur eux-mêmes sur une partition composée par l'artiste sonore Ismail Hosny. Sham3dan, le nouvel opus du duo cairote Nasa4nasa, formé de Noura Seif Hassanein et Salma Abdel Salam, prend appui sur une danse traditionnelle orientale, le shamadan, symbole de la lumière spirituelle. Cette performance, en première française, demande une concentration intense pour ne pas laisser tomber le fragile couvre-chef. Les déplacements des interprètent dessinent les motifs courbés et les entrelacs du lustre ornementé. Pas de lumières artificielles, ce sont les reflets du soleil couchant sur la Méditerranée qui nourrissent de ses tons dorés le spectacle, jusqu'au coup de gong final.

Crédits photographiques : © Pierre Gondard / Fest