À Lausanne, charme et élégance avec Fortunio d’André Messager
Monté pour l'Opéra-Comique de Paris en 2009, repris dix ans plus tard dans ce même théâtre, puis en tournée à l'Opéra National de Lorraine en avril 2022 : il semble que le charme et l'élégance de Fortunio d'André Messager continuent d'enthousiasmer le public comme l'a montré celui de l'Opéra de Lausanne.
La faute à une mise en scène habitant avec respect un théâtre boulevardier de la Belle Époque. Dans son approche scénique, Denis Podalydès se fond dans l'esprit d'un théâtre qui, à l'instar des pièces d'Eugène Labiche ou de Georges Feydeau, traite de sujets légers ou scabreux, mais jamais ne tombe dans le panneau de portes qui claquent ou du comique troupier. Il faut dire que la musique d'André Messager n'est pas tapageuse ou flamboyante comme celle qu'un Jacques Offenbach offre lorsqu'il traite du même personnage. André Messager n'attire pas la satire grossière mais, au contraire, elle oblige à une élégance du jeu théâtral. Quoique l'intitulé de Fortunio est « Comédie lyrique », sous son aspect léger se cache le drame d'un personnage timide dont on utilise la sincérité amoureuse pour se moquer de lui. Derrière ce livret bavard et en apparence superficiel se cache le drame d'un jeune homme dont l'amour idéalisé aveugle la raison.
Dans cet « opéra », pas d'arias mais une constante logorrhée contraignant les artistes à une attention de chaque instant pour ne pas manquer une réplique. À ce jeu, la distribution lausannoise est remarquablement bien préparée. Elle peut bien sûr compter sur quelques personnages ayant déjà participé à de précédentes productions. Comme le rôle-titre, le ténor Pierre Derhet, le baryton Philippe-Nicolas Martin (Landry) faisait partie de la production nancéienne de 2022. Premier à entrer en scène, son chant bien structuré donne le ton et le rythme à l'intrigue. Autre habitué de cette œuvre, la basse Geoffroy Buffière (Guillaume) faisait partie de la distribution originale de l'Opéra-Comique en 2009 et de sa reprise en 2019. Deux éléments catalyseurs de l'ensemble du plateau lausannois qui, à leur contact, se potentialisent pour donner un spectacle d'une homogénéité scénique remarquable.
En Fortunio, Pierre Derhet recueille tous les suffrages. Composant un personnage d'une timidité extrême, baissant la tête, se frottant le dessus des cuisses avec ses mains dès qu'on lui adresse la parole, au travers de son chant, parfaitement dosé, Pierre Derhet exprime avec ardeur l'amour qu'il porte à Jacqueline, la femme de Maître André et la maîtresse du capitaine Clavaroche. Capable aussi d'élever un ton de colère, lorsqu'il apprend qu'on l'utilise pour se moquer de son innocence. Même dans ces instances, son chant garde une ligne idéale, un style et une diction irréprochables.
Question style, la soprano Sandrine Buendia (Jacqueline) remplit admirablement son rôle. Nous sommes dans l'idéal du chant lyrique français avec un soin tout particulier apporté à la prononciation de la langue. Tout au plus, sur ce plateau, aurions-nous aimé un peu plus de puissance vocale afin que sa voix s'élève au niveau des messieurs qui l'entourent. Parce qu'avec le baryton Christophe Gay (Clavaroche), l'éclat de sa voix surpasse celle de tous ses collègues. On comprend que le rôle du chef militaire qu'il incarne demande cette présence vocale envahissante quand bien même parfois on la sent volontairement trop accentuée. Enfin, nous aimons le baryton Marc Barrard (Maître André) pour son impeccable ligne vocale, sa parfaite diction et son jeu de scène empreint d'une grande classe. À tout dire, le plateau est un ravissement de soin, de présence scénique et d'investissement artistique.
Que seraient le chant et le théâtre sans la poésie des décors et des costumes ? Pour ces derniers, Christian Lacroix dessine un tableau chaleureux du début du XXe siècle avec femmes toutes vêtues de robes à traîne aux couleurs pastels et leurs amples chapeaux, ses ouvriers aux habits bruns et gris sombres, ses militaires aux pantalons rouge vifs, tuniques bleues, et casquettes bicolores. Pour le décor, quelle superbe poésie Éric Ruf nous offre quand, par exemple, il nous montre ce poêle rougeoyant dont la fumée blanche s'élève de la cheminée vers un ciel de nuit.
Dans la fosse, le jeune chef Marc Leroy-Calatayud révèle un orchestre Sinfonietta de Lausanne au meilleur de lui-même. De sa baguette, il habille la musique d'André Messager de cette « saveur exquise » dont s'était régalé Gabriel Fauré lors de la première représentation de Fortunio, le 5 juin 1907.









