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Requiem pour une sainte

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Lyon. Opéra. 21-VI-2009. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en quatre actes sur un livre de Francesco Maria Piave. Mise en scène : Klaus Michael Gruber. Collaboration artistique et réalisation de la mise en scène : Ellen Hammer. Décors : Lucio Fanti. Costumes : Rudy Sabounghi. Lumières : Dominique Borrini. Chorégraphie : Giuseppe Frigeni. Avec : Ermonela Jaho, Violetta Valéry ; Edgaras Montvidas, Alfredo Germont ; Lionel Lhote, Giorgio Germont ; Christina Daletska, Flora Bervoix ; Diane Pilcher, Annina ; Tansel Akzeybek, Gaston de Letorières ; Nabil Suliman, le marquis d’Obigny ; Antonov, le docteur Grevil ; Stephen Owen, le baron Douphol ; Brian Bruce, Giuseppe serviteur de Violetta ; Charles Saillofest, serviteur de Flora ; Paolo Stupenengo, un commissionnaire. Chœurs de l’Opéra de Lyon (direction : Alan Woodbridge). Orchestre de l’Opéra national de Lyon, direction : Gérard Korsten

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Après une Lulu superbement montée par et un Britten (Mort à Venise) en tous points fascinants, il incombait à La Traviata, ce « must» indémodable, de conclure une saison d'une qualité exceptionnelle.

Pour l'occasion, la billetterie a été submergée de demandes, ce qui a persuadé la direction de programmer une représentation supplémentaire, à laquelle nous avons assisté. Annoncée avant même la première comme un accomplissement majeur (avec retransmission aux «Nuits de Fourvière», LE rendez-vous artistique et musical de la ville), cette production du chef-d'œuvre verdien a ranimé un sentiment d'exaspération chez certains : comment expliquer, en effet, que Verdi soit à ce point absent d'un projet artistique certes audacieux mais qui, en privilégiant «l'évènement», néglige quelque peu les fondamentaux de l'Opéra? Quand Lyon «exhume» Le vin herbé ou Le roi malgré lui, on applaudit des deux mains, reconnaissants. Grâce à Serge Dorny, Janáček et Tchaikovski ont pu bénéficier d'un éclairage incroyable, inédit en France, et Lévinas, Eötvös, Bœsmans ou Glass ont créé in loco quelques œuvres marquantes. Mais quid d'Aida, d'Il Trovatore, de Rigoletto, de Nabucco, de La forza del destino et autres Vespri siciliani? On se remémore le Don Carlos de Bondy, un Falstaff par Wernicke, le piètre Otello de Michel Raskine et puis… pas grand chose d'autre hélas, et des souvenirs qui commencent à dater. Reproche que l'on peut étendre au répertoire italien tout court, à l'exception d'un Bellini ou Donizetti en version de concert pour débuter la saison (Anna Bolena, Maria Stuarda, et une Sonnanbula par Dessay). En revanche peu de Puccini (La Bohème de temps en temps, une prochaine Manon Lescaut mais Butterfly, Tosca, Turandot?). Et ne parlons pas de Mascagni, Leoncavallo ou Ponchielli.

La rareté de ces ouvrages explique sans doute l'accueil délirant fait à cette Traviata nullement indigne mais qui présente -à notre sens- d'évidentes carences. Tout d'abord, on ne peut que s'étonner de la passivité des spectateurs face à la mise en scène de Klaus Michael Gruber, retravaillée à Lyon par Ellen Hammer, collaboratrice du défunt metteur en scène. Serait-elle devenue un classique, alors même que sa création en 1993 au Châtelet, en pleine ère Lissner, avait provoqué nombre remous, et divisé les mélomanes?

Moins aride qu'il y a seize ans (décors et costumes semblent plus profus, et il y a d'»éclatantes» couleurs au troisième acte), cette vision sombre et austère n'en demeure pas moins particulièrement dérangeante. Délaissant le faste des salons louis-philippards au profit d'une intimité (nudité?) scénique angoissante, Gruber propose une Traviata hors normes. Violetta n'y est plus la courtisane éprise de liberté, brûlant ses dernières cartouches de vie dans l'ivresse du plaisir mais une femme esseulée, incomprise, que l'on imagine victime d'une société puritaine et aliénante. Le premier tableau est éloquent : au papillonnement de la fête s'est substitué une assemblée d'hommes et de femmes uniformément vêtus de noir et de blanc installés sur des sièges, en rang d'oignons. L'éclairage est celui d'une veillée funèbre. Point de plaisir, ni de séduction, la tristesse, rien que la tristesse, l'ennui, la vacuité. Et que la chair est triste semble nous dire la créature nue exhibée à droite de la scène, la main cachant le sexe. A moins qu'il ne s'agisse d'une préfiguration de la scandaleuse Olympia de Manet qui provoqua un tollé dans la bonne société parisienne… à laquelle appartient l'héroine de Verdi.

Toujours isolée des autres, y compris des êtres qu'elle est censée aimer, Violetta semble s'être désolidarisée du monde visible. Que et qui cherche t-elle? Dieu peut-être nous suggère Gruber (dans le livret, il est beaucoup question de péché et de rédemption). Ainsi, en mourant (de phtisie ou vaincue par l'inanité du monde), la courtisane s'en remet à l'espoir que la vie céleste lui apportera cet absolu qui lui a été refusé sur terre. Cette vision ««métaphysique» de l'œuvre ne surprend pas chez un metteur en scène dont on retrouve ici l'univers admiré dans Le couronnement de Poppée aixois (décors dépouillés à la picturalité intense tels ces branches d'arbres dénudées qui grandissent ou rapetissent au fil des actes, tonalité rouges, vert, bleu qui baignent des silhouettes erratiques, une lenteur hypnotique… ). Malheureusement, Gruber n'est plus de ce monde, et à Lyon nous avons vu un spectacle aux idée fortes, certes, mais ennuyeux et mono-expressif auquel manquait l'essentiel : l'incarnation scénique d'une volonté démiurgique, aujourd'hui disparue, et la vérité d'un travail approfondi avec son géniteur (Mireille Delunsch a déclaré qu'il lui avait changé la vie à Aix). Quel regard aurait-il porté sur cette Traviata d'il y a seize ans? Nul ne le saura jamais.

En 1993, Gruber avait travaillé en totale osmose avec Antonio Pappano. Qu'aurait-il pensé de la direction efficace mais brutale, martiale même de Gerard Korsten? Passons sur les coupes (reprise d'«Ah fors'e lui» et «Addio del passato», cabalette d'Alfredo deuxième acte) répandues aujourd'hui mais toujours irritantes, mais que dire de ces tempi d'une absurde vélocité qui ôtent à la partition tout abandon, toute effusion pour ne pas dire tout lyrisme? Heureusement, l'orchestre de L'Opéra national de Lyon est un bel instrument qui sonne bien -faisant parfois oublier la sécheresse qui se dégage de la baguette.

Heureusement, au plan vocal, on a frôlé plus d'une fois l'excellence. Sans conteste l'une des 2 ou 3 grandes Violetta de notre temps, est apparue au sommet de ses ses moyens. Présence juvénile, irradiante de féminité malgré le corset d'une mise en scène qui lui ôte toute sensualité. Triomphant des écueils de «Sempre Libera» avec maestria (quel timbre en or!), la soprano albanaise peut tout se permettre, y compris chuchoter, avec une maîtrise du souffle qui laisse pantois, «Dite alla giovine». On s'incline devant la performance tout en regrettant de ne pas être plus ému par ce chant supérieurement contrôlé, qu'on souhaiterait parfois plus ««dévoyé» : gageons qu'un Pygmalion saura, un jour, exploiter ses merveilleuses possibilités.

Dans des personnages fantomatiques, passablement sacrifiés par la mise en scène (avec un Giorgio en fond de scène pour le duo avec Violetta), Edgardo Montvidas et ont assuré des prestations de qualité, sans grand relief pour le premier malgré une certaine beauté du timbre et l'élégance de la ligne vocale. Chant de belle école pour le second, à la Ludovic Tezier, manquant quand même un peu de maturité et d'aura, dépourvu de la noble autorité qui sied à Giorgio Germont. Les seconds rôles, loin d'être irréprochables, n'appellent pas de commentaire particuliers.

Au final, un bon bilan vocal pour une Traviata en demi-teinte, désincarnée scéniquement malgré l'intelligence de la conception initiale, et une direction d'orchestre qui, en ignorant les subtilités de l'écriture verdienne, n'a donné qu'une image tronquée du plus bouleversant des mélodrames.

Crédit photographique : (Violetta) © Jean-Pierre Maurin

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