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Saint-François à Munich, musicalement exceptionnel et scéniquement indigent

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Munich. Nationaltheater. 10-VII-2011. Olivier Messiaen (1908-1992) : Saint François d’Assise, opéra en trois actes et 8 tableaux sur un livret du compositeur. Conception et réalisation scénique, décors et costumes : Hermann Nitsch ; collaboration à la mise en scène : Natasha Ursuliak ; réalisation des vidéos : Frank Gassner. Avec : Christine Schäfer (L’Ange) ; Paul Gay (Saint François) ; John Daszak (Le Lépreux) ; Nikolay Borchev (Frère Léon) ; Kenneth Roberson (Frère Massée) ; Ulrich Reß (Frère Élie) ; Christoph Stephinger (Frère Bernard) ; Rüdiger Trebes (Frère Sylvestre) ; Peter Mazalán (Frère Rufin). Chœur de l’Opéra d’Etat de Bavière (chef de chœur : Sören Eckhoff). Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction musicale : Kent Nagano.

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Créé il y a près de trente ans, Saint François d'Assise est sans doute la meilleure preuve que l'opéra contemporain n'est pas condamné à rester lettre morte une fois sa création passée : alors même qu'il est sans doute l'œuvre la plus complexe de tout le répertoire, il n'en finit plus d'enchaîner les nouvelles productions dont chacune fait l'événement.

, qui avait assisté Seiji Ozawa lors de la création de l'œuvre au Palais Garnier en 1983, ne pouvait manquer de monter cette œuvre dans la maison dont il est le directeur musical, et du point de vue musical la soirée est parfaitement réussie.

Non seulement Nagano lui-même parvient-il à rendre dans toute leur clarté les structures de l'orchestre de Messiaen, mais il est épaulé par une distribution admirable que ne dépare qu'un Frère Massée geignard : , familier le maison, est un Lépreux déchirant, donne par sa voix, sinon par son jeu, toute l'humanité de Frère Léon, et Ulrich Reß, dans un français un peu rude, donne à Frère Élie toute l'autorité de Frère Élie, tout imbu de son importance de grand administrateur. est presque une évidence en Ange, tant on sent sa familiarité avec ce si beau rôle, et tant elle parvient comme à l'accoutumée à lui donner une force intérieure. Dans le rôle titre, ce n'est pas un mince mérite que de réussir à ne pas faire regretter José van Dam : y parvient par sa maîtrise vocale d'un rôle écrasant, mais aussi par son implication qui laisse encore place à un approfondissement de l'intériorité du personnage, mais suffit largement à faire vivre cette musique où l'indispensable précision de l'interprète n'est rien sans le souffle de l'esprit.

Mais toutes ces qualités considérables sont presque réduites à néant par le travail scénique puéril et désuet du septuagénaire , artiste autrichien dont la renommée n'a guère franchi les limites de l'aire germanique, sinon même de l'Autriche, qui n'a fait que déplacer sur la scène du Nationaltheater son Orgien-Mysterien-Theater à base d'hémoglobine à foison et de liturgies inventées. Le comble du grotesque est atteint à la fin du premier acte quand, la musique achevée, Nitsch impose une parodie – mortellement sérieuse – de procession passant par un des rangs fort étroits du parterre – le silence qui sied à la cérémonie étant à vrai dire troué par les lazzis ou les applaudissements de ceux qui sont pressés d'en finir ; mais le spectateur a mainte occasion d'oublier qu'il assiste à une représentation de l'opéra de Messiaen.

Tantôt c'est le ballet des nombreux assistants en blanc qui versent du sang sur un jeune homme nu crucifié ou envoient des litres de peinture colorée au sol. Tantôt ce sont les vidéos envahissantes des deux premiers actes s'imposent au spectateur par leur vacuité entêtée, ainsi pendant la belle scène du sermon aux oiseaux, quand l'écran de projection semi-circulaire est envahi par une déferlante de photos d'oiseaux qui se superposent et agressent le spectateur qui hésite entre le mal de mer et le mal aux yeux. Tantôt Nitsch cesse d'être inspiré et laisse faire pendant de très longues minutes : à aucun moment il ne se préoccupe de diriger ses interprètes, qui se contentent donc de se placer en avant-scène et de débiter leurs rôles face au public, certains allant jusqu'à se balancer d'un air gêné d'un pied sur l'autre comme un amateur à son premier cours de théâtre. On n'oubliera pas de mentionner les costumes, sorte de défilé de mode pour secte solaire. On aimerait savoir ce qu'aurait pensé de cette mascarade compassée Thomas Bernhard, le grand contempteur de l'instrumentalisation par les élites de son pays d'un catholicisme réduit à son faste extérieur, celui des ornats baroques et des crucifixions sanguinolentes.

La frontière du kitsch est défoncée comme jamais, et elle l'est avec un sérieux presque désarmant dans sa prétention à atteindre la force sacrée du rituel. Nikolaus Bachler, directeur de la maison, qui avait déjà invité Nitsch au Burgtheater viennois qu'il dirigeait précédemment, entend faire de sa maison un phare du théâtre musical moderne et exigeant : ce n'est pas en recourant au pionner local d'un mouvement en voie d'extinction qu'il y parviendra.

Crédit photographique : © Wilfried Hösl

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