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Dennis Russell Davies entre Glass et Boulez

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Co-fondateur de l'American Composers Orchestra, chef invité à diriger un peu partout dans le monde, professeur à Salzbourg, pianiste, , qui fut aussi directeur musical de l'Orchestre Français des Jeunes de 2011 à 2015, est aujourd'hui partagé entre Linz, où il est à la fois Directeur musical de l'Opéra et chef principal du Bruckner Orchester depuis 2002, et Bâle dont il est le Directeur musical du Baselsinfonieorchester depuis 2009.

accueil.Y.Petit_6nb« Je ne suis pas prêt à me laisser mettre dans un ghetto. »

Ayant réalisé plus de 80 enregistrements (Glass mais aussi intégrales des symphonies de Bruckner et Haydn), il se voit associé depuis 2014 au Festival de Besançon qui lui confie cette année la présidence de son prestigieux Concours international de jeunes chefs d'orchestre. L'occasion, avant qu'il ne s'attaque au nouveau Ring que Linz va monter dans son rutilant nouvel Opéra, de converser un moment avec le plus oecuménique des chefs d'orchestre…

ResMusica : Bienvenue à Besançon, Mister Davies ! Vous connaissez déjà cette ville où vous êtes venu pour le Concours des jeunes chefs d'orchestre. C'est vous qui allez cette fois faire résonner la petite sonnette qui annonce aux candidats que le délai imparti est écoulé. Une revanche sur le destin ?

: Non, je ne pense pas que ce soit une revanche. C'était une autre époque… J'étais très jeune. J'ai été éliminé tout de suite. C'est ce qui est difficile avec les compétitions. Le jury dispose de très peu de temps pour prendre la meilleure décision. Il faut juger, repérer les gens qui sont doués, les gens qui ne sont pas doués… Moi j'étais très très jeune et probablement je n'étais pas très bien. J'avais je crois 23 ans… c'était en 1967 ou 1968…

RM : Et dix ans après, vous étiez déjà dans la fosse de Bayreuth à diriger l'historique production du Vaisseau fantôme mis en scène par Harry Kupfer ! Quels sont les moments favoris de votre carrière ? Akhnaten à Stuttgart en 1980… l'ouverture du nouvel Opéra de Linz en 2013 ?

DRD : Naturellement le nouvel Opéra de Linz, c'est un rêve. Mais mon moment favori, ce fut ce week-end : samedi j'ai dirigé un grand concert avec mon orchestre Bruckner à Linz. Nous avons donné Richard Strauss, Rossini, , Saint Saens… C'était un programme très populaire et hier soir nous avons fait une fête pour à Bâle. Pierre ne pouvait être présent car pour l'instant il doit rester chez lui mais il a eu connaissance de la chose. J'ai été en contact avec lui et il a été très content. J'ai dirigé deux grandes œuvres de Pierre : Notations et Rituel. J'ai dirigé une création suisse et Voci de Luciano Berio. Pour moi, ce fut vraiment un bon week-end. Et aujourd'hui je suis à Besançon où je vais présider cette compétition qui est vraiment formidable. Tout cela fait vraiment un bon week-end . C'est déjà un excellent souvenir à venir.

RM : Vous n'avez pas essayé de convaincre de composer un opéra ainsi que vous avez su le faire pour convaincre Philip Glass de composer une symphonie ? n'a composé aucun opéra et c'est un regret pour tous les mélomanes.

DRD : Mais il y a beaucoup de grands compositeurs qui n'ont jamais écrit pour l'opéra : Brahms… Si vous le souhaitez je peux vous donner une très grande liste : Bruckner non plus…

RM : En tant que candidat, vous êtiez arrivé à Besançon très bien préparé. Être Président du jury nécessite-t-il également une préparation ?

DRD : Pas vraiment. Je connais le répertoire. J'ai beaucoup d ‘expérience parce que j'ai enseigné un grand nombre d'années. Et surtout, dans ce jury, j'ai des collègues : si je ne comprends rien, eux comprennent beaucoup et c'est très agréable parce que c'est un jury de musiciens, dont j'apprécie beaucoup la qualité.

RM : Pour beaucoup de mélomanes, vous vous êtes celui qui, depuis 3 décades, a beaucoup œuvré pour la musique de Philip Glass, une musique que le monde traditionnel de la Musique classique n'était pas prêt à accepter ? Quelle fut l'origine de cette collaboration inédite ?

DRD : Je dois tout de même dire que la première fois que j'ai dirigé une œuvre de , c'est avec l'Ensemble Intercontemporain à la demande de Pierre Boulez qui voulait que je dirige Music in similar motion. C'était à Paris. En 1971. J'étais alors marié à une cinéaste, Molly Davies, qui me dit : « Il y a quelqu'un dont tu dois faire la connaissance. » C'est elle qui a arrangé la rencontre. Philip m'a demandé de faire la création de Satyagraha à New York mais je ne pouvais pas car je prenais mes fonctions à Stuttgart. Cela dit, quand j'ai vu la partition, j'ai dit : « Ah, je veux faire cela ! » Stuttgart m'a suivi et j'ai pu annoncer à Philip : « Je ne peux pas faire la première mais ok pour la Trilogie : Einstein on the beach/Satyagraha/Akhnaten. » C'était en 1980.

RM : Avec la musique de , vous représentez un peu, dans le monde de la Musique classique, le « loup dans la bergerie ». Aviez-vous, au sujet de cette musique nouvelle, des discussions animées avec d'autres chefs d'orchestre ?

DRD : Vous savez, j'ai dirigé, dans ma vie, tellement de musiques différentes ! Je connais beaucoup de très bons compositeurs, ce qui fait que je ne dirige pas que Philip Glass. J'aime sa musique mais j'aime aussi la musique de Pierre. J'aime beaucoup la musique de Luciano Berio. J'aime beaucoup de compositeurs. Je dirige beaucoup de compositeurs . Philip est un compositeur qui dépasse le cadre traditionnel de la musique classique. C'est presque un culte. Il est très gentil, très efficace. C'est un excellent collaborateur. Il s'intéresse énormément à la musique des autres. C'est quelqu'un de très généreux. Et il y a beaucoup de compositeurs qui sont très jaloux parce qu'ils ne comprennent pas ce succès. Je comprends ça. C'est normal. C'est la vie. C'est comme ça. Mais je regrette que beaucoup de mes collègues se sont fait une opinion de cette musique sans vraiment la connaître : c'est cela qui est un peu dommage. Parce qu'il y a un vrai public que l'on peut attirer avec cette musique-là. Ce public arrive, je lui joue du Glass mais je lui joue aussi beaucoup d'autres choses. Ce public-là m'intéresse beaucoup.

RM : À Strasbourg, pour la première française d'Akhnaten en 2002, les cordes de l'Opéra du Rhin, sourire aux lèvres, peinaient dans la fosse à jouer la partition. On était loin du son de votre mythique enregistrement chez CBS. Avez-vous rencontré les mêmes difficultés lors de la création avec l'Orchestre de Stuttgart ?

DRD : J'étais chef : ils ont dû jouer ! C'était tellement difficile ! L'Orchestre ne comprenait pas. Ils n'étaient pas contents. C'était Satyagraha. Mais je me souviens qu'à la première, quand je suis allé en bord de scène pour faire applaudir l'orchestre, le public a explosé : « Bravo ! ». L'orchestre se demandait ce qui se passait avant de réaliser que c'était à lui que ces bravos s'adressaient. Et après ils ont commencé à comprendre. Ensuite cette musique-là fit partie du répertoire de la maison : Rosenkavalier, Vaisseau fantôme, Satyagraha.. . Cela se mélangeait très bien. La musique de Philip, c'est une autre difficulté : s'accorder, obtenir une rythmique très pure. Pour les musiciens, c'est très enrichissant. S'ils sont intelligents, ils comprennent cela. Je n'exige pas que l'orchestre aime, j'exige que l'orchestre travaille car je sais que le public est là pour cette musique. J'ai eu beaucoup de succès avec de grands orchestres, avec ce répertoire, mais je regrette que beaucoup de mes collègues ne comprennent pas. Ainsi va la vie.

RM : Est-ce votre ouverture d'esprit qui a fait de vous un pionnier, le premier parmi les grands chefs d'orchestre à comprendre Philip Glass? Vous rappelez-vous aujourd'hui ce que vous avez ressenti alors face à sa musique ?

DRD : Il y a beaucoup de points communs entre Philip Glass et Anton Bruckner. Beaucoup d'éléments parallèles : l'espace, la durée, on prend le temps pour développer, il faut simplement avoir de la patience mais aussi de la curiosité pour comprendre cette musique-là. J'aime beaucoup Philip Glass, Bruckner, mais j'aime aussi beaucoup Pierre Boulez. Je ne suis pas prêt à dire : «  J'aime ça mais pas ça. »  Je ne suis pas prêt à me laisser mettre dans un ghetto.

RM : Est-ce vous qui avez encouragé Philip Glass à écrire pour une grande formation plutôt que seulement pour les quelques membres du Philip Glass Ensemble, seule formation apte à jouer sa musique jusque-là ?

DRD : Il avait fondé cet Ensemble parce qu'il avait pensé que personne n'allait jouer sa musique. Pour le grand orchestre, je ne fus pas le seul initiateur.. Il y eut aussi son entourage : des musiciens, des managers. Mais j'ai été le premier chef d'orchestre à diriger ses œuvres pour grand orchestre.

RM : Quand Philip Glass vous apporte un nouvel opéra, est-il complètement achevé ou bien a-t-il besoin de vos remarques ?

DRD : Je travaille beaucoup avec lui. Il a beaucoup confiance en moi. Nous faisons bientôt à Washington en novembre une création : Appomattox. Philip a totalement réécrit le deuxième acte. Appomattox se passe en 1865, avec la Guerre de Sécession. Le deuxième acte se situe en 1965, à l'époque du combat pour les droits de l'homme : Martin Luther King, Lyndon Johnson…

RM : En 2012, l'Orchestre Français des Jeunes a créé la 10ème symphonie à Aix-en-Provence. Cela fut-il difficile pour de si jeunes musiciens ? Le langage de Glass n'a-t'il pas changé ? On peut noter dans son parcours différentes périodes. The Perfect american serait-il plus facile à jouer qu'Akhnaten ?

DRD : Non, ce ne fut pas difficile. Aujourd'hui Philip a beaucoup appris quant au travail de l'orchestre. Il a vraiment développé un langage avec l'orchestre. C'est différent.

RM : L'on aurait pu imaginer, pour ces deux années où vous êtes chef associé du festival de Besançon, que vous apporteriez une pièce de Philip Glass… Il y a une forte demande dans cette ville comme en France. L'écriture de Glass pourrait représenter un challenge intéressant pour les candidats…

DRD : Naturellement je dirige volontiers Philip Glass. N'hésitez pas à m'inviter. Mais ce n'est pas mon seul centre d'intérêt. Je m'intéresse à beaucoup d'autres musiques. J'ai dirigé beaucoup de créations de très bons compositeurs. J'ai choisi, pour ce programme, une pièce de John Adams, The Chairman dances, qui est difficile à diriger, qui est une très belle musique, qui fait autant d'effet.

RM : Linz appartient-il au passé et Bâle au futur ?

DRD : C'est ma dernière saison à Bâle mais je suis encore à Linz jusqu'en 2017. Cela aura fait 15 ans.

RM : Et quels sont vos projets ?

DRD : Ils sont nombreux…

Crédits photographiques : © Yves Petit

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