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Très sombre Don Carlo à Strasbourg

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 17-VI-2016. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, grand opéra sur un livret de Joseph Méry et Camille Du Locle, d’après Friedrich von Schiller et Eugène Cormon. Version en quatre actes de Milan (1884). Traduction italienne du livret de Achille de Lauzières et Angelo Zanardini. Mise en scène : Robert Carsen. Décors : Radu Boruzescu. Costumes : Petra Reinhardt. Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet. Dramaturgie : Ian Burton. Mouvements : Marco Berriel. Avec : Elza van den Heever, Elisabeth de Valois ; Andrea Carè, Don Carlo ; Elena Zhidkova, la Princesse Eboli ; Stephen Milling, Philippe II ; Tassis Christoyannis, Rodrigue, Marquis de Posa ; Ante Jerkunica, Le Grand Inquisiteur ; Patrick Bolleire, Un Moine ; Rocio Pérez, Thibault ; Camille Tresmontant, Le Comte de Lerme ; Francesca Sorteni, une Voix céleste ; Diego Godoy, Un Hérault royal ; Dominic Burns, Emmanuel Franco, Jaroslaw Kitala, Jaesun Ko, Laurent Koehler, Nathanaël Tavernier, six Députés flamands. Chœurs de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Sandrine Abello), Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Daniele Callegari.

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La saison de l'Opéra national du Rhin se clôt en apothéose avec Don Carlo de Verdi. Une distribution d'un niveau extrêmement relevé et une direction d'une constante théâtralité conduisent au succès public un spectacle à peine amoindri in extremis par la relecture en contresens de .

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Pendant les trois-quarts de la soirée, le metteur en scène canadien propose une mise en scène d'une étonnante sagesse et d'une inhabituelle littéralité. Le décor dénudé et uniformément noir de Radu Boruzescu, sorte de boite carcérale où s'ouvrent à l'occasion portes et fenêtres et où apparaissent selon les scènes quelques rares éléments significatifs (le bureau de Philippe II, des cercueils et un crâne récurrents en memento mori et qui rappellent les similitudes que décèle entre Hamlet et Don Carlo, des lys qui viennent bruyamment joncher le sol au jardin de Saint-Just, des livres qui subissent un autodafé de sinistre mémoire) traduit bien l'enfermement et l'isolement de cette cour espagnole tout comme la surveillance constante qu'y exerce un clergé omniprésent et totipotent. Tout aussi noirs, les costumes de Petra Reinhardt évitent soigneusement toute référence historique et prennent le plus souvent, pour le chœur tout particulièrement, l'aspect de vêtements ecclésiastiques. On retrouve évidemment la patte inimitable de dans les éclairages qui modulent à l'infini ambiances et perspectives dans ce décor unique (avec toutefois des variations parfois trop brutales dans leur intensité), dans la science de l'image marquante et esthétique (avec cette disposition caractéristique en quinconce des éléments ou des choristes qui vire un peu au systématisme) et surtout dans une exceptionnelle capacité à occuper l'espace scénique et à y trouver des positionnements et des mouvements des personnages superbement éclairants sur leurs motivations et leurs interactions.

Et puis, à la mort de Posa, Robert Carsen révèle presque par surprise sa conception iconoclaste de l'ouvrage. Car le marquis se relève ; il a conclu un pacte secret avec le Grand Inquisiteur et organisé un simulacre de son assassinat afin d'accélérer la déliquescence du pouvoir régnant. Et au tableau final, il viendra se faire couronner après que le moine, exécuteur des basses œuvres, ait tué successivement Don Carlo puis Philippe II ! On a suffisamment souvent loué le talent de Robert Carsen à révéler le sens caché des ouvrages, à mettre en évidence les forces secrètes ou prudemment occultées qui sous-tendent action et comportements pour cette fois trouver qu'il va trop loin. Ni l'Histoire ou ce qu'on en sait, ni les sources littéraires, ni surtout le livret et ce qu'il révèle de la psychologie des personnages ne nous semblent autoriser un tel détournement qui s'apparente à un complet contresens.

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Aucune réserve à avoir, en revanche, pour la distribution de classe internationale réunie par l'Opéra national du Rhin. Déjà acclamée en Elisabeth à Bordeaux en septembre dernier, y est incontestablement impressionnante. L'instrument est gigantesque, lui autorisant des aigus tonitruants, des graves sonores et un si final longuement tenu pendant la péroraison orchestrale, mais elle sait l'alléger et en tirer des sons filés de la plus belle eau comme au duo final ou pour un « Tu che le vanità » intériorisé et bouleversant. Un peu monolithique en début de soirée, avec des aigus certes solaires mais uniformément éclatants, s'adapte très vite au niveau de sa partenaire, soigne les nuances et convainc avec son Don Carlo bien peu dépressif mais d'une éblouissante santé vocale. Leur duo final « Ma lassù ci vedremo » murmuré, gorgé d'émotion, à l'écoute et à la réactivité mutuelles remarquables, restera dans les mémoires comme un des sommets de la soirée. Sans une once d'italianité ni dans le timbre ni dans le ton, est pourtant un Philippe II de haut relief, d'une intégrité vocale exemplaire et qui touche par sa profonde humanité plus qu'il n'impressionne par son autoritarisme. Quoique un tantinet malmenée, comme la plupart de ses consoeurs dans le rôle, par les vocalises de la « Chanson du voile », campe une Eboli ardente et passionnée, d'une rare homogénéité vocale et culmine dans un « O don fatale » à l'engagement presque suicidaire totalement assumé. On attendait beaucoup du Posa de  ; on s'avoue un peu déçu (peut-être est-ce une méforme vocale temporaire) par une approche précautionneuse, des aigus parfois à la peine et une mort bien peu marquante, même si la rondeur du timbre et la qualité du legato restent intacts. Le Grand Inquisiteur tonnant et aux graves impressionnants (mais dépourvu d'aigus) de , la haute stature de en Moine puissant et sonore, l'espièglerie et la suavité de Rocio Pérez en Thibault ou la limpidité de la Voix céleste de complètent avec à propos cette distribution de très haut niveau.

A la tête de l', bien concentré, réactif et homogène, et du Choeur de l'Opéra national du Rhin toujours impeccablement préparé par et qui honore à nouveau sa réputation de qualité coutumière, soigne le dramatisme et la théâtralité et assure une irréprochable cohésion entre la fosse et le plateau. Profitant du fort calibre de ses interprètes, il se laisse parfois aller à quelques excès sonores mais sait aussi parfaitement s'adoucir pour les scènes plus introspectives.

Crédit photographique : (Don Carlo), (Eboli), (Posa) / (Philippe II) © Klara Beck 

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 17-VI-2016. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, grand opéra sur un livret de Joseph Méry et Camille Du Locle, d’après Friedrich von Schiller et Eugène Cormon. Version en quatre actes de Milan (1884). Traduction italienne du livret de Achille de Lauzières et Angelo Zanardini. Mise en scène : Robert Carsen. Décors : Radu Boruzescu. Costumes : Petra Reinhardt. Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet. Dramaturgie : Ian Burton. Mouvements : Marco Berriel. Avec : Elza van den Heever, Elisabeth de Valois ; Andrea Carè, Don Carlo ; Elena Zhidkova, la Princesse Eboli ; Stephen Milling, Philippe II ; Tassis Christoyannis, Rodrigue, Marquis de Posa ; Ante Jerkunica, Le Grand Inquisiteur ; Patrick Bolleire, Un Moine ; Rocio Pérez, Thibault ; Camille Tresmontant, Le Comte de Lerme ; Francesca Sorteni, une Voix céleste ; Diego Godoy, Un Hérault royal ; Dominic Burns, Emmanuel Franco, Jaroslaw Kitala, Jaesun Ko, Laurent Koehler, Nathanaël Tavernier, six Députés flamands. Chœurs de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Sandrine Abello), Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Daniele Callegari.

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