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Dmitri Tcherniakov un peu sage pour l’Affaire Makropoulos à Zurich

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Zurich, Opernhaus. 22-IX-2019. Leoš Janáček (1854-1928) : L’Affaire Makropoulos, opéra sur un livret du compositeur d’après la pièce de Karel Čapek. Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov ; costumes : Elena Zaytseva. Avec : Evelyn Herlitzius (Emilia Marty) ; Sam Furness (Albert Gregor) ; Kevin Conners (Vítek) ; Deniz Uzun (Krista) ; Scott Hendricks (Jaroslav Prus) ; Spencer Lang (Janek Prus) ; Tómas Tómasson (Maître Kolenatý) ; Guy de Mey (Hauk-Šendorf)… Philharmonia Zürich ; direction : Jakub Hrůša

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dirige une distribution idéale qui fait honneur à l'Opéra de Zurich.

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Sans doute, l'histoire est un peu complexe, la narration d'une rapidité incessante, et la langue tchèque ne facilite pas les choses pour un public francophone ou germanophone. Mais quel opéra enthousiasmant que L'Affaire Makropoulos ! Entre ironie ravageuse, bouillonnement théâtral et profondeur philosophique, il n'y a rien d'étonnant à ce que cette œuvre entre toutes attire les plus entreprenants des metteurs en scène, ce qui ne veut pas dire que la tâche en soit plus facile – on se souvient notamment de la vision cinématographique de Warlikowski à Paris ou celle de Christoph Marthaler à Salzbourg. Pour ouvrir la saison de l'Opéra de Zurich, c'est au tour de de s'y confronter.

Dans une salle à taille humaine comme l'Opéra de Zurich, la proximité entre le public et la scène est un atout précieux pour une œuvre où le théâtre est si essentiel. L'autre grand atout de la soirée est la direction colorée et énergique de , à la tête du : le volume sonore souvent haut n'empêche pas les chanteurs de s'exprimer aisément, et si le tempo est plutôt soutenu, il sait aussi prendre son temps pour s'adapter aux rythmes changeants de la comédie.

Ce qui séduit dans le travail de Tcherniakov est d'abord la haute qualité de la direction d'acteurs, qui aide l'excellente distribution réunie par l'Opéra de Zurich à exprimer toutes ses qualités, dans un opéra où la parole est indissociable de la musique. Tcherniakov ne craint pas la comédie : (Gregor) et (Maître Kolenatý), chacun à sa manière, livrent par la voix et par le jeu des portraits comiques d'une efficacité irrésistible, le premier en impulsif armé de bonnes intentions mais irrémédiablement à côté de la plaque, le second en agité compulsif chez qui le masque de la respectabilité ne tient jamais très longtemps. Il est un peu surprenant que Tcherniakov n'ait pas souligné d'avantage l'opposition entre Gregor et le baron Prus : chante fort bien, mais le personnage est un peu en retrait, son intelligence étant plus visible ici que son absence de scrupules et son arrogance. Le travail d'équipe, jusqu'aux plus petits rôles, ne laisse jamais de temps morts – ne citons que le vétéran , irrésistible dans son petit rôle de fou gai.

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L'essentiel de l'effort interprétatif fourni par Tcherniakov porte sur l'héroïne : il introduit un décalage en mettant en avant dès l'ouverture la condition mortelle qui est la sienne. Une vidéo superpose des radios des plus diverses composantes du corps humain, avant que l'écran affiche le résultat sans espoir d'une consultation médicale, parcouru par un doigt de femme, celui de l'héroïne. C'est qui assume ici ce rôle terrible : le plaisir du jeu est évident, la diction tchèque sans doute un peu moins (mais on laissera les tchécophones en juger). L'incarnation n'a pas la force et l'évidence de son Elektra nourrie par la mise en scène de Chéreau, mais c'est aussi parce que la mise en scène ne trouve pas vraiment les clefs du personnage.

Emilia Marty va mourir si l'élixir de son père ne lui offre une nouvelle prolongation de sa vie : c'est en effet la donnée fondamentale du livret ; en faire une vieille dame déjà fragile ne fait que rendre visible ce que tout dans l'œuvre dit déjà. L'essentiel de la soirée se déroule dans un élégant salon bourgeois du début du siècle, qui peut satisfaire les plus conservateurs des mélomanes ; la fin de l'œuvre, où l'héroïne raconte ses 337 années de vie, est l'occasion pour Tcherniakov d'un coup de théâtre où son goût pour le cinéma et les tournages, déjà manifeste dans beaucoup d'autres de ses spectacles, vient remettre en cause tout ce que nous venons de voir. C'est du moins certainement l'intension ; l'impression qui en reste est celle d'une mise en scène efficace, rythmée, pleine d'humour, visuellement agréable, mais sans véritable vision de l'œuvre. Tcherniakov a un savoir-faire théâtral considérable qui fait très bien illusion, mais une œuvre pareille mérite un peu plus de profondeur d'interprétation.

Crédits photographiques © Monika Rittershaus

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