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Une Rusalka éco responsable à Londres

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Royaume-Uni. Londres. Royal Opera House. 5-III-2023. Antonin Dvořák (1841-1904) : Rusalka, conte lyrique en trois actes (1901) sur un livret de Jaroslav Kvapil. Mise en scène : Natalie Abrahami et Ann Yee. Scénographie : Chloé Lamford. Costumes : Annemarie Woods. Lumières : Paule Constable. Chorégraphie : Ann Yee. Avec : Asmik Grigorian, Rusalka ; David Butt Philip, Le Prince ; Alexei Isaev, Vodnik ; Sarah Connolly, Ježibaba ; Emma Belle, Duchesse ; Hongni Wu, Kuchtik ; Ross Ramgobin, Hajny. Chœur de l’Opéra Royal. Orchestre du ROH, direction : Semyon Bychkov

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Portée par la belle et originale mise en scène de et qui pointe du doigt notre responsabilité dans le saccage de la planète, cette nouvelle production de Rusalka d'Anton Dvořák au ROH de Londres, dirigée par , voit la confirmation éclatante de la soprano dans le rôle-titre.


Rusalka n'a connu que rarement les honneurs de la scène londonienne : en 2003 pour une version de concert avec Renée Flemming ; en 2012 dans une production scénique reprenant une production du festival de Salzbourg datant de 2008, mise en scène par Jossi Wieler et Sergio Morabito avec Camilla Nylund en Rusalka et Yannick Nézet-Seguin à la baguette ; enfin aujourd'hui avec cette nouvelle production, co-réalisée par et , qui voit dans le rôle-titre, pour la première fois à Covent Garden.

Le livret de Kvapil s'inspire de plusieurs contes pour nous narrer les amours impossibles du prince et de l'Ondine : la nymphe Rusalka demande à la sorcière Ježibaba de lui donner forme humaine pour qu'elle puisse conquérir l'amour du jeune prince qui vient souvent se baigner dans le lac. Le prix à payer est très lourd : elle perdra l'usage de sa voix et sera éternellement damnée si son amour n'est pas partagé. Le prince, d'abord séduit par la beauté de Rusalka, se lasse ensuite de son perpétuel silence et s'éprend d'une princesse étrangère. Trahie, Rusalka est perdue et lorsque le prince accablé de remords cherche à la retrouver, elle lui avoue que si elle accepte de lui donner le baiser qu'il lui réclame, il en mourra. Malgré cet avertissement le prince l'enlace et meurt dans ses bras. Après cette dernière étreinte, Rusalka disparaît pour toujours au fond du lac.


Faire d'une créature surnaturelle muette le principal personnage d'un opéra, relève assurément du défi ! Dvořák crée une situation riche de possibilités en jouant sur l'opposition entre le monde surnaturel, dans lequel Rusalka s'exprime, et le monde des humains, où elle reste muette, privée d'une parole qui apparaît alors comme l'instrument du mensonge et de l'infidélité… C'est peu dire qu'il faut se méfier des contes. En cantonner la lecture à un public enfantin est, sans doute, une lourde erreur, notoirement simplificatrice, source de cruelles déconvenues…Car si l'Ondine, le prince et la sorcière sont bien présents, le conte se prête à des relectures autrement plus hardies, psychanalytiques et philosophiques bien sûr (altérité, incommunicabilité, rédemption, amour et mort, liebestodt), mais aussi sociétales ou environnementales…C'est finalement à partir de cette dernière option que les deux metteuses en scène élargissent et actualisent le récit à la lumière d'un plaidoyer (assez discret et succinct) militant pour la défense de la planète, en s'appuyant sur une scénographie qui se décline en trois tableaux : une sorte de jardin d'Eden à l'acte I, où nymphes aquatiques et dryades s'ébattent joyeusement sous l'ombre tutélaire de l'esprit du lac ; le palais du prince au mobilier contemporain à l'acte II, royaume des humains, lieu de mensonge, de trahison et luxure ; retour au lac à l'acte III, qui est devenu après le contact de Rusalka avec le monde des humains, un espace désolé, dévasté, image d'un monde où règne la mort et la destruction. La démonstration est claire qui affirme l'incommunicabilité de deux mondes irréconciliables en même temps que la responsabilité de l'homme dans la dégradation de la nature …On ajoutera pour l'anecdote afin de renforcer le propos que les décors de cette nouvelle production ont été recyclés à partir des décors d'autres productions antérieures et que le programme a été édité sur du papier recyclé ! Si la portée pédagogique, au demeurant méritoire, de cette lecture parait assez faible dans son expression, il convient de signaler, la beauté incontestable des décors de Chloé Lamford, magnifiés par les costumes d'Annemarie Woods, les lumières de Paule Constable et les chorégraphies d', participant à n'en pas douter de la réussite de cette production.


Dans la fosse, , en parfaite symbiose avec le plateau, dirige, comme un poisson dans l'eau, cette partition où Antonin Dvořák mêle à l'envi les réminiscences slaves et les accents wagnériens, tout en fluidité et expressivité, dans un mélange de souplesse et de passion pour suivre au plus près la dramaturgie, mettant en exergue les remarquables performances individuelles et collective de l'orchestre du ROH (harpe omniprésente, lyrisme de cordes, rondeur des bois et gravité des cuivres).

La distribution vocale est homogène et de qualité. en Rusalka y confirme avec éclat sa prise de rôle de Madrid en 2020. Rien ne manque à cette interprétation : ni la beauté du timbre, ni l'éloquente projection, ni l'engagement scénique de tous les instants, la soprano nous gratifiant d'une « Prière à la lune » à faire pleurer les pierres, portée par un sublime legato. Face à elle, le ténor , empêché dans sa prise de rôle du prince à l'English National Opera en 2020 pour les raisons sanitaires, est une vraie découverte par la vaillance de son chant comme par sa remarquable implication scénique. Le Vodnij de impressionne dès son entrée en scène par son charisme, la profondeur et la douceur de sa basse. campe une duchesse altière dont la voix puissante impressionne. Seul maillon faible de cette distribution qui manque hélas de puissance et de cruauté pour être parfaitement crédible dans le rôle de la sorcière manipulatrice. Dans les rôles secondaires, en garçon de cuisine et en chasseur, sans oublier le chœur des nymphes et autres dryades, complètent avec bonheur cette très belle production londonienne.

Crédit photographique : © Camille Greenwell / ROH

 

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