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Lisette Oropesa, grandissima Lucia à la Scala de Milan

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Milan. Teatro alla Scala. 26-IV-2023. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Lucia Di Lammermoor, opéra en trois actes (1835) sur un livret de Salvatore Cammarano d’après Walter Scott. Mise en scène, scénographie et costumes : Yannis Kokkos. Lumières : Vinicio Cheli. Vidéo : Eric Duranteau. Avec : Lisette Oropesa, Lucia ; Boris Pinkhasovich, Enrico ; Juan Diego Florez, Edgardo ; Leonardo Cortellazzi, Arturo ; Valentina Pluzhnikova, Alisa ; Carlo Lepore, Raimondo ; Giogio Misseri, Normmano. Coro del Teatro alla Scala. Orchestra del Teatro alla Scala, direction : Riccardo Chailly.

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Reportée lors de l'ouverture de la saison en décembre 2020 pour raisons sanitaires, cette nouvelle production très attendue de Lucia di Lammermoor de vaut plus par son casting, convoquant , et à la baguette, que par la mise en scène de .

Si l'attrait de cette nouvelle production tient bien évidemment à son casting, elle est aussi l'occasion d'une approche philologique intéressante puisque y interprète la récente édition critique de Gabrielle Dotto et Roger Parker, version complète et intégrale, en y réinsérant les coupures et en réintroduisant l'armonica de verre lors de la scène de la folie, instrument rare souhaité par Donizetti, le plus souvent remplacé par la flûte du fait de la rareté des musiciens capables de le faire sonner, mais présent cependant dans plusieurs productions récentes dont celle conduite par Evelino Pido en 2017 au ROH de Londres.

Si Lucia est aujourd'hui considéré comme un opéra de soprano colorature, il fut longtemps par le passé envisagé comme un opéra de ténor (création en 1835 par Gilbert-Louis Duprez) avant que le bel canto n'évolue vers le canto di forza quelque peu oublieux de la souplesse belcantiste et des ornements pour se laisser séduire par les sirènes du suraigu et des prouesses vocales stratosphériques, certaines divas peu enclines au partage allant même jusqu'à faire supprimer dans certaines productions l'air final du ténor…Opéra de soprano ou de ténor, Lucia est assurément un opéra faisant appel à des chanteurs d'exception où (prise de rôle en 2017 au ROH) et Juan Diego Florez (prise de rôle en 2015 au Liceu de Barcelone) trouvent naturellement leur place.

 

Noire et sans espoir…Tel pourrait être le résumé de la mise en scène intemporelle et assez banale de qui se réduit à une élégante scénographie et se cantonne à une lecture au premier degré, faisant fi, contrairement à Simon Stone dans la nouvelle production du MET avec Nadine Sierra, de toute considération sociale ou politique (rivalité de clan et place de la femme dans la société). Sa belle scénographie se décline en trois tableaux : une sombre foret à l'acte I, lieu de toutes les menaces et effusions amoureuses, un élégant salon à l'acte II, celui d'Enrico, scène de tous les affrontements et manigances et un monumental escalier qui se transformera en cimetière où tout s'achèvera à l'acte III, cela agrémenté de costumes contemporains, de lumières blanches et crues, et d'une vidéo minimale au III reproduisant l'orage et entretenant le drame. La direction d'acteurs efficace et bien réglée réserve de beaux moments de théâtre comme l'affrontement d'Enrico et Lucia au II ou encore une hallucinante scène de la folie au III qui mettent en évidence les bluffantes qualités d'actrice de la soprano, totalement investie dans son rôle.

Dans la fosse propose une lecture contrastée, haute en couleurs, au phrasé souple et très narratif, en parfaite symbiose avec la dramaturgie, à la fois ardente et lugubre, lyrique et passionnée, très expressive et nuancée, maintenant un équilibre constant avec les chanteurs et faisant valoir toutes les performances solistiques de la phalange milanaise dont on signalera en particulier la sonorité superbe du pupitre de cors et de la harpe solo.

Homogène, la distribution vocale reste l'élément majeur de cette nouvelle production scaligère, dominée par l'envoûtante , à la vocalité d'une facilité et d'une endurance à toute épreuve. On est bien sûr séduit par la rondeur du timbre, par la délicatesse, le legato et la grâce d'un chant impeccablement orné capable de nuances et de couleurs infinies, depuis la terreur de « Regnava nel silencio » jusqu'au rêve juvénile et passionné de « Quando rapita in estasi » superbement accompagné par la langoureuse clarinette ; une prestation vocale qui trouvera son aboutissement dans une hypnotique scène de la folie « Il dolce sono » accompagné par les cristallines et surnaturelles sonorités de l'armonica de verre. Ténor di grazia plus que ténor lyrique, s'aventure, ici, sur des terres plus tourmentées ; un pari déjà entrepris à plusieurs reprises et une fois encore relevé avec brio malgré un relatif manque de puissance qui le pénalise dans les ensembles, notamment le sextuor du II ; son timbre joliment apparié à celui de la soprano nous valant, à contrario, un très émouvant « Verranno a te » à faire pleurer les pierres et un air final «Tu che a Dio spiegasti l'ali » d'anthologie, avant un bouleversant « O bell'alma inamorrata » où la voix du ténor agonisant laisse progressivement la place à la péroraison isolée du violoncelle sur un tempo d'une saisissante lenteur. Face à ce duo d'amour Boris Pinkhasovitch tient crânement le rôle du perfide et manipulateur Enrico par la puissance de son baryton qui n'est pas sans rappeler les « barytons-Verdi » par sa noirceur et sa fureur, affirmées dès l'acte I par un impressionnant « Cruda, funesta smania ». Son affrontement avec Lucia à l'acte II est, non seulement un grand moment de théâtre, mais aussi une superbe joute vocale annoncée par « Il pallor funesto » où Lucia parait tour à tour combattive, affligée et résignée. , en charismatique Raimondo obtient finalement le consentement de Lucia et fait basculer le drame dans un « Ah, cedi, cedi ! » faisant valoir sa basse profonde et rassurante. , malgré la brièveté de son rôle, campe un Arturo facile au joli timbre, participant au Sextuor dont on apprécie la clarté de la polyphonie. en Alisa impressionne par la beauté de son mezzo, émis sans aucun vibrato, tandis que Giorgio Misseri donne à Normmano toute la veulerie et la perfidie nécessaire. L'excellent Chœur de la Scala complète avec grandeur et puissance cette remarquable production.

Crédit photographique : © Brescia et Amisano / Teatro alla Scala

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Milan. Teatro alla Scala. 26-IV-2023. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Lucia Di Lammermoor, opéra en trois actes (1835) sur un livret de Salvatore Cammarano d’après Walter Scott. Mise en scène, scénographie et costumes : Yannis Kokkos. Lumières : Vinicio Cheli. Vidéo : Eric Duranteau. Avec : Lisette Oropesa, Lucia ; Boris Pinkhasovich, Enrico ; Juan Diego Florez, Edgardo ; Leonardo Cortellazzi, Arturo ; Valentina Pluzhnikova, Alisa ; Carlo Lepore, Raimondo ; Giogio Misseri, Normmano. Coro del Teatro alla Scala. Orchestra del Teatro alla Scala, direction : Riccardo Chailly.

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