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Ariodante fait la Une de la presse à scandale à Paris

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Paris. Palais Garnier. 11-V-2023. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Ariodante, opéra séria en trois actes sur un livret d’Antonio Salvi d’après Orlando Furioso de l’Arioste. Mise en scène : Robert Carsen. Décors : Robert Carsen/Luis F. Carvalho. Costumes : Luis F. Carvalho. Lumières : Robert Carsen/Peter Van Praet. Chorégraphie : Nicolas Paul. Avec : Emily D’Angelo, mezzo-soprano (Ariodante) ; Olga Kulchynska, soprano (Ginevra) ; Tamara Nanješević, soprano (Dalinda) ; Matthew Brook, basse (Il Re di Scozia) ; Eric Ferring, ténor (Lurcanio) ; Christophe Dumaux, contre-ténor (Polinesso) ; Enrico Casari, ténor (Odoardo). Chœur de l’Opéra de Paris (chef de choeur : Alessandro Di Stefano). The English Concert, direction : Harry Bicket

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La rumeur avait dit vrai : les images imaginées par pour Ariodante sont effectivement à la hauteur de la magnifique distribution qu'au jour de la première, une grève surprise à l'Opéra de Paris avait envoyée sur le front d'une très frustrante version de concert

Règlements de comptes à Balmoral ! Les motifs de tartan imprimés sur le mur de scène qui fut l'unique décor d'une première empêchée sont cette fois partout : sur la perspective des murs du château, sur les tapis, les tentures, les plaids, les vestes, les pantalons, les kilts… Pas de doute, l'on est en Écosse. Et pas n'importe où. Quelques indices (une peinture achevée par Ariodante, des chambranles, une cheminée, des portraits de quelques gouvernants du monde, un exemplaire du Daily Mail,…) localisent une demeure royale bien connue des lecteurs de Gala et autres Points de vue, Images du Monde : Balmoral. Adieu l'Arioste, seulement évoqué par les chevaliers en arme réduits à leur fonction décorative de château hanté, dans ce Balmoral décalé, puisque la verdeur tapissière que l'on peut apercevoir sur certains clichés officiels éclabousse ici, de la chambre de Ginevra à la bibliothèque du Roi, chacune des cloisons des pièces que nous fait visiter le guide Carsen. Une couleur commode pour les scènes d'extérieurs, toutes invitées à l'intérieur : pique-nique en amoureux au I, clair de lune au III… À l'instar des cerfs apparaissant aux fenêtres avant d'être transformés en trophées de chasse par un Roi dont la famille sera elle aussi chassée par une armée de paparazzi, les Windsor, pour le lieto finale, finissent à leur tour en trophées humains d'un musée de cire envahi de touristes. À l'Opéra de Paris, Carsen prophétise, à l'heure d'un très providentiel couronnement (anglais) suivis sur les écrans du monde entier, que les tabloïds ont de beaux jours devant eux…

Comme apparaît lointaine désormais l'époque où l'on se demandait ce qu'un metteur en scène pouvait bien faire des opéras de Haendel avec leur enfilade d'arias sur trois heures d'horloge ! Condensé du style carsénien, cet Ariodante captive de bout en bout par le sens de la narration propre au metteur en scène canadien, pour qui les arias da capo semblent avoir été inventés. Vrai petit manuel de mise en scène d'opéra, s'y rassemble le meilleur d'un art où les goûts réunis semblent s'être donné rendez-vous : des choix dramaturgiques imparables impulsés par une oreille musicale aiguisée, un décor qui fait sens, des options chromatiques affirmées (ici un dialogue des bleus et des verts qui rappellent certain mythique Songe d'une nuit d'été), un jeu d'orgues enjôleur, un chic costumier propre à magnifier les corps de chacun des protagonistes (la somptueuse robe de bal de Ginevra, comme les simples sous-vêtements de Dalinda), une figuration intelligente, une utilisation gracieuse du chœur comme des danseurs, un don inné pour la direction d'acteurs, toujours empathique et sensuelle, toujours soucieuse de crédibilité pour tous, de visibilité jusqu'au Paradis. Même les ballets sont des grands moments de la production : fastueux au I avec des bagpipes en écho aux musettes ; cauchemardesques au II avec un septuor de kilts terrorisant Ginevra avant de terrasser Ariodante. De cette production riche en images, l'on gardera en mémoire le très beau moment où, sur l'irrésistible Doppo notte, atra e funesta, un très expert aréopage masculin déshabille Ariodante pour, dans le même mouvement, lui faire à son tour revêtir le kilt officiel : Emily D'Angelo illumine ce très viril moment comme elle avait, prostrée dans une pénombre presque totale, hypnotisé tous les regards, projecteurs compris, sur les douze minutes de Scherza infida. L'on n'oubliera pas davantage l'image de Ginevra sous les feux croisés des paparazzi, ni son âpre combat pour la Vertu, très subtilement dessiné par , aussi à l'aise en princesse d'un jour qu'en victime de la rumeur.

Ce n'est qu'au final que le malicieux Carsen abat sa dernière carte. Dans Balmoral muséifié, les masques tombent… Un ultime petit plaisir (« paparazzo, sors de ce corps… ») de cet Ariodante qu'on aimera voir et revoir, avec lequel, en vrai metteur en scène lyrique qu'il est, rappelle à tous ceux qui en doutent encore, que l'opéra, en plus d'être un spectacle total qui ne saurait se satisfaire d'une simple version de concert, doit toujours être affaire de choc esthétique.

Crédits photographiques © Agathe Poupeney / ONP

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