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Une séduisante Carmen en VO ouvre la saison à l’Opéra de Rouen

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Rouen. Théâtre des Arts. 22-IX-2023. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra en quatre actes sur un livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après Prosper Mérimée. Mise ne scène : Romain Gilbert. Scénographie : Antoine Fontaine. Costumes : Christian Lacroix. Lumières : Hervé Gary. Chorégraphie : Vincent Chaillet. Avec : Deepa Johny, Carmen ; Thomas Atkins, Don José ; Lulia Maria Dan, Michaëla ; Nicolas Courjal, Escamillo ; Faustine de Monès, Frasquita ; Floriane Hasler, Mercedes ; Thomas Morris, Le Remendado ; Florent Karrer, Le Dancaïre ; Nicolas Brooymans, Zuniga ; Yoann Dubruque, Morales. Maitrise du CRR de Rouen. Chœur Accentus/Opéra de Rouen. Orchestre de l’Opéra de Rouen/Normandie, direction : Ben Glassberg

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L'Opéra de Rouen ouvre sa saison avec Carmen de , dans la mise en scène historique de sa création (1875), restaurée grâce aux documentations d'origine collectées par le . Une nouvelle production rouennaise qui voit également les débuts de la mezzo-soprano dans le rôle-titre.

Opéra français le plus joué dans le monde, Carmen n'en finit pas d'alimenter les fantasmes des metteurs en scène. Carmen la scandaleuse, femme fatale, amoureuse et rebelle, séductrice, provocante et libre, victime malheureuse d'un féminicide ; volontiers malmenée depuis des mises en scène prudes et minimalistes jusqu' aux lectures plus provocatrices et décalées où elle apparait en Drag Queen (Olivier Py) en blonde platine façon Maryline (Yves Beaumesne) ou encore en militante féministe poignardant Don José dans la scène finale (Leo Muscato) pour s'inscrire dans la lutte contre les violences faites aux femmes… Alors, dans cette pléthore d'interprétations, pourquoi ne pas s'inscrire dans une sorte de « fausse modernité » en revenant aux origines ? Telle est sans doute la motivation de l'Opéra de Rouen de présenter cette nouvelle production qui vaut surtout par le tableau qu'elle dresse d'une Espagne imaginaire (celle du XIXᵉ siècle) débordant d'espagnolades, volontiers caricaturales (danses folkloriques reconstituées et tauromachie d'un kitsch outrancier) mais pleines d'un charme suranné qui fait mouche.

Grâce aux recherches obstinées du (études des planches de dessin des décors originaux, des costumes et du livret de mise en scène qui fixe les déplacements) et totalement à rebours des mises en scène très « conceptuelles » actuelles, le Théâtre des Arts et nous font revivre le temps d'une soirée les émotions vécues par le public parisien au soir du 3 mars 1875 où Carmen fit sa première apparition sur la scène de l'Opéra-Comique.

Passé l'effet de surprise, force est de reconnaitre qu'on tombe rapidement sous le charme un rien désuet de cette scénographie (Antoine Fontaine) qui se décline à grand renfort de décors peints très réalistes, de costumes somptueux et chamarrés dus à Christian Lacroix, de lumières chaudes concoctées par Hervé Gary et de chorégraphies parfaitement réglées (Vincent Chaillet), regroupées dans une lecture au premier degré, sans arrière-pensées, à laquelle le public adhère dès le lever de rideau. La dramaturgie, simple mais efficace, qui relate les amours tragiques de Don José et de Carmen, évolue en quatre situations qui correspondent aux quatre tableaux de la scénographie : Carmen séduit Don José sur une place de Séville avec la Giralda en arrière fond ; Carmen brise Don José dans la taverne de Lilas Pastia ; Carmen abandonne Don José dans la montagne et part avec les contrebandiers ; Don José tue Carmen à la sortie des arènes après un face à face dramatique. Toutes ces étapes du drame s'enchainent avec une expressivité immédiate et lumineuse dans laquelle Nietzsche voyait la métaphore parfaite du « Sud » s'opposant point par point à la déliquescence un peu morbide du drame wagnérien, alors que d'autres l'interprétaient paradoxalement comme la première étape de l'émergence du vérisme.

Dans la fosse, et l'Orchestre de l'opéra de Rouen s'emploient avec ardeur et force couleurs à rendre cette progression dramatique inéluctable dès le Prélude, dans l'énoncé clair des différents thèmes (corrida, marche du toréador, thème du destin). L'orchestration est riche, ciselée, joliment rendue avec de beaux contrechants (petite harmonie, cor) ornementant le chant dans un équilibre souverain entre la fosse et le plateau.

Plus discutable, la distribution vocale constitue, hélas, le maillon faible de cette production rouennaise où l'on salue toutefois la prise de rôle de la mezzo-soprano , remplaçante de Marianne Crebassa initialement prévue. Si l'on admire l'engagement scénique, la sensualité débordante, le large ambitus, avec des aigus faciles et des graves bien timbrés, ainsi que le timbre charnu de l'héroïne, on ne peut en revanche que regretter le manque d'ampleur vocale et le chant en force du Don José de (remplacé dés la deuxième représentation par Stanislas de Barbeyrac). Véritable erreur de casting, noie les chatoyances vocales d'Escamillo dans les profondeurs abyssales excessives de sa basse (le rôle est normalement dévolu à un baryton), tandis que la Micaëla de Iulia Maria Dan, qui semble bien empruntée scéniquement, voit son chant lourdement pénalisé par un fort vibrato.  Les seconds rôles sont en revanche parfaitement convaincants, tant scéniquement que vocalement, qu'il s'agisse de la Frasquita de , de la Mercedes de Floriane Hasler ou des deux inénarrables contrebandiers ( en Remendado et en Dancaïre) auxquels on associera le Zuniga bien chantant de . Un (Morales) au timbre un peu nasillard, et les chœurs d'enfants et d'adultes irréprochables achèvent de compléter cette belle production.

Crédits photographiques : © Julien Benhamou ; © Marion Kerno

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Rouen. Théâtre des Arts. 22-IX-2023. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra en quatre actes sur un livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après Prosper Mérimée. Mise ne scène : Romain Gilbert. Scénographie : Antoine Fontaine. Costumes : Christian Lacroix. Lumières : Hervé Gary. Chorégraphie : Vincent Chaillet. Avec : Deepa Johny, Carmen ; Thomas Atkins, Don José ; Lulia Maria Dan, Michaëla ; Nicolas Courjal, Escamillo ; Faustine de Monès, Frasquita ; Floriane Hasler, Mercedes ; Thomas Morris, Le Remendado ; Florent Karrer, Le Dancaïre ; Nicolas Brooymans, Zuniga ; Yoann Dubruque, Morales. Maitrise du CRR de Rouen. Chœur Accentus/Opéra de Rouen. Orchestre de l’Opéra de Rouen/Normandie, direction : Ben Glassberg

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